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Réforme des pensions: les six autres mesures proposées par les experts à la ministre

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Le plan présenté en septembre par Karine Lalieux est actuellement discuté et va encore l’être à différents échelons, entre cabinets ministériels et interlocuteurs sociaux notamment. Y figurent des mesures, propositions, intentions ou poursuites d’objectifs. Cinq spécialistes de la question ou interlocuteurs/trices sociaux/sociales, sollicité(e)s par Le Vif, suggèrent six autres pistes. Les voici.

Lire le dossier : Pensions: une réforme à prendre, à moduler ou à jeter ?

1. L’assurance-pension

Florent Hendrickx, titulaire d’un Master en Financial Management à la Louvain School of Management et analyste de risques dans le secteur de l’assurance, part du constat que « tout notre système social est basé sur une approche assurantielle. Nous contribuons à notre propre capacité et de ce fait, nous nous constituons des droits sociaux individuels. Mais pourquoi ne pas simplement laisser ce rôle… aux compagnies d’assurance ? L’Etat prendrait alors un rôle de filet de sécurité, garant d’un minimum universel, d’une dignité universelle. Ça se fait ailleurs, ça marche ailleurs, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas ici. Ça rationaliserait le système même, ça offrirait des économies administratives, ça remettrait en question des inégalités grâce à une harmonisation des statuts et ça un développement plus ambitieux du secteur privé qui pourrait libérer des moyens actuellement mobilisés dans les pensions plus élevées : ils seraient ainsi réallouées aux pensions minimales. »

2. La pension assurantielle

Marie-Noëlle Vanderhoven, conseillère à la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) et membre du Comité national des pensions (rendant des avis sur les propositions en matière de pensions qui lui sont soumises par les ministres ayant les pensions dans leurs attributions), suggère que nos gouvernants se posent « la question d’un taux de remplacement (NDLR : le pourcentage du revenu professionnel qu’on avait et qu’on perçoit comme pension) souhaitable et réaliste en tenant compte du fait que les pensions sont financées principalement par des cotisations de sécurité sociale (et que les autres sources de financement ne sont pas sans limite) ». Il faudrait ainsi, notamment, « restaurer le caractère assurantiel des pensions : le fait que certains travaillent plus longtemps et donc contribuent davantage doit se refléter au niveau de la pension : une personne qui a travaillé 10 ans et qui a été au chômage pendant 35 ans ne doit pas avoir la même pension qu’un travailleur qui a travaillé pendant 45 ans, fut-ce à temps partiel). Cela, tout en maintenant de la solidarité ».

3. La pension mutualisée

Jean Hindriks, président de l’Ecole d’économie de l’UCLouvain, membre du Conseil académique des pensions (ex-Commission de réforme des pensions 2020-2040), se base sur l’inégalité des genres, « pas seulement en termes de salaires mais de carrière : les femmes passent à mi-temps ou en crédit-temps pour s’occuper des enfants ou ses parents, et elles perdent du coup des droits de pension. Donc, il faudrait mutualiser les pensions entre cohabitants et au sein d’un couple marié durant la durée de cohabitation et du mariage. Une solidarité intrafamiliale », alors qu’aujourd’hui chacun perçoit un montant de pension en lien avec sa durée de carrière, ce qui pénalise toujours les femmes.

La suite de l’article après l’infographie.

4. La pension à mi-temps

Autre proposition de Jean Hindriks, que défend aussi Pierre Devolder, professeur de Finances à l’UCLouvain et également membre du Conseil académique des pensions : « La pension à mi-temps. Tous les sondages montrent que 80 % de la population souhaiteraient ralentir. Donc il faudrait instituer un mécanisme qui permette de partir progressivement à la pension, en réduisant son temps de travail et en recevant alors une demi-pension. Mettre en place ce mécanisme alors qu’on demande aux gens de travailler jusqu’à 67 ans leur permettrait de partir en douceur, progressivement, en souplesse. En substance :  »Moins je travaille à partir de tel âge, moins je gagne en salaire mais c’est compensé par une demi-pension. » La moitié de votre pension si vous passez à mi-temps en fin de carrière. Et on peut décliner à l’infini : un quart de la pension si vous travaillez à 3/4 temps, deux tiers si vous travaillez à 1/3 temps. »

Marie-Noëlle Vanderhoven y est favorable aussi : « On doit responsabiliser davantage les travailleurs en remplaçant les dispositifs de fin de carrière par la pension partielle, pour éviter des transferts trop importants entre générations. »

5. Le compte pension individuel

Autre suggestion partagée par les deux académiques : « Le compte individuel pension. Qui permet la mutualisation au sein du ménage, qui permet aussi de faire des pensions à temps partiel, des harmonisations des pensions minimum et surtout de partir du système existant. Tous les droits passés sont gelés et on définit les droits futurs sur la base des nouvelles règles. Vous avez 55 ans ? Tout ce que vous avez accumulé comme droits de pension sont mis sur le compte, et pour le reste, pour la fin de votre carrière, on peut définir des règles d’harmonisation qui serviront à calculer les droits futurs de pension que vous allez accumuler sur le reste de votre carrière. On ne change pas tout, on a un nouveau système qui prend le relais de l’ancien système – qui est complètement essoufflé. Il est essoufflé parce qu’on a des gens qui sont dans des formules tout à fait panachées de systèmes mixtes et pour lesquels on a des règles de calculs selon les régimes qui sont différents tant dans la manière de comptabiliser une carrière que de déterminer le droit à l’accès à la pension et le niveau de cette pension. Vous avez là une transition en douceur. »

L’intérêt de ce compte individuel concernerait aussi les jeunes : « Ils verraient alors dès le début de leur carrière combien ils génèrent de droits de pension, combien une réduction de leur temps de travail se répercute sur leur pension. En fait, le principe c’est que, chaque année, on vous dit combien vous avez acquis de droits de pension supplémentaire par votre activité professionnelle ou les droits de solidarité (chômage, etc). Tout est transparent, lisible, adaptable d’un statut à l’autre, vous retrouvez votre compte inchangé si vous êtes parti à l’étranger, etc. C’est un compte bloqué ou liquidable, partiellement, comme pour un capital de pension complémentaire : j’ai 60 ans, je vais prendre maintenant la moitié de ce que j’ai sur mon compte, l’autre moitié continue d’être valorisée et je prendrai le solde de mon capital quand j’arrêterai de travailler. »

6. La cotisation sociale généralisée

Pour Selena Carbonero Fernandez, secrétaire fédérale de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), « Nous, on n’est pas forcément attaché à la question de neutralité budgétaire en matière de sécurité sociale parce qu’à partir du moment où on voudrait porter des mesures qui sont favorables aux travailleuses et aux travailleurs, parce qu’on n’est pas censé vivre pour travailler ou mourir au travail, on estime qu’il faut dégager les moyens budgétaires nécessaires. Et là, la question doit être envisagée de manière transversale : si on veut améliorer le financement de la sécu, ça passe par la création d’emplois de qualité et par une augmentation des salaires bruts qui permettent du coup d’augmenter les cotisations sociales versées pour financer la sécu. Et ça passe aussi par une de nos vieilles revendications : la cotisation sociale généralisée de manière à ce qu’elle soit prélevée sur l’ensemble des revenus pour qu’on mette aussi à contribution les revenus du capital, qui ne participent pas suffisamment au financement de la sécu. »

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