Taux d’emploi, taux de chômage, nombre de malades de longue durée: pourquoi la Wallonie affiche-t-elle toujours des résultats médiocres par rapport à la Flandre? © GETTY

Les travailleurs wallons, plus fainéants que les Flamands? Décryptage des idées reçues sur le taux d’emploi: «On a fait une erreur magistrale»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Malgré une évolution favorable, le taux d’emploi en Wallonie (68,4%) reste inférieur à celui de la Flandre (77,8%). Un différentiel qui s’explique en grande partie par une concentration des entreprises privées au nord du pays. Plus que la réforme du chômage, c’est surtout la mobilité interrégionale qui pourrait pallier cet écart.

Fainéants, complaisants, voire profiteurs. Tels sont les clichés qui collent à la peau des Wallons, dont l’image a à nouveau été ternie par la diffusion récente d’un reportage de RTL-TVi intitulé «Sans boulot: tous fraudeurs?». Pain bénit pour la rhétorique flamingante, le documentaire a été largement commenté dans la presse, épinglant à l’envi les différences statistiques entre le sud et le nord du pays en matière d’emploi. Des données qui relèguent systématiquement la Wallonie au rang de mauvaise élève.

Objectivement, les chiffres sont sans appel. Qu’il s’agisse du taux d’emploi, du taux de chômage ou du nombre de malades de longue durée (lire par ailleurs), la Wallonie pèche systématiquement. Ainsi, le taux d’emploi wallon (20-64 ans) était estimé à 68,4% au deuxième trimestre 2025, contre 77,8% en Flandre, d’après Statbel. Bien qu’il soit supérieur à celui de la capitale (64,4%), ce différentiel prononcé entre les deux Régions du pays interpelle.

Un point positif, d’abord: bien que l’écart demeure aujourd’hui «substantiel», il a tendance à se réduire depuis les années 2000, recadre Antoine Germain, enseignant-chercheur à l’université de Pennsylvanie et ex-chercheur à l’UCLouvain. Au cours des quatre dernières années, le taux d’emploi wallon a gagné près de six points de pourcentage (il s’établissait à 62,9% au premier trimestre 2021, pointe Statbel). Un taux qui reste toutefois à mille lieues de l’objectif de 80% fixé par l’Arizona en début de législature.

Pour comprendre les différences entre le nord et le sud du pays, il faut analyser deux composantes: d’une part, le profil sociologique de la population concernée, d’autre part, le profil économique de la Région concernée. «Un taux d’emploi est toujours composé de deux parties: à la fois l’offre de travail disponible, c’est-à-dire la population en âge de travailler, et la demande disponible, c’est-à-dire les employeurs prêts à engager», rappelle l’économiste Vincent Vandenberghe (UCLouvain).

«Avoir relevé le quota légal à 650 heures par an pour les jobs étudiants est une erreur magistrale.

Le piège des jobs étudiants

Concernant le premier volet, la Wallonie compte davantage de profils peu qualifiés que la Flandre. Or, il existe une corrélation entre le niveau de formation et le taux d’emploi. Selon les statistiques compilées par l’économiste Eric Dor (IESEG School of Management) sur la base des données d’Eurostat, à peine la moitié (49,5%) des Wallons âgés de 25 à 54 ans ayant terminé au maximum le cycle inférieur du secondaire avaient un emploi en 2024. Le taux d’emploi des Wallons diplômés du secondaire s’élevait, lui, à 73,8%, contre 89,6% pour les diplômés du supérieur. «Cette plus grande proportion de personnes qui n’ont pas terminé de formation secondaire entraîne une inadéquation entre la main-d’œuvre disponible et les emplois à pourvoir», confirme Vincent Vandenberghe.

Ces profils peu ou pas qualifiés sont «majoritairement concentrés dans le Hainaut et à Liège», rappelle en outre Eric Dor, en résultent des taux de chômage plus élevés dans ces deux provinces (respectivement fixés à 9,3% et 9,1% en 2024, contre 7,5% à l’échelle wallonne et 6% à l’échelle nationale). Bref, une amélioration du taux d’emploi résiderait donc d’abord dans une plus grande qualité de formation, qui doit aussi davantage répondre aux besoins du terrain. «La formation est cruciale, confirme Antoine Germain, et la Wallonie semble heureusement en prendre conscience, comme en témoigne, par exemple, l’intérêt de toutes les universités francophones à s’implanter à Charleroi, qui a sans doute souffert de ne pas avoir de campus ces dernières 50 dernières années.»

