Publifin, Samusocial, Kazakhgate… 2017, l’année de tous les scandales
Publifin, Kazakhgate, Samusocial, ISPPC, Ondraf, Cile, Moreau, Mayeur, Gilles, Peraïta, De Decker, Kubla, Pire, Drion, et on en passe. Jamais le scandale n’avait tant enflammé une scène politique, francophone surtout, transformée en bûcher. L’incendie risque de durer longtemps. Que restera-t-il sous ses braises ?
Ainsi qu’un siècle n’a pas toujours strictement cent ans – le xxe, disent les historiens, s’est inauguré en 1914 et conclu en 1991 -, une année ne dure pas tout le temps 365 jours. Même lorsqu’elle n’est pas bissextile. En Belgique, 2017 avait commencé, fin 2016, dans un grand bruit de scandale. Elle se finit dans un énorme fracas d’affaires qui ne la terminera pas de sitôt, et certainement pas le 31 décembre.
2017 aura été l’année de tous les incendies politiques, alimentés des plus efficaces des combustibles : les grosses pailles dans l’oeil des uns et les grosses poutres dans celui des autres. 2017 aura été l’année des boutefeux et des flambeaux, celle des lance-flammes et des torches, l’année des pompiers qui sont pyromanes et des contre-feux qui deviennent bûchers. Parce qu’à chaque fois que quelqu’un a voulu allumer un foyer, ses flammes ont été mordre un peu plus loin. Et là, c’est toute la savane qui brûle.
Mais il a suffi d’une étincelle…
Et la petite allumette qui a enflammé la Belgique politique a été grattée à Olne par Cédric Halin, un des 4 000 habitants de ce village, à cheval sur le Pays de Herve et la vallée de la Vesdre, un des plus beaux de Wallonie. Elu sur une liste d’ouverture apparentée au CDH, l’homme n’est pas un rigolo, et c’est plutôt une tête dure. Qu’il a grosse. Cette année, il a d’ailleurs réussi le difficile examen, à peu près le plus ardu de Belgique, pour intégrer le prestigieux corps de l’Inspection des finances. Cédric Halin, il se fait, est échevin des finances, à Olne, depuis 2012. Et il se fait aussi que sa si jolie commune est un modeste actionnaire de diverses intercommunales. Dont, bien entendu, Publifin. Et il se fait que Cédric Halin, ce pas rigolo à la tête bien pleine mais très dure, a fait son boulot de modeste actionnaire, un boulot que d’autres têtes, peut-être moins pleines, à coup sûr beaucoup moins dures, avaient oublié de faire depuis des siècles et des siècles, façon de parler : il a demandé des comptes, Cédric Halin, avec sa tête dure.
Et c’est là que boum ! La pluie de feu. Toutes les flammes de l’enfer.
Au conseil communal d’Olne, le soir du 19 décembre 2016 d’abord, sur les sites Internet du Vif/L’Express et de La Meuse ensuite, a explosé le scandale des comités de secteur. Dès l’assemblée générale de juin 2016, Cédric Halin avait voulu secouer le conseil d’admistration de Publifin sur ces comités de secteur. Les têtes moins pleines d’en haut lui avaient ri au nez. Ils se croyaient en 2016, l’année où rien ne pouvait leur arriver. On était déjà en 2017. L’année des incendies. Ces comités de secteur, crées dans la foulée de l’absorption d’intercommunales plus petites, servaient à faire avaler, par les communes actionnaires, leur intégration à la galaxie Tecteo-Nethys-Publifin. En mettant à table des mandataires PS, CDH et MR, payés pour siéger (ou pas, d’ailleurs) dans des réunions d’information, on s’assurait de la placidité d’un actionnariat, qui, s’en trouvant le ventre bien plein, en oublia d’avoir la tête dure.
Il y eut un Publifin du nord, aussi, dans cette Flandre qui ne pouvait pas être en reste.
La révélation de cette méthode, en cours depuis plusieurs années, et qui ne concernait que des sous-fifres, petits mandataires de province, dans une intercommunale déjà bien connue, allait faire tomber le feu du ciel sur Liège, puis sur la Wallonie, puis sur la Belgique francophone. Il fallait parler de Publifin, dont on parle encore, et on en parla.
