Les stagiaires de l’asbl Devenir fabriquent les décors des compagnies circassiennes de passage à Latitude 50. © asbl Devenirs

Latitude 50 à Marchin: plus qu’un cirque

Nicolas Naizy Journaliste

Avec l’inauguration de son cirque en bois, le pôle des arts du cirque et de la rue Latitude 50 poursuit de concrétiser un projet de vingt ans visant à concilier culture, accompagnement socioprofessionnel et économie en milieu rural.

Dans l’atelier de l’asbl Devenirs, ponceuses, perceuses et raboteuses s’entassent. Ce centre d’insertion socioprofessionnelle dont l’un des sites se situe à Marchin, entité condruzienne de quelque 5 500 habitants, occupe cet atelier planté dans la cour de l’ancienne école communale du hameau de Grand-Marchin, devenue centre culturel. Trois jours par semaine s’activent ici une dizaine de «stagiaires» venu s’essayer, pendant un an, aux métiers techniques, «des adultes demandeurs d’emploi, en amont d’une formation qualifiante», précise Albert Deliège, directeur de Devenirs. Ces personnes suivent un parcours d’orientation professionnelle, soit parce qu’elles ne disposent pas de qualification, soit parce qu’elles souhaitent se donner un nouvel élan. Après vingt ans comme éducatrice spécialisée et un burn out, Valérie s’essaie à la soudure, à la menuiserie, au travail du textile. «Le travail manuel m’est venu sur le tard, raconte-t-elle. Pour moi, c’est une vraie reconversion.» Durant ses dix mois de formation, elle réalisera, avec les autres stagiaires, un portique décoré, des cercueils en bois, un rail de plateau de tournage… Des choix peu conventionnels. Mais ce sont bien des décors de spectacle qui se fabriquent ici.

Notre premier métier est culturel, mais il fallait le penser en milieu rural. Et donc convaincre en matière d’économie et d’emploi.

Le client se trouve à quelques mètres de l’atelier. Latitude 50, pôle des arts du cirque et de la rue de la Fédération Wallonie-Bruxelles, accueille chaque année 350 à 400 artistes venus préparer leurs spectacles. Les frères Forman ou le cirque Trottola, grands noms du secteur, sont des habitués. Dans la convention de résidence artistique est prévue une collaboration avec l’atelier décors de Devenirs. Les projets de construction charpentent l’année de formation faite de rencontres entre les compagnies circassiennes et les stagiaires. Pour Valérie, c’est une chance de travailler en milieu artistique, avec un vrai sentiment de gratification pour le travail accompli. «C’est autant du matériel que de l’émotionnel.» C’est en cela que la formation trouve son sens et son originalité.

Décloisonnement

Depuis 2009, entre Devenirs et ce lieu de résidence, de création et de diffusion artistique s’est développée une collaboration intense. Latitude 50 est un projet autour duquel Marchin tourne depuis près de vingt ans. Une idée un peu folle au départ, mais soigneusement réfléchie. Olivier Minet est le directeur du centre circassien depuis 2004. Il nous fait visiter le nouvel outil de ce pôle, inauguré la semaine dernière: un cirque entièrement construit en bois, avec un gradin de trois cents personnes. Jusqu’alors, il fallait souvent planter un chapiteau pour accueillir les répétitions et représentations. «Il y en aura toujours, parce que le nomadisme fait partie de l’ADN des arts du cirque. Mais avec le cirque en bois, nous renforçons notre accueil professionnel.» Essentiel dans un secteur plutôt pauvre en infrastructures de qualité. Il résume la collaboration avec Devenirs en un mot: le décloisonnement. «Certes, notre premier métier est culturel, mais il fallait le penser en milieu rural. Il fallait donc autre chose pour convaincre en matière d’économie et d’emploi.»

Le cirque en bois allie culture et développement local.
Le cirque en bois allie culture et développement local. © Matthieu Litt/Latitude 50 © Latitude 50 /Matthieu Litt.

Aujourd’hui, Latitude 50 compte douze personnes au service des «petites entreprises culturelles» que sont les compagnies. Du monde à qui il faut offrir un accompagnement de qualité, qui s’est renforcé avec le bâtiment qui sent encore le neuf, mais qu’il faut aussi loger et nourrir ; des habitations seront construites à l’arrière et un espace de restauration est ouvert à tous le midi et les soirs de spectacle. Une offre qui se traduit en emplois directs et indirects pour l’économie locale.

Le nouveau cirque, épuré dans sa ligne, durable dans sa construction et son utilisation, n’aurait pas vu le jour sans le soutien d’autorités locales, qui ont fait de la culture un axe de développement de cette commune située près de Huy et qui a connu à la fois le déclin de l’industrie sidérurgique (Arcelor) et l’évolution des pratiques agricoles, deux secteurs gros pourvoyeurs d’emplois par le passé. L’ancien bourgmestre désormais député wallon, Eric Lomba, est l’une des chevilles ouvrières du projet: «Latitude 50 apparaissait d’abord comme un projet sympathique. Mais grâce à l’impulsion de la supracommunalité, il a pris l’ampleur qu’on connaît aujourd’hui.» La reconnaissance de Latitude 50 comme structurant pour l’ensemble du territoire de l’arrondissement de Huy-Waremme a permis des investissements à hauteur des enjeux de la part de la Province de Liège en premier lieu (1,1 million d’euros), mais aussi de la Fédération Wallonie-Bruxelles (490 000 euros), s’ajoutant à un emprunt contracté par le centre scénique (460 000) et l’apport de la commune (230 000). La phase 2 – gradins et logements – a demandé des fonds supplémentaires assumés par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

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Une ruche

«La culture n’est jamais évidente dans son importance. Les infrastructures dans lesquelles se trouvent Latitude 50 étaient à l’abandon. Aujourd’hui rénové et amplifié, le site a pris de la valeur.» A côté du cirque en bois, l’école de cirque locale, qui accueille plus de six cents enfants, adolescents et personnes handicapées par semaine, a profité de cette impulsion et dispose d’une nouvelle salle entièrement dédiée à l’apprentissage. Le site, qui accueille aussi la Fédécirque, fédération des écoles de cirque amateur, espère s’enrichir d’un hall d’accueil reliant le nouveau cirque et le bar, pour autant que le financement suive. Bref, la ruche marchinoise, tous les intervenants compris, compte quelque 25 emplois fixes (sans compter les ponctuels), un site plus animé que certains quartiers urbains, aime à dire Eric Lomba. Certes, il y a eu des réticences mais la transparence et la concertation avec les habitants a permis au projet, bien visible aujourd’hui, de s’édifier. Et de rappeler les bénéfices de l’action culturelle pour la cohésion sociale et le vivre ensemble: «La culture n’est pas que de la reconversion économique, conclut l’élu. Elle est plus qu’une politique, c’est une façon d’être!»

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