Toutefois, les études de l’économiste Jean Hindriks (Itinera Institute) ont montré que la faiblesse du taux d’emploi wallon venait aussi de l’insertion de plus en plus tardive des jeunes sur le marché du travail. «On pourrait penser que c’est une bonne nouvelle, avance Antoine Germain. Ça voudrait dire qu’ils se forment mieux, ce qui pourrait être bénéfique pour l’emploi à long terme. Mais le problème, c’est qu’on n’est pas certain que cet allongement de la durée des études soit synonyme d’une amélioration des compétences

En parallèle, le nombre de jobs étudiants a explosé ces dernières années, et devrait encore être dopé par le relèvement du quota légal à 650 heures par an décrété par l’Arizona depuis le 1er janvier 2025. «On a cru intelligent d’augmenter ce seuil, or, ça crée aujourd’hui un obstacle à l’emploi classique en Wallonie, observe Eric Dor. Ces jobs étudiants, comme les flexi-jobs, sont extrêmement avantageux pour les employeurs, car ils sont en grande partie défiscalisés. La Flandre, quasi en situation de plein emploi, n’en pâtira pas. En revanche, en Wallonie, ce sera une catastrophe et cela risque de détruire des tas d’opportunités pour les demandeurs d’emploi, qui ne seront pas engagés car ils coûtent trop chers aux employeurs. On a fait une erreur magistrale avec ce relèvement des seuils.»

Le poumon économique flamand

Focus, ensuite, sur le second volet. Si le différentiel entre les taux d’emploi des deux Régions est si prononcé, c’est surtout en raison de leur tissu économique différent. «Je suis toujours étonné que, dans ce débat, on oublie de rappeler que l’emploi privé est aujourd’hui massivement concentré au nord du pays, insiste Vincent Vandenberghe. Or, c’est frappant. Le bassin d’entreprises privées en Flandre est extraordinaire, à tel point que le réseau routier est complètement saturé de camions, de camionnettes et d’autres utilitaires à certaines heures de la journée.» En comparaison, l’activité économique wallonne apparaît plus faiblarde, peinant à rebondir depuis le déclin de son industrie lourde à la moitié du XXe siècle. «Tout ça s’est joué sur une période de 80 ans, avec une reconfiguration complète du paysage économique de la Belgique au profit de la Flandre», poursuit Vincent Vandenberghe.

Pourtant, même en comparant avec d’autres régions aux profils sociologiques et aux tissus économiques similaires, certaines provinces wallonnes peinent encore à se distinguer. Ainsi, les données d’Eurostat, basées cette fois sur le taux d’emploi des 15-64 ans au sein d’une région donnée, révèlent que le Nord-Pas-de-Calais affichait un taux d’emploi de 49,2% en 2023, contre 44,4% dans le Hainaut. Même constat à l’est: alors que la province de Liège affichait un taux d’emploi de 45,2% en 2023, les Länder allemands de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et Rhénanie-Palatinat avoisinaient plutôt les 58%. Pour Antoine Germain, ces comparaisons n’ont pas lieu d’être, en raison de composition en heures de travail différentes et de règles sociales et fiscales non similaires.

Bref, seule la comparaison avec la Flandre tiendrait la route. Pour rattraper cette dernière, la redynamisation de l’économie privée wallonne serait la solution, estime l’enseignant-chercheur. «L’enjeu n’est en tout cas pas d’augmenter son emploi public, confirme Vincent Vandenberghe. Contrairement aux années 1970 ou 1980, la Wallonie est aujourd’hui à la corde budgétairement, elle ne peut donc pas se permettre d’augmenter son taux d’emploi par la création de postes publics.» Reste qu’une revitalisation de son économie privée serait un «processus extrêmement lent, craint l’économiste. Il faudrait 30 ou 40 ans au minimum pour multiplier par deux ou par trois le nombre d’entreprises privées wallonnes et rattraper le différentiel actuel avec la Flandre. D’autant qu’on assiste encore à des faillites chaque année.»

A court et à moyen terme, la solution réside plutôt dans un encouragement drastique de la mobilité interrégionale. «La voix la plus rapide si la Wallonie veut récupérer cinq ou dix points de taux d’emploi, c’est de se tourner vers la Flandre, là où il y a des pénuries, insiste Vincent Vandenberghe. Or, cela semble parfois être un tabou chez les politiciens wallons. Pourtant, on ne parle pas d’envoyer des gens à Dubaï ou sur des plateformes pétrolières en Norvège, juste de franchir la frontière régionale

«La mobilité interrégionale n’est pas encouragée. Or, la majorité des jobs sont en Flandre, pas à La Louvière.»