Le feu s’étendit partout. Un ministre, Paul Furlan (PS), démissionna. Une commission d’enquête, que les socialistes n’avaient d’abord voulue que spéciale, s’installa. Des dirigeants s’accrochèrent. Des réformes s’annoncèrent. On en parle encore et ce n’est pas fini. Ce n’est pas fini parce que les mandataires de province n’ont pas tous encore remboursé tout ce qu’ils s’étaient engagés à rembourser : il y en a pour un million d’euros de jetons de présence perçus en trois ans. Ce n’est pas fini parce que les 73 recommandations de la commission d’enquête parlementaire wallonne, présentées le 3 juillet, sont très loin d’être entrées en application, et que certaines ne le seront d’ailleurs jamais. Les conseils d’administration de Publifin et de Nethys ont certes été renouvelés, mais les décisions stratégiques (stand-alone du gestionnaire de réseau de distribution Resa, cession de certains actifs, etc.) et symboliques (le sort de Stéphane Moreau) n’ont toujours pas été posées, ce qui dégrade la valeur de l’ensemble et menace les 3 000 emplois concernés.
Publifin, la poubelle et le frigidaire
Mais ce n’est pas fini parce que, depuis lors, depuis cette fin 2016 où commença 2017, sous chaque intercommunale, dans chaque institution, pour chaque organisme d’intérêt public couve l’incendie. Qu’un mandataire, un jour, ait fauté, et on le saura. On le saura, on le dira, et le scandale explosera. Toujours selon les mêmes termes. Ceux de cette figure qu’on appelle l’antonomase, et qui transforme les noms propres en noms communs, comme la poubelle du préfet Poubelle ou le frigidaire de la société Frigidaire. Publifin est entré dans ce référentiel depuis ce jour de décembre 2016 qui vit naître 2017, l’année de tous les scandales. Depuis que la tête dure de Cédric Halin tapa ce soir-là sur la porte du coffre-fort de la rue Louvrex, à Liège, le monde politique francophone devint un vaste Publifin.
On trouva un Publifin-sur-Sambre dans les hôpitaux de l’Intercommunale de santé publique du Pays de Charleroi, présidée par des réformateurs depuis douze ans, mais dont les directeurs général Laurent Levêque et médical, Philippe Lejeune, socialistes, furent emportés par la crise. Le premier, proche de Paul Magnette, n’avait pu, ou voulu, mettre fin à un régime illégal de perception de doubles jetons de présence par les administrateurs dont on lui avait pourtant signalé l’irrégularité. Le second, bourgmestre de Merbes-le- Château, avait signé une convention qui le gratifiait – enfin qui gratifiait la société qu’il avait constituée à cette fin – d’émoluments supérieurs aux plafonds légaux.
L’opposition montoise, elle, débusqua plusieurs Publifin-sur-Haine-et-Trouille, et en annonce de prochains, tous censés confluer vers le bourgmestre-président de parti. Le cumul du directeur général du Lotto Mons Expo et trésorier du Parti socialiste, le Tennoodois Henry Goffin avec un poste de direction au Micx, centre de congrès montois à concession privée, l’apparence éclatante d’un conflit d’intérêts et la révélation des conditions salariales afférentes le poussèrent à la démission. Henry Goffin mit fin à ses jours en juin.
Un an avant, déjà, le remugle d’un affluent mosan de Publifin avait pris la gorge de l’opinion. Alain Mathot, bourgmestre PS de Seraing, impliqué dans une affaire de corruption menée avec une fougue devenue proverbiale par le procureur général de Liège, Christian De Valkeneer, avait évité les affres d’un procès ouvert, le 5 décembre, à Liège. Figure centrale de l’attribution du marché de la construction d’un incinérateur à déchets par l’intercommunale Intradel, confondu par des indices révélés, notamment, par Le Vif/L’Express, Alain Mathot a pu profiter de la solidarité de certains de ses collègues députés, dont ceux de la N-VA, critiques des méthodes de la justice liégeoise, pour faire valoir son immunité parlementaire. Est-il définitivement sauvé des eaux tristes pour autant ? On parierait bien que non.
