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Retour à l’école : « Remettre des enfants ensemble est moins risqué que de remettre des adultes au travail »

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Alors que la réouverture des écoles se profile, certains parents s’inquiètent pour la santé de leurs enfants. Peut-on remettre des enfants dans des classes en toute sécurité alors que le coronavirus est toujours présent dans notre société ? La réponse de la docteure Olga Chatzis, pédiatre infectiologue aux cliniques universitaires de Saint-Luc.

Est-il important selon vous que les enfants reprennent le chemin de l’école avant le mois de septembre ?

Oui. Cela fait six semaines que les écoles sont fermées. Pour les enfants, c’est lourd psychologiquement. Ils n’ont plus de contacts sociaux et ne voient plus personne à part leurs parents.

Il y a aussi tout le retard scolaire qui s’accumule. C’est plus embêtant pour certains enfants qui avaient déjà plus de difficultés avant le confinement. Et puis certains parents n’ont pas la possibilité matérielle ou le temps de suivre correctement leurs enfants au niveau scolaire à domicile.

Pour les enfants, c’est lourd psychologiquement.

Dans certaines familles, les tensions peuvent aussi monter. Ils sont tous ensemble, parfois dans des petits espaces. Il n’est pas exclu que certaines familles décompensent et nous pourrions être confronté à une augmentation de la maltraitance sur certains enfants.

C’est certain que les inégalités vont se creuser si l’on attend trop longtemps pour rouvrir les écoles. Je pense donc qu’il y a un intérêt à recommencer l’école maintenant, du moins partiellement,par étape et avec prudence en prenant des mesures adaptées. Cela permettrait à tout le monde de respirer, d’avoir à nouveau une activité sociale et de rattraper partiellement le retard scolaire.

Que dites-vous alors aux parents qui s’inquiètent de la santé de leurs enfants ?

Lorsque l’on regarde ce qui se passe à travers le monde et chez nos voisins, nousavons l’impression que ce ne sont pas les enfants qui transmettent en premier lieu le virus. Cela ne veut pas dire qu’ils ne le transmettent jamais. Mais on n’a pas l’impression qu’ils sont le moteur de la transmission, contrairement à ce qui se passe avec les autres infections virales comme la grippe.

On n’a pas l’impression queles enfants sont le moteur de la transmission

On a plutôt l’impression que les enfants sont infectés secondairement par leurs parents ou par des adultes avec qui ils sont en contact. Ce ne sont donc pas les enfants qui infectent les adultes, mais l’inverse. Même s’il est probable qu’il y ait aussi des cas d’infection d’enfant vers adulte mais ce n’est pas la majorité des situations.

Remettre des enfants ensemble est donc probablement moins risqué que de remettre ensemble des adultes, ou même de jeunes adultes. De plus, notre expérience en Belgique nous montre que les enfants qui présentent la maladie du Covid-19 sont peu symptomatiques ou ne sont, dans la majorité des cas, pas très malades de leur infection. C’est très rassurant pour nos enfants.

Mais une jeune fille de 12 ans est morte en Belgique

Tout à fait. Malheureusement, cela existe, mais ce sont de très rares cas. Lorsque l’on regarde les données pédiatriques dans les autres pays, la mortalité chez les enfants est heureusement très faible. Même si, effectivement, elle n’est pas de zéro. D’autres virus respiratoires, à nouveau la grippe par exemple, sont également responsables d’une mortalité chez les enfants.

Au début du confinement, on a commencé par fermer les écoles parce qu’on pensait que les enfants étaient les principaux vecteurs de la maladie. Aujourd’hui, on dit l’inverse. Que faut-il en penser ?

On apprend sur cette épidémie semaine après semaine et même jour après jour. C’est un nouveau virus pour les experts et pour tout le monde.

Certaines décisions prises au début de l’épidémie, n’étaient pas basées sur des évidences scientifiques.

Certaines décisions prises au début de l’épidémie, n’étaient pas basées sur des évidences scientifiques, car ces données n’existaient pas . A ce jour, il n’y a pas de preuve scientifique que les enfants sont les disséminateurs de la maladie et c’est probablement même l’inverse.

Dans les nouvelles études, on trouve des éléments nouveaux. En Islande par exemple, où ils ont fait une grande étude et testé une partie de la population sans signe de la maladie, il n’y avait aucun enfant de moins de 10 ans avec un résultat positif.

Aujourd’hui, on a donc un petit peu plus de recul par rapport au moment de la fermeture des écoles mi-mars. Beaucoup de choses ont évolué depuis ce moment-là. Je pense qu’initialement les experts avaient fait le lien entre les autres virus respiratoires et le Covid-19. Mais on voit ici maintenant avec le recul que ce n’est pas le cas.

Pourquoi les enfants sont-ils épargnés par le virus ?

On ne le sait pas encore avec certitude. En tout cas, c’est vraiment aux antipodes de ce que l’on sait concernant les autres virus.

Les adolescents font-ils partie du même constat ?

