Marc Uyttendaele

Sarah Schlitz: après la neutralité inclusive qui exclut, l’égalité qui divise (carte blanche)

Marc Uyttendaele Avocat, constitutionnaliste

Ce n’est plus un hasard. Ce n’est plus une erreur d’appréciation. Ce n’est plus une erreur de débutante. C’est un choix politique qui, qu’elle le veuille ou non, engage la majorité politique fédérale.

Après l’affaire Haouach, Sarah Schlitz, la secrétaire d’Etat à l’égalité des genres, à l’égalité des chances et à la diversité se flatte de participer à une marche interdite aux hommes et dédiée aux femmes qui, elles, ont plus souffert de la Covid que leurs alter ego masculins. Que les hommes qui ont été sur un lit de douleur, que les hommes qui ont perdu leurs proches, que les hommes qui n’ont pu assister aux funérailles de ceux-ci, que les hommes qui ont vécu dans l’angoisse de perdre leur emploi ou de voir leur entreprise s’effondrer se le tiennent pour dit : leur souffrance est, aux yeux de la secrétaire d’Etat, une quantité négligeable, une variable d’ajustement. Voilà ce que raconte la participation de Sarah Schlitz à une marche qui selon elle, n’est pas « interdite aux hommes », mais « réservée aux femmes ».

L’histoire de la ségrégation fourmille de ce type de subtil distinguo. Voici un panneau sud-africain qui, au temps de l’apartheid, n’excluait pas expressément la présence des noirs dans un lieu public, mais réservait celui-ci aux blancs :

Sarah Schlitz: après la neutralité inclusive qui exclut, l'égalité qui divise (carte blanche)
© wikipedia.org

L’affaire Haouach avait révélé déjà les convictions profondes de la secrétaire d’État à l’Égalité des chances et des genres. Militante active en faveur de la neutralité inclusive et des accommodements raisonnables, elle avait désigné une femme voilée, soupçonnée à tort ou à raison d’accointances avec les Frères Musulmans, pour être l’image de l’Etat et du gouvernement à l’Institut pour l’Égalité des femmes et des hommes. Une vision « inclusive » qui, en réalité, exclut tous ceux qui aspirent à un Etat impartial, purgé dans son image de tout rattachement à une conviction religieuse ou philosophique. Chacun avait pu comprendre alors que cette neutralité « inclusive » se fonde en réalité sur une logique d’exclusion et de rejet de l’universalisme. Secoué, mais pas trop, le gouvernement avait alors lui-même opté en son sein pour des accommodements raisonnables. Les libéraux francophones avaient protesté dans les médias et les réseaux sociaux, mais pas au point d’en faire une vraie question de principe, une question de gouvernement. Les socialistes francophones s’étaient tus dans toutes les langues. Les écologistes avaient fait front avec la secrétaire d’État, n’hésitant pas à présenter la commissaire du gouvernement comme la victime d’une agressivité déplacée. Le Premier ministre, quant à lui, avait essayé de maintenir l’église au milieu du village en tenant des propos salutaires sur la neutralité de l’Etat tout en concédant néanmoins qu’il préférait voir des femmes voilées travailler que de les voir recluses chez elle. Ihsane HAOUACH, sans doute enivrée par le soutien que lui accordaient d’aucuns, a cru pouvoir dévoiler ses convictions activistes profondes et a tenu des propos polémiques qui ont provoqué sa démission. Démissionnée ou démissionnaire, elle est apparue comme l’exact négatif de ce que doit être un représentant de l’Etat neutre et impartial, dans lequel chacun, qui qu’il soit, quoi qu’il pense, peut se reconnaître.

Les masques étaient tombés : il y a non seulement deux neutralités – la neutralité inclusive et la neutralité d’apparence – mais également deux égalités, celle qui unit d’une part, celle qui divise, d’autre part.

Sarah Schlitz a choisi son camp, celui de la cancel culture, celui de la culture woke, à savoir ce mouvement de pensée, fondamentalement communautariste, qui divise la société et qui délivre des certificats de légitimité. Ainsi, au nom de celui-ci, une poétesse néerlandaise qui a le tort d’être blanche a dû renoncer, en raison de la couleur de sa peau, à traduire le poème qu’Amanda Gorman avait lu lors de l’investiture du Président des États Unis. C’est la même culture de division qui a conduit aux dégradations de la statue de Victor Schoelcher, présenté comme le père de l’abolition de l’esclavage, au seul motif que ne serait pas assez mis en évidence le rôle assumé par les esclaves dans leur propre libération. C’est un peu comme si l’on déboulonnait la statue du Général Eisenhower car lui rendre hommage pour avoir conduit le débarquement du 6 juin 1944 serait une manière d’insulter tous les soldats anonymes qui y ont perdu la vie. La même culture conduit, aux États-Unis, des démocrates à vouloir indemniser des descendants d’esclaves plutôt que de consacrer ce budget, sans distinction aucune, à ceux qui vivent aujourd’hui dans le dénuement ou la pauvreté. Une manière d’honorer une lointaine dette historique tout en en créant une nouvelle pour l’avenir.

Le gouvernement belge a donc en son sein une secrétaire d’Etat chargée de l’égalité des chances et des genres qui a fait le choix de l’égalité qui divise et donc de l’inégalité, qui refuse la neutralité d’apparence des agents publics et qui, aujourd’hui, croit pouvoir faire son shopping, sur la base du genre, entre ceux qui ont le plus ou le moins souffert de la crise sanitaire. C’est son choix, c’est sa liberté de pensée. Malheureusement, en choisissant ainsi, le repli, la division, elle perd une crédibilité indispensable pour mener nombre de combats indispensables contre les bien réelles discriminations liées au genre ou à l’origine nationale ou ethnique.

Sarah Schlitz appartient à un organe collégial et en ce faisant, elle l’engage dans son ensemble. Déjà, les libéraux francophones protestent dans les médias et les réseaux sociaux. Déjà les socialistes se taisent dans toutes les langues. Les écologistes se préparent sans doute déjà à dénoncer l’agressivité dont est victime leur secrétaire d’Etat. Et le Premier ministre ? Va-t-il à nouveau veiller à maintenir l’église au milieu du village avec comme seul souci d’éviter une crise gouvernementale ?

C’est à craindre et ce ne serait pas anodin car en cautionnant l’égalité qui divise, après avoir malmené la neutralité de l’État, le gouvernement oublie l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme selon lequel « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité« .

Oubliée l’égalité dans la dignité…

Oubliée l’égalité en droits

Oubliée la fraternité.

L’égalité ne peut être qu’universelle. Elle ne peut compartimenter les individus en fonction de la couleur de leur peau, de leur genre, de l’histoire de leurs aïeux, …

Mais peut-être ce propos doit-il être disqualifié parce que celui qui les porte est un homme, à la peau blanche, âgé de 60 ans, épris d’universalisme, une sorte de résidu intellectuel d’un monde en voie de disparition.

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