L’antonomase n’est pas qu’une formule wallonne. Il y eut un Publifin du nord, aussi, dans cette Flandre qui ne pouvait pas être en reste. La holding Publipart, dont la ville de Gand était actionnaire avec Publifin, distribuait également de généreux montants à ses mandataires, dont deux échevins, un libéral, un socialiste, de la majorité gantoise. Chef de l’opposition municipale, le président N-VA de la Chambre, Siegfried Bracke, en fit des montagnes. Il en retomba avec fracas lorsqu’on lui découvrit un cumul avec une fonction bien rémunérée de consultant pour Telenet, à laquelle il dut piteusement renoncer… C’est aujourd’hui de la Lys vers l’Escaut que débouche le Publifin flamand. La courtoise participation du bourgmestre scaldéen Bart De Wever, avec presque tout son collège, à la fête d’anniversaire d’un puissant promoteur immobilier anversois, par ailleurs en affaires avec la galaxie Publifin, a contraint le président du plus grand parti du pays à une très lacrymale mais moyennement convaincante mise au point. On en reparlera encore en 2018, et probablement de plus en plus.
Et puis, on baigne dans Publifin-sur-Geleytsbeek, aussi, du nom de ce petit ruisseau ucclois qui, comme l’a abondamment documenté Le Vif/L’Express, se jette dans la mer d’Aral. Il est parti de beaucoup plus loin que les bonnes affaires principautaires, mais il mouille de bien plus gros poissons, de Nicolas Sarkozy à Armand De Decker, de Serge Kubla à Claude Guéant et, surtout, aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire du royaume de Belgique, suspects d’avoir voté et appliqué une loi sur mesure pour un milliardaire naturalisé belge et domicilié à Waterloo, Patokh Chodiev, de mèche avec le pouvoir kazakh. Gigantesque dans ses implications, complexe dans ses ramifications, le Kazakhgate, dont la commission d’enquête parlementaire acceptée par une majorité fédérale inquiète n’a pas encore tiré ses impossibles conclusions, n’a pas eu l’impact des prévarications liégeoises sur l’opinion.
Le Publifin sous la butte, par lequel Serge Kubla avait dû quitter le mayorat de Waterloo n’a, lui non plus toujours pas livré tous ses secrets. Mais un bon procès de l’ancien ministre wallon, en aveu de blanchiment et dont les biens ont été saisis préventivement, pourrait mieux valoir qu’une mauvaise commission d’enquête. On en parla, à la fin de l’été, et on en reparlera.
Mais entre-temps, 2017 avait vu éclater le Publifin-sur-Senne. Un incendie aux belles flammes d’un rouge pur. Si lisible, si caricatural même, qu’il en vint à contester le privilège liégeois de l’antonomase, au point qu’on se demanderait bien si Publifin, finalement, n’était pas un Samusocial-sur-Meuse. On connaît son ressort : Yvan Mayeur (PS), avec Pascale Peraïta, percevaient des rémunérations, abondées de dons et de subventions, pour diriger cette structure, prétendument privée, d’accueil d’urgences aux sans-abris. Le feu s’étendit. Un bourgmestre démissionna, une commission d’enquête, que les socialistes n’avaient pas osé refuser, s’installa. Des dirigeants s’accrochèrent. Des réformes s’annoncèrent. On en parle encore et ce n’est pas fini.
Ce n’est pas fini parce que c’est Bruxelles, désormais, qui est concernée, et que les seuls journalistes, et la seule opposition, ne sont plus simplement francophones. La ville-capitale va prolonger longtemps son 2017 tout feu tout flamme. Déjà, à la lisière de l’échec du stade national, revient dans l’actualité ce projet Neo, ses consultants et ses administrateurs, ses objectifs louables et ses implications fumeuses, après des Cuisines bruxelloises qui ne furent qu’un apéritif parmi d’autres et malgré les nouvelles mesures, plus strictes et plus économes, imposées par le successeur d’Yvan Mayeur, Philippe Close. Et la Région-Capitale n’a pas fini de marcher sur les braises, sa complexité institutionnelle et une forme d’indolence administrative – la directive sur la transparence a mis dix ans à être (un peu) appliquée ! – l’exposant assez violemment à toutes sortes de retours de flamme, attisés par exemple par les pompiers du Siamu.
