Depuis la crise sanitaire, en 2020, les financements publics pour l’aide alimentaire n’ont fait qu’augmenter. Cette croissance s’arrête alors que, désormais, même des travailleurs ont recours à ces structures. © BELGAIMAGE

L’Arizona tranche dans l’aide alimentaire: «Les associations devront s’endetter ou diminuer leur offre»

Sylvain Anciaux

L’Arizona diminue sa participation à l’aide alimentaire européenne alors que la demande pour ce secteur explose. Régions et communes sont mal à l’aise, et la question d’un choix entre les bénéficiaires pourrait se poser.

«Il faut le réorienter vers un service social, c’est tout ce qu’on peut faire pour l’instant», lâche, contrainte, Jannick Defruit avant de répondre au téléphone. La gestionnaire de l’asbl «Une main tendue», à Namur, est inquiète. Cet été, le gouvernement fédéral a réduit sa contribution à un fonds européen d’aide aux personnes en situation de précarité, nommé FSE+, faisant passer le total du budget fédéral pour l’aide alimentaire de 27 à quinze millions. «Cela veut dire que l’on va recevoir moins de marchandises alors que la demande ne fait qu’augmenter.» Du mardi au vendredi, le local situé derrière la gare de Namur, dans le quartier populaire de Bomel, distribue des colis alimentaires à 150 foyers. «Mais on attend une forte augmentation dès le mois de janvier à cause de la réforme du chômage.»

Même son de cloche aux Restos du Coeur, où l’on s’attend à perdre (indirectement) 420.000 euros sur un budget de trois millions, alors que le financement via le FSE+ n’avait cessé d’augmenter depuis 2020. «Quand la décision a été prise, en juillet, elle nous a été communiquée sans concertation préalable, se souvient la porte-parole des Restos du Coeur, Valérie Saint-Martin. Le problème, c’est que le nombre de repas distribués ne cesse d’augmenter. Entre janvier et novembre 2025, on a distribué 1.409.000 repas, contre 1.631.189 pour l’ensemble de 2024. C’est parce que l’on voit désormais arriver des travailleurs pauvres, qui ne parviennent plus à manger même avec leur salaire.»

Double peine

C’est en fait une double peine qui menace le secteur associatif. La manœuvre de l’Arizona est un brin technique: le FSE (européen, pour rappel) est octroyé à condition que le pays membre finance entre trois et 8% de la dotation au bénéficiaire. «Mais on ne peut pas non plus recevoir, de la part du FSE, plus que ce que le pays membre offre via son système de subsides, explique Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Donc en réduisant sa contribution, l’Arizona réduit également la somme maximale que peut recevoir une association. C’est d’autant plus parlant que les dossiers administratifs pour obtenir un financement FSE sont si lourds administrativement que seules les grosses structures sont en capacité de rentrer un dossier, et c’est souvent pour plusieurs centaines de milliers d’euros. Toucher au FSE provoque donc des conséquences significatives sur les finances d’une association.»

La ministre de l’Intégration sociale, Anneleen Van Bossuyt (N-VA), nie pour sa part avoir dégradé les finances des associations. «Le gouvernement fédéral précédent a décidé d’augmenter temporairement la contribution de manière significative, notamment dans le cadre de la crise du coronavirus, bien que cela relève en réalité de la compétence des administrations locales et régionales. Dans le cadre de l’immense exercice budgétaire du gouvernement fédéral, toutes les compétences régionales font actuellement l’objet d’un examen très strict, mais malgré cet exercice, nous maintenons le soutien fédéral à l’aide alimentaire pour 2026.» La nationaliste agite un montant total de 7,2 millions d’euros pour le secteur en 2026, mais ne peut assurer sa prolongation pour 2027.

L’aide alimentaire bientôt soumise au tirage au sort ?

A Namur, aussi bien à l’échelon communal que régional, on dit entendre l’inquiétude du secteur associatif mais on regrette le contexte politique actuel. «Nous sommes sous tutelle du Crac (Centre Régional d’Aides aux Communes) qui impose une diminution de 20% pour le secteur associatif, et de 25% à l’avenir même, bien que le secteur de la lutte contre la grande précarité ne soit pas concerné, développe la présidente du CPAS local, Dorothée Klein (Les Engagés). On soutient toutes ces associations, mais au vu du contexte économique, c’est compliqué d’augmenter leur budget

«Dans ces ménages, la nourriture est toujours la variable d’ajustement car c’est ce sur quoi l’on peut économiser, au contraire des factures ou des frais scolaires.»

Le ministre wallon compétent, Yves Coppieters (Les Engagés) –qui fut critiqué suite à une publication Facebook ce week-end à l’occasion de l’anniversaire des Restos du Cœur– a quant à lui débloqué les subventions pour l’année 2026 aux épiceries sociales ce lundi. Le montant total reste cependant très loin de la chute budgétaire (de douze millions d’euros) amorcée par le gouvernement fédéral puisque moins de 537.000 euros seront distribués «afin de sécuriser la trésorerie et d’éviter toute rupture de fonctionnement». Ce n’est pas la première fois que l’exécutif wallon doit compenser une manœuvre de retrait du fédéral, puisque cela a été fait avec le plan grand froid, d’autant plus que les subventions aux épiceries sociales étaient déjà prévues dans le budget wallon. «La fourniture directe de denrées alimentaires relève des missions fédérales, notamment via les CPAS, comme le confirme la loi, rappelle le ministre wallon à sa collègue du fédéral. Ces structures jouent un rôle essentiel de première ligne auprès des personnes les plus fragiles. Il est indispensable qu’elles disposent des moyens nécessaires pour assurer pleinement leur mission d’appui, avec les denrées suffisantes pour assurer le quotidien des personnes dans le besoin.»

«On peut faire un comparatif entre la situation à venir pour l’aide alimentaire et celle que l’on connaît déjà pour les abris de nuit, craint Christine Mahy. Dans les grandes villes, on désigne ceux à qui l’on attribue un logement chaud pour la nuit via du tirage au sort. Pour l’aide alimentaire, la question est de savoir si les associations vont continuer à creuser leur déficit, ou si elles vont diminuer leur offre.» Le 1er janvier, environ 15.000 Wallons seront exclus du chômage, et le chiffre grimpera à 85.000 une fois la réforme pleinement sur les rails. «Dans ces ménages, la nourriture est toujours la variable d’ajustement car c’est ce sur quoi l’on peut économiser, au contraire des factures ou des frais scolaires.» Pour ces familles, à la veille de Noël, l’hiver est déjà là. Il ne fera que s’intensifier.

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