Jules Gheude

Quand le CD&V annonce la couleur institutionnelle (opinion)

Jules Gheude Essayiste politique

Au cours de son congrès de rénovation, qui s’est tenu le 11 novembre, le CD&V a précisé la manière dont, selon lui, la 7ème réforme de l’Etat devrait être abordée.

Pour les démocrates-chrétiens flamands, les choses sont claires. Il s’agit non plus d’examiner les compétences qui pourraient être scindées, mais bien de s’interroger sur celles que l’on souhaite encore gérer ensemble à l’échelon fédéral.

Le président du parti, Joachim Coens, avait déjà déclaré antérieurement qu’il n’était pas question pour lui de « remettre le dentifrice dans le tube », entendez par là de refédéraliser.

Aujourd’hui, il le redit clairement : Het zwaartepunt komt zo veel meer bij Vlaanderen en de lokale besturen te liggen (le centre de gravité doit basculer vers la Flandre et les pouvoirs locaux).

Cette position s’inscrit en droite ligne dans la logique du confédéralisme à deux, prônée, dès le début des années 90, par le CVP Lu Vanden Brande, alors ministre-président flamand.

L’essentiel des compétences va donc aux Etats flamand et wallon, lesquels assurent conjointement les matières dites personnalisables de la Région bruxelloise. Le niveau central belge est, quant à lui, réduit à la portion congrue.

Dans l’ouvrage « Onvoltooid Vlaanderen » (Flandre inachevée), publié en 2017, Bart De Wever, le président de la N-VA, avait précisé les matières qui, selon lui, pourraient encore être gérées à l’échelon belge : La confédération n’a plus que les compétences qui lui sont explicitement conférées par les entités fédérées. Pour nous, il s’agit de la défense, de la sécurité, des finances et des affaires étrangères.

Du côté wallon, le discours semblé s’orienter vers une réforme de l’Etat axée sur quatre Régions., et qui implique donc la disparition des Communautés.

Jamais la Flandre ne s’engagera dans cette voie. Car renoncer à la notion de Communauté équivaudrait pour elle à perdre l’encadrement efficace de sa minorité bruxelloise, qu’elle peut aujourd’hui assurer via les compétences communautaires. En outre, une Belgique à quatre Régions ne lui permettrait plus de faire de Bruxelles sa capitale et le siège de ses institutions.

Cette Belgique à quatre Régions est prônée notamment par Philippe Destatte, le directeur de l’Institut Jules Destrée : Ce projet volontariste de fédéralisme renouvelé, fondé sur quatre Etats fédérés égaux en droit, est simple, pédagogique et facilement appropriable par les citoyen-ne-s, ce qui constitue une véritable innovation.

On s’engage, une fois de plus, dans un dialogue de sourds, opposant logique fédérale et logique confédérale.

Pour la Flandre, il ne peut être question de laisser des compétences majeures à un échelon central, un centre interrégional, où une entité pourrait faire obstacle aux choix flamands.

Or, dans une Belgique à quatre Régions, il faudrait l’entente unanime de celles-ci pour prendre les décisions à l’échelon central.

Contrairement à ce que pense Philippe Destatte, la Belgique ne serait plus un Etat fédéral, mais bien une véritable Confédération d’Etats. Même si le terme « fédéral » était toujours utilisé, personne ne serait dupe.

A l’inverse, la Suisse, qui se qualifie encore volontiers de Confédération par tradition historique, ne l’est plus depuis 1848, puisque les décisions du « Centre bernois » sont prises à la majorité – des cantons et des citoyens -, et non plus à l’unanimité.

Votée le 12 septembre 1848, la nouvelle Constitution suisse définit, en effet, un nouvel Etat fédéral et centralisé où les cantons ne sont plus indépendants mais « souverains » et cèdent certains de leurs privilèges à l’Etat fédéral.

L’argent est le nerf de la guerre. « Demandeurs de rien », les responsables francophones ont toujours fini par céder en échange de liards. En ira-t-il de même en 2024 ?

En juillet 2020, le ministre-président wallon, Elio Di Rupo, avait qualifié la situation budgétaire de la Wallonie d’abyssale. Alors que le débat sur le budget 2022 débute, il convient de rappeler les éléments suivants.

La Wallonie affiche un déficit ordinaire de 207 millions d’euros pour 2022, en ligne avec la trajectoire d’un retour à l’équilibre à la fin de la législature. Mais il convient toutefois d’ajouter à cela les dépenses liées à la crise sanitaire, aux inondations et au plan de relance. Au total, le solde brut à financer de la Région s’élève à 4,134 milliards d’euros, les recettes étant annoncées à 15,5 milliards, alors que les dépenses devraient atteindre 19,6 milliards.

C’est dans ce contexte que l’agence de notation Moody’s vient de dégrader la note de la Wallonie de A2 à A3. Pour la Cour des Comptes, cela pourrait compliquer l’accès de la Région aux marchés financiers. Et de pointer également l’explosion de la dette brute consolidée, qui pourrait dépasser les 45 milliards d’euros en 2026.

Dans un rapport rédigé avant les inondations, plusieurs experts ont tiré la sonnette d’alarme quant à la soutenabilité aléatoire du remboursement de la dette wallonne. Il y a quelques années, feu Jules Gazon, professeur d’Economie à l’Université de Liège, avait clairement évoqué un scénario à la grecque.

Jusqu’à présent, la Belgique s’est engagée dans des réformes institutionnelles de procrastination, l’objectif étant de repousser l’échéance fatale. Chaque camp, en attendant, défend ses positions : garder Bruxelles pour la Flandre, conserver l’argent pour la Wallonie et se protéger du vide existentiel pour Bruxelles.

Sauf à obtenir en contrepartie de très gros transferts de compétences et un droit d’intervention renforcé dans les affaires de la Région bruxelloise, on n’imagine pas la Flandre se montrer conciliante.

Avec la position adoptée par le Congrès CD&V, les responsables francophones sont prévenus. Et il n’est pas superflu de rappeler ici les propos tenus en 2007 par Wouter Beke, alors président du CD&V : Nous voulons une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l’entend. (…) Si les francophones n’acceptent pas de lâcher du lest, nous n’aurons d’autre choix que l’indépendance.

Jules Gheude. Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols, 2019.

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