En Wallonie comme à Bruxelles, le MR (principalement) souhaite faire du logement social un outil de remise à l’emploi, quitte à sanctionner. Un choix politique fort à l’heure où le logement social doit se réinventer.
Le droit au logement va-t-il connaître le même sort que le droit au chômage, c’est-à-dire une limitation dans le temps? En Wallonie, c’est en tout cas dans les cartons du gouvernement MR-Engagés. «Le logement public n’a pas vocation à être occupé sans aucune limite de temps par les citoyens», annonce la Déclaration de Politique Régionale (DPR) wallonne, qui souhaite au passage éviter que des locataires sociaux se retrouvent avec des chambres excédentaires suite à un changement de la composition du ménage. «Bénéficier d’un logement social doit aussi permettre une activation pour la remise à l’emploi, ajoute la DPR. Le cas échéant, le locataire, dont l’accompagnement socio-professionnel est assuré tout au long de sa location, pourra alors être orienté vers d’autres solutions de logement.» Comprendre: le secteur locatif privé, principalement.
«Une réforme des critères d’attributions sera proposée au Gouvernement afin de soutenir la remise à l’emploi des demandeurs d’un logement d’utilité publique et d’en favoriser l’accès pour les travailleurs à faible revenu, expose Cécile Neven, ministre wallonne du Logement (MR). Le lien entre les facteurs d’émancipation que sont l’emploi et le logement devra être renforcé au sein du secteur.» A Bruxelles, la note présentée par David Leisterh (MR) fin mai et censée devenir la DPR bruxelloise reprend, à quelques détails près, les mêmes principes.
Entre les lignes, Cécile Neven semble donc estimer que les locataires sociaux restent trop longtemps dans leur logement. Pourtant, aucun monitoring n’existe pour indiquer la durée moyenne d’occupation d’un logement social par un même locataire. Certains chiffres permettent en revanche de se faire une idée. En Wallonie, région qui dispose de 98.990 logements sociaux, 6% des biens sont libérés de leur locataire chaque année. On ignore cependant pourquoi ceux-ci, qui sont pour un peu plus d’un tiers des personnes entre 30 et 44 ans, quittent leurs logements sociaux wallons. En région bruxelloise, des statistiques existent et pointent que 48% des départs le sont pour cause de décès ou départ en maison de repos. 47% sont des départs volontaires, et les expulsions représentent pour leur part 5%.
Du logement social en quantité insuffisante?
A en constater l’âge relativement jeune des locataires sociaux et le fait qu’un logement social libéré sur deux le soit suite au décès de son occupant, il y a lieu de penser que la période d’occupation soit plutôt longue. Pourtant, dans les faits, le logement social «à vie» n’est pas garanti, puisque les occupants signent des baux de neuf ans, renouvelables, et que le loyer est proportionnel à 20% des revenus du ménage, 25% à Bruxelles (un taux que prévoit de fixer le gouvernement wallon à son tour). Au dessus de 17.000 euros de revenus annuels, 23.200 pour les non-isolés, le logement social n’est plus accessible. «Les locataires sont tenus de démontrer leur avertissement d’extrait de rôle chaque année, relate Daniel Pollain, porte-parole de la société wallonne du logement (SWL). Dans 99% des cas voire plus, ils ne varient jamais. Il n’y a donc aucune raison d’exclure quelqu’un dans ce contexte.»
A Namur, le Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat (RWDH) se dit plutôt sceptique quant à la limitation dans le temps du logement social, qui reviendrait à faire la distinction entre «des bons et des mauvais locataires», expose le coordinateur de l’ASBL, Arnaud Bilande. «On a tendance à croire que le logement social, c’est du confort. Mais généralement, les locataires aspirent à quitter le leur, sauf que la plupart y sont coincés. Dans le privé, c’est impossible pour eux d’être acquéreurs et le marché locatif a explosé.»
En Wallonie, suite à la baisse des droits d’enregistrement, le prix d’un même bien a augmenté d’en moyenne 17,8% en un an. Face à ce constat, et aux 50.000 foyers sur liste d’attente d’un logement social en Wallonie et 58.000 à Bruxelles, une réponse classique serait d’augmenter le parc de logements sociaux. «Intégrer toute cette population au logement social est utopique, affirme Arnaud Bilande. Ce n’est pas une question de parc trop petit, mais d’offre qui ne rencontre plus la demande. La démographie change, il faut repenser les territoires, abandonner le modèle de la maison unifamiliale périurbaine quatre façades. Ca passe par un travail sur les espaces et un refinancement des sociétés de logement social, dont les comptes sont très contrastés.» Et de rappeler qu’une personne à la rue coûte sept fois plus cher à la société qu’un locataire social.
Un autre logement social est possible
En Wallonie, la Société Wallonne du Logement gère 80% du parc locatif public et chapeaute les 62 sociétés de logement de service public (SLSP) sur tout le territoire. Président de l’une d’entre elles, économiste, et par ailleurs ancien mandataire Ecolo, Philippe Defeyt admet que ces 62 SLSP doivent changer. «Il faut en fusionner certaines sans pour autant arriver à des mastodontes qui ne fonctionnent pas, comme en France. Mais on doit refaire des SLSP des acteurs qui proposent des offres variées et non pas que du logement social. Je pense à des logements à loyers modestes ou moyens (NDLR: pour les foyers percevant entre 23.200 et 85.100 euros annuels), des programmes originaux d’habitats communs pour les jeunes travailleurs, pour les mamans solos, des projets mixtes… Quitte à dépasser la barre des 25% de loyers. Ces projets vont faire augmenter les recettes des SLSP, qui pourront à leur tour accroître le parc de logements sociaux. Tout cela à condition que les communes acceptent de valoriser leur terrain à cet effet plutôt que de les vendre.»
La ministre Neven annonce également du changement, mais reste plus nébuleuse. «La mise en œuvre de l’Agence de l’Habitation, la définition d’un nouveau mode de financement du secteur, ainsi que l’instauration d’un régime global de soutien à la rénovation énergétique représentent les chantiers prioritaires actuellement. »
En ce sens, la Belgique a un train de retard. Arnaud Bilande, du RWDH, mentionne par exemple des projets français, où des livrets A (compte d’épargne) financent des logements sociaux. Le modèle de la coopérative fonctionne également en Allemagne ou en Suisse. A Bruxelles, des Community Land Trust existent déjà, ces dispositifs permettent à des locataires sociaux d’acquérir les biens dans lesquels ils vivent sans pour autant en acheter le terrain. Des personnes à bas revenus peuvent ainsi devenir propriétaires et jouir de garanties sur le long terme.