Rue de la Colline, à Verviers. © Belga

Pourquoi Verviers ?

Si Verviers a été longtemps le laboratoire du « vivre ensemble », la situation a fini par dégénérer par excès d’angélisme.

Ville de 56 000 habitants autrefois prospère, fondée sur le commerce international de la laine, jadis culturellement accueillante à l’égard des étrangers, riches ou pauvres, Verviers est une petite « grande ville » dont le déclin économique (taux de chômage : 25 %) a fixé sur le territoire une somme impressionnante de défis sociaux. A l’image de ce parc locatif très dégradé, qui attire les plus pauvres de Wallonie, mais qui offre aussi un abri à des ressortissants de communautés étrangères parfois fort remuants.

Plus de cent nationalités différentes sont représentées à Verviers. Précisément à cause de son caractère ouvert et social, mais aussi de la proximité avec les frontières allemande et hollandaise, Verviers a toujours été le laboratoire de multiples mouvements rebelles, à commencer, au XIXe siècle, par le marxisme. Kurdes du PKK, Loups gris turcs, Algériens du FIS (Front islamique du salut) et des GIA (Groupes islamiques armés), Marocains du GICM (Groupe islamique combattant marocain), Frères musulmans (qui y disposent de la plus importante mosquée de Wallonie), Tchétchènes fuyant la répression russe, Somaliens trafiquant du khat (drogue) et entretenant d’étrangers relations avec les pirates somaliens (c’est un Verviétois qui a servi de « fixeur » aux journalistes d’Envoyé spécial, de France 2, en 2008) ; salafistes de la plus stricte observance, qui n’hésitent pas à donner à l’un de leur futur centre culturel le nom du théologien médiéval Ibn Taymiyya, référence idéologique de l’Etat islamique, au nom duquel il faut tuer les chiites et les Alaouites syriens… Avertis, stupéfaits et indignés, ces salafistes ont néanmoins changé le nom de leur projet. Mais leur faim immobilière ne s’est pas apaisée. Ils viennent d’acheter les anciens locaux de Télépro, édité à Verviers, dans le quartier Saint-Remacle.

Lors des premiers procès islamistes à Bruxelles (GIA, GICM), dans le courant des années 1990 et au début des années 2000, il n’était pas rare, voire même habituel, de retrouver des habitants de Verviers insérés dans des réseaux internationaux, davantage fondés, à l’époque, sur une communauté d’appartenance nationale : Algériens, Marocains… Au fil des guerres de Bosnie et d’Afghanistan, auxquelles prirent part les premiers « combattants étrangers », ces réseaux se sont internationalisés. Mais Verviers resta toujours un « hotspot » de l’extrémisme. Après les attentats de Madrid (2004), le premier coup de fil des terroristes fut pour un habitant de la ville… La proximité des frontières allemande et hollandaise a joué un rôle certain dans la floraison de ce radicalisme protéiforme. L’importante minorité turque d’Allemagne a exporté ou servi de relais aux divers extrémismes turcs : Kurdes du PKK, Loups gris (nationalistes d’extrême-droite), Milli Görus (courant politico- religieux dont le radicalisme et les dons en provenance d’Europe ont stimulé et financé l’accession au pouvoir de l’AKP d’Erdogan, l’actuel président turc en pleine dérive autoritaire). Les Tchétchènes se sont fixés principalement à Verviers (500 dans tout l’arrondissement) autour de quelques familles dirigeantes et de la pratique intensive des arts martiaux : une culture de combat développé dans une salle de sport verviétoise flanquant la piscine communale, pour l’accès de laquelle ils avaient des facilités. Certains d’entre eux ont été le vecteur d’une radicalisation à outrance, poussant à des actes de violence lorsqu’un certain code de l’honneur n’était pas respecté. Un homme a été ainsi traduit en justice parce qu’il avait voulu régler par la force le différent que l’opposait à un autre mâle dominant qui lui reprochait de laisser trop de liberté à sa femme. Ce n’est pas un hasard si le parquet de Verviers est devenu pilote en matière de lutte contre les mariages forcés-arrangés et les crimes d’honneur. L’expérience de ces situations familiales y est concrète, comme l’a démontré le petit livre Insoumise et dévoilée (réédition chez Luc Pire) de la Verviétoise Karima, en 2008.

