De plus en plus nombreux, les jobs étudiants ont structurellement fait leur nid dans le tissu économique belge. Avec leurs vertus, et leurs dégâts collatéraux.
Les jobs d’étudiants ont un succès fou: l’an dernier, 640.608 jobistes ont occupé 1,03 million de postes, selon les données de l’ONSS (Office national de sécurité sociale). Une progression, par rapport à 2023, comprise entre 0,9 et 1,3%. Les chiffres du premier trimestre de 2025 confirment ce mouvement, avec un bond de quelque 4% pour le nombre d’étudiants travailleurs et le nombre de postes ouverts pour eux. Un record, depuis 2017.
Ces contrats dits d’occupation permettent aux étudiants d’avoir une certaine autonomie financière, soit pour financer leurs études, soit en guise d’argent de poche. «Le travail étudiant constitue une opportunité unique pour les jeunes de se familiariser avec le monde du travail, de développer leurs compétences comportementales et techniques et de disposer d’un revenu complémentaire», embraie-t-on à la FEB (Fédération des entreprises de Belgique). C’est bien ce que pense la majorité gouvernementale, qui souhaite permettre davantage encore le déploiement des jobs d’étudiants. L’exécutif a ainsi décidé de relever le plafond des heures de travail possiblement prestées par des étudiants de 475 à 650 heures par an. «Cette nouvelle mesure offre une solution à la pénurie de travailleurs et permet aux entreprises de gérer plus facilement leur planification du personnel», relève Frank Verbruggen, responsable juridique pour le prestataire de services RH Group S.
À l’été 2026, ces jobs devraient aussi être accessibles aux jeunes à partir de 15 ans et non plus 16. Jusqu’à présent, un contrat de travail estudiantin pouvait être signé par un jeune de 15 ans à condition que ce dernier ne soit plus soumis à l’obligation scolaire à temps plein. L’accord de gouvernement prévoit de supprimer cette condition. Depuis 20 ans, toutes les décisions du gouvernement s’inscrivent dans une volonté d’assouplir le recours à des formes de travail flexibles. Avant 2005, un étudiant ne pouvait pas travailler plus de 23 jours par an; il peut désormais prester 650 heures, soit un peu plus de 80 jours, en conservant des cotisations réduites. Le recours aux flexi-jobs, qui ont bondi de quelque 44% en moyenne chaque année entre 2017 et 2024, s’inscrit dans la même tendance.
Le job étudiant, la panacée ?
La formule du job étudiant aurait-elle tout pour plaire? Minute, papillon. Car ce n’est pas si simple. Si l’engagement d’étudiants facilite la vie des entreprises, il complique la survie de la sécurité sociale. Les jobs étudiants ne sont en effet pas soumis au précompte professionnel et les cotisations qui s’y appliquent sont faibles: 2,71% pour la part personnelle (contre 13,07% pour un salarié ordinaire) et 5,2% pour la part patronale (au lieu de 25%). En dépit de ces cotisations de solidarité, les étudiants jobistes ne cotisent pas pour leur pension en travaillant de la sorte, n’ont pas non plus droit à des congés payés et, bien entendu, ne disposent pas des mêmes avantages extralégaux que les employés sous contrat.
En 2022, les jeunes de la FGTB avaient calculé que si les postes occupés par les étudiants durant cette année l’avaient été par des salariés, 413 millions d’euros supplémentaires seraient venus gonfler les caisses de la sécurité sociale. Un nouveau calcul, effectué cette fois au printemps dernier par la CNE (Centrale nationale des employés), évoque un manque à gagner de 588 millions d’euros pour les finances publiques. Les cotisations réduites appliquées à une masse salariale de 2,069 milliards d’euros, en 2024, ont rapporté 167 millions à la sécu. Avec des taux de cotisations habituels, appliqués dans le cadre d’un contrat de salariat classique, la recette aurait atteint 755 millions d’euros.
Mis au travail essentiellement dans le secteur de l’intérim, de l’Horeca et du commerce, ces jeunes sont en moyenne payés 14,85 euros brut de l’heure.
Le raisonnement ne vaut que si l’on part du principe qu’un jeune jobiste prend forcément la place d’un salarié. Or il semble qu’aucune étude ne le prouve. «Les étudiants assument pour partie le travail que pourraient effectuer des salariés, indique l’économiste Philippe Defeyt. Mais il faut être honnête intellectuellement et reconnaître que, pour partie, ces jeunes permettent à l’employeur d’assurer des heures d’activités supplémentaires, dans l’Horeca par exemple, auxquelles il renoncerait s’il devait engager un salarié.» Les statistiques de l’ONSS font tout de même apparaître qu’en 2024, 8% des employeurs n’employaient que des jobistes et n’avaient donc aucun autre salarié sous contrat classique d’emploi dans leur entreprise.
