Des terrasses qui masquent souvent des façades classées. © DR

Pourquoi les terrasses fermées du centre de Liège se retrouvent dans le collimateur de l’Agence wallonne du patrimoine

Le Vif

Installées sans permis ni égard pour l’espace public, les terrasses fermées du centre-ville sont dans le collimateur de l’Agence wallonne du patrimoine, qui réclame leur démontage depuis décembre 2018, et de la Ville. Pas si simple.

Atant baisser le nez pour slalomer entre les déjections canines et les déchets sur les pavés, on en oublierait presque de regarder en face les terrasses fermées, emblème monumental s’il en est de l’incivisme liégeois ! Inciviques, des lieux de convivialité qui rassemblent locaux et touristes de la place du Marché à la place des Carmes en passant par la place Cathédrale ? Le terme peut sembler fort, injuste même, mais voyez plutôt : érigées sans permis, ces terrasses qui tiennent plus de la véranda XXL masquent sans vergogne des façades parfois classées et forcent les touristes à se contorsionner place du Marché pour admirer les vestiges architecturaux du patrimoine mosan liégeois.

Pire, encore : ces constructions faites en dépit du bon sens le sont souvent aussi sans respect pour les personnes à mobilité réduite, contraintes d’emprunter des détours pour éviter des trottoirs rendus trop étroits par les terrasses. Mi-décembre 2018, coup de théâtre : l’Agence wallonne du patrimoine (AWP) décide d’agir et exige le démontage des terrasses. Des extensions illégales, dont l’AWP affirme en outre qu’elles n’auraient jamais été autorisées si les commerçants avaient suivi la procédure puisqu’elles empêchent de voir des façades classées. Et Raphaël Pilette, l’architecte de l’AWP, de dénoncer au micro de la RTBF des dérogations  » à une liste d’articles longue comme le bras du code du patrimoine « .

Tolérance tacite

Côté cafetiers, on évoque une tolérance tacite. Et on rappelle l’importance de proposer un espace protégé aux fumeurs maintenant qu’il est interdit de fumer dans les cafés. En réponse à Raphaël Pilette, un commerçant de la place du Marché souligne que les pergolas ont été installées pour  » embellir l’endroit « . Et s’il concède  » ne pas penser  » que l’autorisation ait été accordée, il affirme que sa terrasse  » était tolérée « .

Egalement dans le viseur de l’AWP : les enseignes de ces mêmes restaurants et cafés, souvent plus imposantes que les dimensions admises, et surplombant les terrasses couvertes, achevant ainsi de masquer les façades classées. Au printemps 2019, nouveau rebondissement : la presse liégeoise fait écho des mésaventures de l’Amuse-Bouche,  » première victime des enseignes illégales « . La Meuse qualifie le restaurant de  » premier, et sans doute pas le dernier  » à devoir fermer ses portes à cause du coût de la régularisation des enseignes de sa façade.

C’en est trop pour Christine Defraigne, fraîchement nommée échevine de l’urbanisme, qui répond à ces accusations avec le franc-parler qui la caractérise. L’élue MR refuse que la Ville serve de  » bouc-émissaire « , rappelant que L’Amuse-Bouche  » subissait des pertes lourdes depuis 2015 « . Et d’ajouter qu' » il ne faut pas tout mélanger et faire porter le chapeau à d’autres « . Six mois plus tard, les esprits ont eu le temps de refroidir et le propos est quelque peu apaisé. Même si la gestion de la problématique des terrasses illégales reste délicate, malgré un nouveau règlement voté ces derniers jours.

 » Nous héritions d’une situation complexe, estime Christine Defraigne. Nous devions essayer de remettre de l’ordre en permettant aux uns et aux autres de survivre. Je ne peux pas parler pour mes prédécesseurs, mais le constat est là : le règlement concernant les terrasses n’a pas été respecté, les demandes d’autorisation n’ont pas été suivies, et cela a amené une certaine anarchie dans la ville.  » Une situation que ne nie pas Jean-Luc Vasseur, président du Commerce Liégeois.  » Il y avait une réglementation, on en a tous connaissance, et il y a un moment où il faut un respect des règles, reconnaît-il. Maintenant, le fait que la Ville avait laissé les commerçants empiéter pendant des années implique qu’il faut aussi leur laisser le temps de régulariser la situation. On met l’accent sur la place du Marché, mais place Cathédrale, c’est pareil.  »

Retrouver l’apaisement

Une maigre consolation pour les établissements dont les terrasses fermées vont devoir être démontées, leur personnel affirmant d’une seule et même voix que la disparition de ces espaces dédiés au fumeur pourrait bien sonner le glas de leurs commerces. Alors, il s’agit de faire preuve de patience et de délicatesse pour que le respect d’une réglementation bafouée ne se fasse pas au prix d’un pan entier de l’activité économique du centre-ville.

 » On a décidé de travailler au cas par cas, parce que les situations ne sont pas les mêmes suivant qu’on se trouve place du Marché, place Cathédrale ou place des Carmes, explique Christine Defraigne. Il faut faire la balance entre les intérêts économiques des cafetiers et des restaurateurs, la sécurité publique et l’apaisement de l’espace urbain. Bien sûr qu’on ne veut pas que les établissements soient contraints de mettre la clé sous le paillasson : c’est important pour l’économie mais aussi et surtout pour la convivialité de notre ville.  » Dont acte : contrairement à ce que le règlement exige, la Ville a ainsi pris la décision de ne pas doubler le montant des amendes en ce qui concerne les biens immobiliers classés.

Le nouveau règlement stipule par ailleurs que  » la terrasse principale d’un établissement ne peut pas dépasser la largeur de la façade à rue, un passage doit être maintenu pour les personnes en situation de handicap et on ne peut pas s’approprier le domaine public, ni de manière visuelle ni de manière effective « . Fini, donc, de construire des vérandas ou des espaces bétonnés.

Par Kathleen Wuyard et Clément Jadot

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