Frères musulmans à Verviers

En 2008, Le Vif/L’Express avait dévoilé le rapport de la fondation conservatrice américaine Nefa (Le Vif/L’Express du 25 avril 2008). Elle détaillait la forte implantation des Frères musulmans à Verviers, compte tenu de la proximité d’Aix-la-Chapelle, où la branche syrienne des Frères musulmans s’est établie, après la répression terrible (20 000 victimes) de la révolte de Hama, en 1982, par le régime d’Hafez el- Assad. Aujourd’hui, les Frères musulmans de Verviers, qui contrôlent la mosquée Assahaba, la plus importante de Wallonie, où l’évêque de Liège, Jean-Pierre Delville, priait lors de l’interpellation des djihadistes de la rue de la Colline, passent pour des modérés… La publication de cet article nous avait valu une volée de critiques journalistique et académique, alors qu’il ne faisait que relater des liens et des faits, en s’attaquant à la vache sacrée de l’islamisme consensuel. En effet, si les Frères musulmans, en Belgique, n’appellent pas à la violence, ils entretiennent en permanence un climat d’insatisfaction et de victimisation auprès de leurs ouailles, avec une obsession pour Israël qui n’est pas neutre. Leur réseau a collecté beaucoup d’argent via la fondation Al-Aqsa Humanitaire, aujourd’hui Aksahum (600 000 euros en 2008). Selon certaines analyses allemandes, cet argent allait directement au Hamas. Le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Louis Michel (MR), n’avait pas voulu mettre cette organisation sur une liste noire. Elle a continué à collecter… Actuellement, les liens financiers entre les Frères musulmans et le Qatar sont avérés. Ils portent sur plusieurs centaines de milliers d’euros.

Dans un autre article, Le Vif/L’Express avait mis en évidence la dangerosité potentielle de certaines activités tchétchènes, tant dans le domaine du banditisme que du terrorisme (17 août 2012). Une officine musulmane prompte à dénoncer « l’islamophobie » avait déposé plainte au Conseil de déontologie de l’Association des journalistes de Belgique, qui nous avait donné raison et souligné le traitement nuancé du sujet. Une autre « polémiquette » avait encore agité le Landerneau verviétois lorsque nous avions fait la remarque que sur les 13 membres de Sharia4Belgium manifestant à Bruxelles, le 3 août 2012, en faveur de la minorité musulmane de Birmanie, quatre provenaient de Verviers, tous d’origine marocaine.

Pour la classe politique locale, pas facile d’admettre que trop d’angélisme ou de laxisme (sans compter le soupçon d’électoralisme) ont encouragé l’expression de spécificités contraires, à long terme, au vivre ensemble. Comme le port du voile pour des fillettes de cinq ans dans certaines écoles communales (Le Vif/L’Express du 18 septembre 2009), interdit depuis. Le PS a fait les frais d’un basculement de l’opinion publique, lors des élections d’octobre 2012. La majorité CDH-MR actuellement au pouvoir n’est pas pour autant sortie du gué. En effet, les communautés ont pris l’habitude de réagir sur un mode… communautaire. La semaine dernière, le 7 janvier, un déséquilibré d’origine turc a été abattu par un policier, alors qu’il se promenait avec un couteau, en prononçant des paroles interprétées comme menaçantes. Le clan auquel appartenait la victime s’est mobilisé et a reçu le renfort d’un député turc de l’AKP, venu expressément à Verviers, et qui a déclaré : « Pour moi, c’est un meurtre », tout en exprimant sa confiance à la justice belge et en promettant de suivre le dossier d’Ankara. Même si l’enquête judiciaire conclut à la bavure, cette immixtion étrangère montre, à tout le moins, où le vrai pouvoir se situe quand il s’agit de ramener le calme dans une communauté en ébullition.

Verviers se savait menacée par un attentat – qui n’a heureusement pas eu lieu-, en raison du retour de 9 ou 10 jeunes djihadistes de Syrie. Ils étaient surveillés comme le lait sur le feu, d’où l’intervention d’hier. La ville se retrouve cependant avec les mêmes questions : comment regagner pacifiquement et, sans doute, avec des moyens policiers et d’intelligence (renseignement), le terrain laissé aux identités sécessionnistes.

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