On peut faire une distinction entre les jeunes enfants, les moins de 10 ans et les plus de 10 ans. Ce ne sont pas les mêmes populations. Les risques sont différents. Ils ne sont pas majeurs chez les adolescents, mais ils sont probablement un peu plus importants.

Surtout que le comportement des adolescents est parfois beaucoup plus social. Ils restent plus en groupe.

Selon vous, les enfants peuvent donc retourner à l’école ?

Oui. C’est sûr qu’il faudra quand même prendre des précautions. Je ne dis pas qu’il faut tout ouvrir sans se poser de question. Il faudra peut-être y aller par étape et réévaluer la situation deux à trois semaines après la levée de certaines mesures. Ce sera d’ailleurs le cas à chaque fois que l’on va lever des mesures et peut-être que dans certains cas il faudra faire marche arrière. L’avenir nous le dira.

Il faudra certainement penser aussi à mettre en place certaines règles sur la sortie des écoles. Les parents vont venir rechercher leurs enfants à l’école et il faudra éviter les attroupements d’adultes sur les trottoirs.

Qu’en est-il pour les enseignants ? Prennent-ils un risque pour leur santé en retournant en classe avec leurs élèves ?

À titre personnel, je ne pense pas que les professeurs sont plus à risque d’attraper le Covid-19 en travaillant avec des enfants que d’autres adultes qui travaillent ensemble dans une entreprise, par exemple.

Ne faudrait-il pas quand même écarter certains enseignants âgés ou qui auraient des problèmes de santé ?

C’est sûr que s’ils ont des facteurs de comorbidités ou qu’ils sont en fin de carrière, il faut se poser la question de savoir s’ils doivent être écartés. On pourrait également leur faire porter un masque. Ce sont des questions seront probablement discutées au Conseil national de sécurité cet après-midi.

Qu’en est-il des enfants qui ont aussi une santé plus fragile ? Devraient-ils rester chez eux ?

C’est sûr qu’il y a des enfants qui ont des problèmes de santé ou qui sont immunodéprimés. C’est moins fréquent que chez les adultes, mais cela existe quand même.

Avec tous les pédiatres au niveau national, nous nous sommes posé cette question une semaine avant la fermeture des écoles. On s’était alors mis d’accord pour conseiller aux parents d’enfants avec des problèmes liés à l’immunité de les retirer de l’école.

La taskforce pédiatrique travaille sur une liste de maladies pour lesquelles des recommandations particulières pourraient être émises. Cependant, il n’y a pas énormément d’évidence scientifique qu’affirme que ces enfants sont plus à risque de développer des formes sévères du Covid-19, mais il s’agit d’un principe de précaution.

Cela va-t-il être d’application si les écoles rouvrent mi-mai ?

Probablement, mais je ne peux pas encore vous répondre avec certitude.

Les grands-parents peuvent-ils recommencer à garder leurs petits enfants ?

Je mettrai une réserve sur cette question. Le risque lié à l’âge est un continuum, il va donc augmenter globalement au même rythme que l’âge. Quand on parle de personnes de plus ou de moins de 65 ans, il ne s’agit pas non plus d’une limite en dessous de laquelle le risque tombe à zéro.

Donc pour les grands-parents, c’est un peu au cas par cas. Pour ceux qui ont plus de 65 ans, il faut éviter au maximum les contacts, pas uniquement avec les enfants, mais avec la population en général. Il faut rester encore très prudents avec les relations sociales d’un point de vue général. Donc les enfants font aussi partie de ces contacts à éviter.

Pour les grands-parents qui ont moins de 65 ans, cela dépend aussi de l’état de santé de la personne : si elle a, ou pas, des facteurs de risque.

Les grands-parents qui décideraient de garder à nouveau leurs petits-enfants prennent donc un risque ?

Oui. Mais ce risque existe aussi lors d’autres contacts sociaux pour ces personne.

Pensez-vous que les enfants pourront aller aux camps ou participer à des stages cet été ?

Il est clair que dans les camps il y a des contacts plus rapprochés qu’à l’école : on dort ensemble, on mange ensemble, etc. Il y a une proximité très importante avec des groupes plus grands que dans une classe. Je resterai donc plus prudente sur cette question. Surtout que l’on risque de mixer des populations venant de différentes régions. On risque du coup ensuite d’augmenter le risque de dissémination.

C’est un peu la même chose pour les stages. S’il y a plus d’enfants ensemble venants de différentes régions.

Attendons de voir comment se passent les premières étapes du déconfinement et les conséquences sur les courbes épidémiologiques.

Je peux comprendre que c’est très compliqué pour la population, et même pour nous, de ne pas avoir une vision plus lointaine sur les choses. Mais à l’heure actuelle, c’est difficile de prédire comment les choses vont évoluer et comment va s’organiser l’été. Il y a trop d’inconnues.

A l’heure actuelle, on ne sait pas dire comment va se passer l’été. Il y a trop d’inconnues.

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