Sous le bac à sable, le brasier
Ce n’était donc pas 2017. C’est encore 2017. Et puis, des gouvernements tombèrent. Enfin, un, le wallon, et ce fut une conséquence directe de cette année de tous les scandales. Les partis, soucieux de préserver leur réputation d’intégrité, choisirent en effet de tenter d’enfouir le bûcher sous le bac à sable. En toute logique, Benoît Lutgen, le chef du CDH – qui avait conclu des accords de gouvernement en 2014 à Bruxelles avec le PS d’Yvan Mayeur et de Pascale Peraïta, dont on connaissait alors déjà les peu glorieuses implications dans le Samusocial, et en Wallonie avec le PS de Stéphane Moreau et d’André Gilles, qui étaient déjà qualifiés de Berlusconi wallons -, choisit l’été dernier de rompre avec le PS qui avait exclu André Gilles, dont Stéphane Moreau avait démissionné, et avec le PS qui avait forcé Yvan Mayeur à la démission et qui allait exclure Pascale Peraïta, au prétexte qu’il ne prenait pas assez de mesures contre ses parvenus.
En toute logique, Dominique Drion, patron du CDH liégeois et partenaire éternel de Gilles et Moreau à Publifin, ne fut pas inquiété par son président de parti. Il vient de quitter le CDH avec les remerciements de la Liégeoise Alda Greoli pour services rendus.
En toute logique, le PS hurla à la trahison, reprocha au traître de ne pas avoir attendu un peu qu’il fasse ce qu’il promettait de faire depuis dix ans au moins.
En toute logique, après ça, le PS se démultiplia pour rester en coalition, à Bruxelles et en Fédération Wallonie-Bruxelles, avec un traître.
En toute logique, le MR, dont Armand De Decker, Serge Kubla et Georges Pire (le Dominique Drion réformateur) sont encore membres, dénonça la mollesse des deux partis scotchés depuis tant d’années.
En toute logique, le MR, qui avait réclamé en 2016 la démission du CDH Carlo Di Antonio parce qu’il avait, comme ministre, exproprié une parcelle dont il était, comme promoteur immobilier, propriétaire, ne réclama pas la démission de Carlo Di Antonio lorsqu’il apparut qu’il avait, comme ministre, donné un subside à des collaboratrices pour organiser un salon qu’il aida, comme bourgmestre empêché, et qu’il visita, comme invité d’honneur.
En toute logique, ces partis historiques, que ces scandales voilèrent au mieux de ridicule, au pire d’infamie, souffrent d’un important discrédit, plus important, disent les sondages, pour le PS et le CDH que pour le MR.
En toute logique, on trouva un Ecolo qui ne siégeait pas à l’Ondraf, et une autre qui ne siégeait pas à la Cile, on rappela qu’Olivier Maingain (DéFI) cumulait beaucoup et depuis longtemps, on débusqua un député PTB en arrêt maladie qui travaillait à la rénovation de son habitation.
En toute logique, jamais le climat n’a été aussi incendiaire, jamais les flammes de l’antipolitisme n’ont atteint d’aussi hauts sommets. Aujourd’hui, fin 2017, alors que plus personne ou presque ne s’inquiète des enjeux de notre temps, du climat, des inégalités, de l’insécurité, tout le monde s’occupe de bouder tout le monde.
Le PS boude le CDH, le CDH boude DéFI, DéFI boude le MR, le MR boude le PTB, le PTB boude Ecolo, et tout le monde dit qu’il boude la N-VA.
Les médias boudent les politiques.
Les politiques boudent les médias.
Les citoyens boudent les politiques et les médias.
Les citoyens boudent même les initiatives citoyennes qui boudent les politiques et les médias.
Et il va falloir faire quelque chose de toutes ces bouderies. Quoi ?
Personne n’en sait rien. A coup sûr, 2017 ne se terminera pas ce 31 décembre. Elle ira peut-être même jusqu’à longtemps après mai 2019.
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