Jacques Wels

Réformer les pensions par le haut plutôt que par le bas

Jacques Wels Sociologue - University of Cambridge Université libre de Bruxelles

En mars 2016, j’écrivais un article intitulé  » la réforme des pensions entrainera une augmentation des inégalités après 65 ans « . A l’époque, on parlait d’une augmentation relative du plafond à 1.672 euros nets des pensions du premier pilier et d’une moindre prise en compte de certaines périodes dites  » assimilées  » dans le calcul de la pension, en particulier les périodes de prépension et de chômage (de seconde période).

Deux réformes sur deux fronts, visant à faire baisser les pensions de retraite des travailleurs ayant connu des périodes de chômage et à valoriser les pensions des travailleurs ayant travaillé toute leur vie. C’est bien l’objectif bismarckien de notre système que le ministre entendait défendre, un système basé sur la valorisation du travail et des cotisations sociales.

La finalité était, selon le ministre, de rendre le système plus juste, en valorisant les périodes de travail et en dévalorisant les périodes de non-travail. Cette réforme a pour conséquence logique, comme je l’ai dit alors, une augmentation des inégalités entre pensionnés. Bien que le comité d’études sur le vieillissement ait récemment remis un rapport confirmant qu’à long terme, le risque de pauvreté des âgés pourrait baisser, il n’en reste pas moins que les réformes entamées par le Ministre vont dans le sens d’une inégalité croissante entre pensionnés.

Alors qu’après l’âge de la retraite, les revenus des pensionnés tendaient à s’équilibrer, de telles inflexions vont contribuer à conforter l’écart entre pensions faibles et pensions élevées. Au-delà d’un sentiment de justice évoqué par le ministre (qui se traduit par une valorisation des périodes de travail), il convient aujourd’hui de travailler sur l’équité de nos systèmes qui, hélas, est loin d’être atteinte.

Entre temps, les projets de modification du système de retraite belge ont été nombreux, touchant à différents aspects. Le Ministère vient, par exemple, d’annoncer une enveloppe de 40 millions d’euros pour les métiers dit « pénibles » qui sera active dès 2019. Reste aux partenaires sociaux à définir les critères de cette pénibilité au niveau sectoriel (pour l’instant, la pénibilité est majoritairement décrite en termes de temps de travail). On est loin cependant, et c’est une bonne chose, de la pénibilité française calculée sur une base individuelle. Autre exemple, la partielle libéralisation de la pension complémentaire du second pilier qui permettra aux travailleurs de constituer librement leur pension complémentaire, en dehors de toute négociation au niveau de l’entreprise. Réforme qui a par ailleurs été critiquée largement par le Conseil Académique présidé Frank Vandenbroucke. On peut également citer la réforme des pensions du secteur public dont l’un des aspects a été la non-prise en compte des périodes de travail contractuel dans le calcul de la pension des fonctionnaires nommés à partir d’octobre 2014 (avec cependant des exceptions). Plus récemment, ce sont les militaires qui ont été concernés avec une augmentation progressive de l’âge de la retraite qui devra atteindre 63 ans en 2030 avec, cependant, la prise en compte de la pénibilité qui interviendra dès 2019, si les critères visant à définir cette pénibilité rencontrent la fonction militaire.

Ce lundi 28 novembre, une manifestation en front commun syndical a lieu.

Cette dernière a pour but de critiquer la réforme visant à amoindrir le poids des périodes assimilées dans le calcul des pensions du premier pilier telles que particulièrement les périodes de chômage. C’est là un enjeu central dans la mesure où il concerne l’ensemble des travailleurs

– qui sont également de futurs potentiels chômeurs – et non un corps de métier particulier. Le précédent Gouvernement avait amoindri le poids des périodes de chômage dites de troisième période (chômage de longue durée). Aujourd’hui, c’est de la seconde période dont il s’agit (chômage à moyen terme). Ce n’est pas la solution qui doit être préconisée et je demande au ministre non seulement de conserver en l’état la prise en compte des périodes de chômage de second type dans le calcul de la pension de retraite du premier pilier, mais également des périodes de troisième type. Il n’est pas nécessaire, à l’heure actuelle, de punir les chômeurs pour le biais d’une réduction substantielle de leurs pensions de retraite. Plusieurs éléments étayent cet argument.

Premièrement, les chômeurs sont déjà punis par des prestations de chômage faibles et un suivi administratif qui s’est intensifié depuis le début des années 2000. Deuxièmement, les chômeurs ne sont pas responsables de leur période de chômage. Le non-emploi est bien plus expliqué par les cycles économiques, le système de formation, l’âge ou encore le sexe que par des comportements individuels. Ne faisons pas payer aux chômeurs un chômage dont ils ne sont, en majorité, pas responsable. Troisièmement, les récentes réformes du système de retraite belge ont mis l’accent sur la nécessité de développer les pensions du second pilier qui ne bénéficie, par définition, qu’aux travailleurs. Les périodes de travail ont donc un réel effet sur les revenus après l’âge de la retraite par le biais de tels mécanismes. Quatrièmement, les travailleurs, contrairement aux chômeurs de longue durée, on put investir, dans la mesure de leurs moyens, dans des biens mobiliers et immobiliers. Que ce soit par l’achat d’un logement, par l’épargne ou par l’usage de pensions privées, ils bénéficient d’une protection que n’ont pas, en majorité, les individus ayant connu des périodes de chômage longues. Enfin, on sait le rôle occupé par les âgés dans nos sociétés et l’importance de ce que l’on nomme la solidarité intergénérationnelle.

Une baisse des pensions des personnes ayant connu des périodes de chômage relativement longues affecte l’aide financière des âgés à leurs enfants et leurs petits enfants. Cela a pour conséquence immanquable une augmentation des inégalités entre générations et contribue, à long terme, à une reproduction des inégalités.

Ces cinq arguments vont dans le sens d’une stabilisation, voire d’une augmentation, de l’importance des périodes assimilées dans le calcul de la pension. Si le ministre veut – et tel était son objectif initial – rendre plus « juste » le système de pensions, sa mission devrait être l’augmentions des pensions des personnes ayant eu une carrière longue (mesure qui serait, par ailleurs, soutenue par les partenaires sociaux) plutôt que de faire baisser les pensions des personnes ayant connu des carrières plus courtes. Le front commun syndical vient aujourd’hui lui rappeler cet impératif et j’ose espérer qu’il l’entendra.

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