A Paris, 5.600 tonnes de déchets trainent dans la rue depuis le début de la grève des poubelles © ©PHOTOPQR/LE PARISIEN/Delphine Goldsztejn

Grève des poubelles en France: pourquoi il est peu probable que ça arrive en Belgique

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

En France, la réforme des retraites divise plus que jamais. L’opposition au projet est tellement forte que des éboueurs font la grève depuis une semaine. Les rues de Paris et d’autres villes françaises sont littéralement envahies par les poubelles. Pourrait-on connaitre une telle action en Belgique ? Tentative de réponse avec Benoit Rihoux (UCLouvain), spécialiste des mouvements sociaux.

En France, le débat autour de la réforme des retraites n’en finit pas de défrayer la chronique. Les manifestations et grèves se succèdent depuis que le gouvernement a annoncé le report de l’âge de la retraite de 62 ans à 64 ans. Depuis une semaine, les éboueurs ont entamé une ‘grève des poubelles’ un peu partout dans le pays. A Paris, plus de 5600 tonnes de déchets non-ramassés se trouvaient dans la rue ce lundi. Les éboueurs demandent de revoir la réforme des retraites, sans quoi ils ne reprendront pas le travail. Cette action fait beaucoup de bruit et suscite de vives réactions du côté de l’exécutif français. Alors, une telle grève peut-elle représenter un moyen de pression efficace pour faire bouger le monde politique ? Le Vif a posé cette question à Benoit Rihoux (UCLouvain), spécialiste des mouvements sociaux et de protestation.

Faire pression sur un gouvernement en ne ramassant pas les poubelles, c’est efficace ?

C’est un mode d’action plus contraignant qu’une simple manifestation, car cela crée un désagrément pour la population. Les décideurs politiques sont mis sous pression d’une autre manière. Laisser les poubelles envahir les rues, c’est une certaine façon d’occuper l’espace public. Pourquoi c’est efficace ? Parce qu’une fonction fondamentale de l’Etat n’est d’un seul coup plus garantie. Après un certain temps ces poubelles peuvent créer des maladies. L’hygiène de la population entre en ligne de compte. On sait que les poubelles attirent les rats donc ce genre d’action peut aussi favoriser l’apparition d’une épidémie. Il est clair que la santé publique peut s’en retrouver dégradée. Autrement dit, l’Etat serait tenu pour responsable, car il n’a pas garanti ce service de base à la population.

La Belgique a-t-elle déjà connu une « grève des poubelles » ?

Oui, mais pas d’une telle ampleur. En Italie et en Grèce, cela s’est déjà produit plusieurs fois par le passé. La grève des poubelles est d’autant plus grave dans les pays du Sud, où les déchets se dégradent davantage. La tradition syndicale belge est l’action de masse. On va chercher à obtenir des avancées sociales par la négociation collective. Cela est moins le cas en France. Chez nous, on pourrait voir une telle action, mais plus de manière ponctuelle. Par exemple, jeter des poubelles devant le cabinet d’un.e ministre. Mais interrompre un service à la population est moins fréquent en Belgique.

La Belgique et la France ne protestent donc pas de la même façon ?

La grosse différence entre la France et la Belgique est le taux de syndicalisation, qui est relativement faible chez nos voisins. De plus, la tradition de négociation sociale n’est pas aussi forte dans l’Hexagone. Pour eux, organiser une action frontale aura donc plus d’impact. En Belgique, ce type de protestation est moins fréquent. Il y a moins de confrontation directe avec les élites. On l’a vu avec le mouvement des gilets jaunes, qui a eu moins de succès chez nous. En France, on est dans une stratégie de rupture. Il s’agit de contraindre les politiques à modifier leurs décisions. Il n’y a pas de place pour la négociation. En Belgique, on va chercher à obtenir des compromis. Les modes d’action sont plus durs en France car les relations entre les élites et les groupes d’intérêt sont plus tendues.

Laquelle de ces deux méthodes a le plus d’impact sur le monde politique selon vous ?

Il faut savoir que la contestation française ne concerne pas uniquement la demande d’actions concrètes. Une partie de cette contestation est portée par la gauche radicale et concerne le système politique et ses élites. En Belgique, la protestation est plus efficace dans le sens où on peut sans cesse renégocier les mesures prises. En France, cela fonctionne uniquement si le politique fait marche arrière. Et c’est rarement le cas. Parce que la logique de pouvoir est plus centralisée, notamment dans les mains du président. Voilà pourquoi le pouvoir exécutif a en général plus facile à faire passer sa politique en France, malgré la contestation.  

Comment expliquer une telle protestation pour un report de l’âge de la retraite à 64 ans ? C’est tout de même trois ans de moins qu’en Belgique…

En France, le politique consulte relativement peu les acteurs sociaux avant de prendre des décisions. En Belgique, la réforme des pensions a été précédée par un comité parlementaire spécial. Elle a aussi été discutée en commission à la Chambre. On a pris le temps de mener des phases de négociation, qui ont pu faire accepter le principe d’augmentation de la durée des carrières. Les mutualités, les syndicats, les experts universitaires participent au débat depuis longtemps. On en parle aussi dans les médias donc il y a moins cet effet de surprise. Ce report de l’âge de la retraite est aussi prévu dans les accords gouvernementaux donc les partis sont au courant, et on sait qu’ils ont des liens privilégiés avec les syndicats. Cela permet de tempérer en quelque sorte le débat.

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