Alda Greoli

Qu’a réellement fait la francophonie depuis 15 ans ? (carte blanche)

Alda Greoli Députée CDH

Normalement, des politiques du monde entier auraient dû être actuellement réunis à Tunis, au 18ème Sommet de la francophonie, finalement annulé. A cause de la situation sanitaire, mais aussi de la situation politique de la Tunisie. Des députés CDH et Défi de la Fédération Wallonie-Bruxelles s’interrogent sur l’utilité réelle de ce genre d’organisation, alors que plusieurs pays en faisant partie vivent des troubles démocratiques.

Le 20 novembre, aurait dû s’ouvrir à Djerba, en Tunisie, le 18e Sommet de la Francophonie. Après avoir été reporté une première fois en 2020 pour cause de pandémie, ce deuxième report d’une année est destiné à « permettre à la Tunisie de pouvoir organiser cette instance importante dans les conditions les plus optimales », comme le disait en termes diplomatiquement choisis un communiqué officiel de l’Organisation internationale de la Francophonie.

Si le Sommet de la Francophonie avait été maintenu aux dates et lieux prévus, on imagine aisément l’embarras de nombreux Chefs d’Etat et de gouvernements. Ils auraient dû choisir : soit faire l’impasse sur ce rendez-vous biennal, soit prendre le risque de cautionner par leur présence ce qu’il faut bien appeler une rupture de l’Etat de droit en Tunisie. En effet, le véritable motif de ce nouveau report est évidemment lié à la situation politique interne de la Tunisie, où le Président Kaïs Saïed s’est octroyé les pleins pouvoirs depuis le mois de juillet dernier.

Dans ce contexte, comment ne pas s’interroger sur le devenir de cette Francophonie en tant qu’organisation politique qui regroupe maintenant 88 États et gouvernements membres : 54 membres effectifs (dont la Belgique fédérale et la Fédération Wallonie-Bruxelles), 7 membres associés et 27 observateurs ? Une expansion spectaculaire, excessive selon certains, dont on peut difficilement affirmer qu’elle est allée de pair avec un progrès en matière de démocratie et d’Etat de droit.

Rien qu’en cette année 2021, il a fallu constater la mise entre parenthèses de la Constitution en Tunisie, une prise de pouvoir par les militaires au Tchad à la suite de la mort du Président Idriss Déby (avril 2021), un coup d’Etat au Mali (mai 2021) et un autre en Guinée-Conakry (sept. 2021). Sans oublier la descente aux enfers du Liban, dont on se demande si elle s’arrêtera un jour, et nombre d’autres entorses à la démocratie et à l’Etat de droit qui perdurent depuis des années parmi certains pays francophones.

Pourtant, l’émergence d’une Francophonie politique à partir du premier Sommet francophone de 1986 avait bien pour objectif affirmé d’encourager et de soutenir la démocratie et l’Etat de droit. Ainsi, en 2000, la Francophonie s’est dotée d’un texte normatif sur la démocratie, la « Déclaration de Bamako« , où on lit notamment que « Francophonie et démocratie sont indissociables : il ne saurait y avoir d’approfondissement du projet francophone sans une progression constante vers la démocratie et son incarnation dans les faits ».

Tous les Sommets francophones suivants ont continué à se référer à ce texte fondateur, y compris le dernier, à Erevan en 2018, où tous les Chefs d’Etat et de gouvernements francophones présents ont réaffirmé leur « attachement à la gouvernance démocratique, au respect de nos constitutions, et à la tenue d’élections libres, régulières, fiables, transparentes et inclusives ».

Quel est le bilan de ces déclarations solennelles successives ? L’Organisation internationale de la Francophonie a-t-elle un tant soit peu contribué à améliorer l’Etat de droit et la démocratie parmi ses membres ? Les quelques exemples déjà cités tendent à démontrer qu’on est très loin de la « progression constante ».

Pour notre part, nous ne voyons qu’un seul acquis significatif de la Francophonie politique. C’est sa mobilisation en vue de l’adoption de la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, sous l’égide de l’UNESCO. Un succès engrangé dans le domaine culturel, où la Francophonie pouvait en effet revendiquer une légitimité. Mais quoi d’autre depuis plus de 15 ans ?

Le deuxième axe d’action de l’OIF, c’est la coopération multilatérale francophone en matière de langue, de culture et de solidarité pour le développement. Aujourd’hui, les maigres budgets de l’OIF consacrés à la coopération ne font que diminuer, au profit des frais de fonctionnement et d’instances politiques dont l’efficacité est loin d’être démontrée. Sur un budget 2021 de quelque 63.000.000 euros, seulement 22.490.000 euros sont consacrés à financer les activités de coopération. Cela correspond à peu près au budget annuel d’une seule institution culturelle de taille moyenne en Europe…

Dans sa note de politique internationale, l’actuel gouvernement proclame que « la Fédération Wallonie-Bruxelles (…) sera (…) particulièrement attentive à éviter l’éparpillement des moyens et des programmes (de coopération) de (l’OIF), et à concentrer les actions dans des secteurs qui comportent une valeur ajoutée. Le recentrage des actions doit constituer une priorité pour l’OIF. »

Noble et lucide intention, mais arrivés pour ainsi dire à mi-législature, tout reste à faire à cet égard. Ne serait-il pas temps de passer de la parole aux actes ?

Notre attachement à cet espace de dialogue fondé sur le partage d’une langue et le rôle moteur que les Belges francophones ont souvent joué dans le projet francophone multilatéral les autorisent à prendre l’initiative d’une introspection collective, sans arrogance ni complaisance. Que voulons-nous réellement réaliser ensemble dans le cadre de cette organisation ? La Francophonie est-elle capable de s’accorder sur deux objectifs de coopération porteurs d’une réelle valeur ajoutée, d’une part pour soutenir les avancées démocratiques, d’autre part pour appuyer le développement culturel ?

René Collin, Alda Greoli, Joëlle Maison, Christophe Magdalijns et Julien Matagne, députés CDH et Défi

Le titre est de la rédaction. Titre original: « Report du Sommet de la francophonie »

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