«La volonté réelle de ce gouvernement est d’offrir aux entreprises une main-d’œuvre bon marché et flexible», affirme Nel Van Slijpe, responsable national des Jeunes CSC. Tout employeur cherche en effet à ne devoir payer la force de travail qu’en fonction du travail qui doit être accompli, jour après jour. Or les étudiants sont d’autant plus disponibles pour des horaires irréguliers, tôt le matin, tard le soir ou le dimanche, que les cours de leur formation sont majoritairement dispensés en journée et en semaine. «De plus en plus d’entreprises font appel à des étudiants, observe Line Poismans, responsable juridique au secrétariat social de l’UCM (Union des classes moyennes). C’est une main-d’œuvre flexible, parfaite pour les périodes de rush et les vacances.» Il est aussi arrivé que des employeurs y recourent lorsque le personnel était en grève, comme chez Delhaize, en 2023.
«La catégorie de jobistes travaillant tout au long de l’année –environ 75%– peut être assimilée à une nouvelle norme sociale pour les étudiants, analyse-t-on chez les Jeunes de la FGTB. Cette norme fait du travail de ces jeunes un élément économique structurel et non plus ponctuel de l’économie belge.» En 2024, 40,3% des jobistes étaient employés dans des entreprises comptant 1.000 salariés ou plus. Mis au travail essentiellement dans le secteur de l’intérim, de l’Horeca et du commerce, ces jeunes sont en moyenne payés 14,85 euros brut de l’heure.
La formation trinque
La FEF (Fédération des étudiants francophones) estime elle aussi que les étudiants constituent une main-d’œuvre flexible et bon marché, mise en concurrence avec les travailleurs. Elle pointe surtout le risque, pour ces jeunes travailleurs, de mettre leurs études en péril à force de consacrer leur temps à un travail. Selon une enquête de l’Observatoire de la vie étudiante, 79,8% des étudiants qui connaissent des fins de mois très difficiles ratent les cours à cause de leur activité salariée. Une autre étude de 2019, relative aux effets du travail étudiant sur la réussite des études, montre que cet impact est négatif à partir d’un seuil oscillant entre quinze et 18 heures de travail par semaine. Or plus de la moitié (56,4%) des étudiants qui travaillent passaient plus de quinze heures par semaine au travail, en 2020-2021.
Les Engagés, membre de la majorité dans le gouvernement fédéral, ont d’ailleurs proposé d’augmenter les cotisations sociales sur les jobs étudiants pour ramener de l’argent dans les caisses de la sécurité sociale et diminuer le risque de concurrence déloyale avec les emplois classiques. «En appliquant des cotisations sur les jobs étudiants, on réduirait un peu la concurrence qu’ils peuvent représenter pour un job pleinement taxé», a ainsi détaillé Yvan Verougstraete, le président des Engagés. Ce faisant, ce président de parti reconnaît explicitement que le travail étudiant peut se développer au détriment du travail salarié classique.

D’autant que des milliers d’ex-demandeurs d’emploi prochainement exclus des rangs du chômage vont eux aussi se mettre en chasse pour retrouver du travail. Il risque donc d’y avoir de la concurrence entre eux et les étudiants. En Wallonie, les flexi-jobs et le travail étudiant représentaient l’an dernier environ 2,4% du volume total des heures de travail prestées par les salariés wallons. Tout indique que ce mouvement est appelé à se poursuivre. «Cela diminue les possibilités pour les chômeurs de longue durée de trouver un emploi, observe l’économiste Philippe Defeyt. Les postes disponibles seront de moins en moins accessibles pour les personnes à faible qualification, car il y aura de moins en moins d’opportunités.»
Qui sont-ils ?
Selon les chiffres de l’ONSS, trois jobistes sur cinq ont moins de 20 ans mais c’est surtout dans la tranche des 18-20 ans qu’on les retrouve. La Flandre concentre à elle seule 60% des étudiants-travailleurs. En Wallonie, on en recense 27% et à Bruxelles, 9%. En nombre d’heures, en revanche, le tableau est très différent. D’après les calculs des jeunes de la FGTB, les étudiants domiciliés à Bruxelles étaient très largement en tête du classement du nombre d’heures prestées au premier trimestre 2025, avec une moyenne de 90 heures. Les neuf arrondissements suivants, fournisseurs de jeunes travailleurs, étaient tous situés en Wallonie, à l’exception d’Anvers. Dans l’ordre, il s’agit de Charleroi, Mons, Nivelles, Liège, Anvers, La Louvière, Tournai-Mouscron, Namur et Soignies. À noter que des étudiants inscrits pour leur formation en Belgique mais toujours domiciliés à l’étranger ont également opté pour des jobs étudiants ici: ils étaient 13.000 dans ce cas, en 2024.