Barrières linguistiques?

Une opération qui serait d’ailleurs un win-win pour les deux Régions. «Il faut aussi que les employeurs flamands comprennent que la pérennité de leur formidable tissu d’entreprise passe par davantage de recrutements chez les francophones, estime Vincent Vandenberghe. La majorité des entreprises flamandes sont aujourd’hui composées d’employés qui âgé en moyenne de 49 ans, et cette moyenne d’âge continuera à augmenter. Or, ce personnel vieillissant risque de représenter de sérieux défis dans les 20 prochaines années.»

Un constat partagé par Antoine Germain: «Une amélioration de la mobilité interrégionale réduira mécaniquement les inégalités entre Régions, insiste l’enseignant-chercheur. Cela peut être des Wallons qui vont travailler en Flandre, mais aussi des entrepreneurs flamands qui ouvrent des entreprises en Wallonie.» Il le reconnaît toutefois: il y a des freins à cette mobilité interrégionale, comme une offre de transports publics inadaptée, mais sur lesquels «on peut travailler».

Autre obstacle conséquent: la barrière linguistique et les stéréotypes culturels. Des éléments qui ne semblent pourtant pas empêcher des tas de Français du nord de se rendre quotidiennement sur des chantiers en FlandreOccidentale, souligne Vincent Vandenberghe. Quoi qu’il en soit, «la Wallonie doit absolument augmenter ses exigences en matière de connaissances linguistiques pour améliorer son taux d’emploi, estime Eric Dor. Aujourd’hui, le niveau en Fédération Wallonie-Bruxelles est catastrophique, tant en néerlandais qu’en anglais.»

Bref, tous ces paramètres feraient que la Wallonie reste aujourd’hui à la traîne en matière d’emploi. Rien à voir, donc, avec une absence de motivation ou un éventuel laxisme proprement wallons? «L’écart entre les taux d’emploi s’est créé aux alentours de 1983, rappelle Antoine Germain. Si cela venait de la « culture de travail », ça signifierait donc que les Wallons des années 1980 seraient soudainement devenus relativement plus fainéants que les Flamands. C’est une théorie difficile à croire.»

«Ce n’est pas parce qu’on réduit ou supprime les revenus des chômeurs qu’ils trouveront un job.»

«Ce n’est pas blanc ou noir»

Reste une inconnue: le différentiel prononcé en matière de malades de longue durée. En Flandre et à Bruxelles, 9,5% de la population active était en incapacité de longue durée en 2022, contre 14,5% en Wallonie, selon des données du Bureau du Plan. Au sud du pays, ce nombre a d’ailleurs augmenté de 80% en Wallonie au cours des dix dernières années, contre 50% à Bruxelles et 20% en Flandre. «Cette trajectoire est difficilement explicable, reconnaît Eric Dor. On manque d’études sociologiques et médicales sur le sujet. Aujourd’hui, j’ai du mal à croire, par exemple, que les conditions de travail provoqueraient plus de stress en Wallonie, ce qui impliquerait un taux de burnout plus important. Mais il faut être très prudent et éviter la stigmatisation

Pour l’Arizona, la remise à l’emploi doit passer par une responsabilisation de tous les acteurs (employeurs, travailleurs, médecins, mutuelles…). Et l’augmentation du taux d’emploi par une réduction des allocations de chômage dans le temps. Des solutions efficaces? «C’est un discours qui peut plaire à une partie de la population, qui se rallie à l’idée qu’un chômeur est quelqu’un qui n’a pas assez cherché de boulot, analyse Eric Dor. Mais ça ne va pas suffire. Ce n’est pas parce qu’on lui réduit ou qu’on lui supprime subitement ses revenus de remplacement qu’il trouvera un job. Le problème de la sous-qualification ou de l’inadéquation entre offre et demande persistera. Tout comme les soucis de garde d’enfant pour les mamans solos, ou les difficultés de déplacement.»

«Si une succession de gouvernements de centre-droit continuait à durcir l’accès aux revenus de remplacement, on peut s’attendre à une légère augmentation du taux d’emploi en Wallonie et à Bruxelles, estime pour sa part Vincent Vandenberghe. Mais ce n’est pas blanc ou noir: si vous activez les chômeurs et vous les formez mieux, certains trouveront peut-être un emploi en Wallonie. Mais ce genre de politique ne peut produire ses pleins effets si la mobilité interrégionale n’est pas encouragée. Or, la majorité des jobs accessibles ne se trouvent pas au milieu de la forêt de Saint-Hubert ou à La Louvière, mais bien en Flandre

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