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Pourquoi la saga bruxelloise révèle le profond malaise au sein de l’Open VLD

Muriel Lefevre

L’approbation de l’accord pour le gouvernement bruxellois a abouti à une déclaration unilatérale d’indépendance par la section bruxelloise de l’Open VLD. Mais cette rebuffade révèle surtout à quel point le malaise est grand chez les libéraux flamands.

« Il y a des tensions en interne » dit Sven Gatz. Il est rare que les politiciens admettent que leur popote interne tourne à l’aigre. Habituellement, on noie le poisson ou on enjolive. Mais rien de tout çà pour le ministre bruxellois de l’Open VLD. Après que la direction nationale du parti ait imposé le silence radio et que la présidente Gwendolyn Rutten semble s’être désintéressée de la chose, il trouve que ces désaccords ne devaient plus être cachés. Et ils sont nombreux.

Le parti trouve que les négociateurs Gatz et Guy Vanhengel sont trop têtus, trop prompts à prêcher pour leur seule chapelle. Rutten avait pour ambition de faire revenir le MR dans le gouvernement bruxellois. Ce qui est possible en Wallonie devrait aussi pouvoir l’être à Bruxelles, non ? Les autres partenaires de la coalition, écolo en particulier, n’ont guère gouté ce point de vue. Selon des sources proches du dossier, Gatz et son collègue négociateur Guy Vanhengel l’ont joué « solo » en décidant d’abandonner leurs exigences pour tout de même monter à bord. « Le blue bluff poker ou l’Open VLD a tenté jusqu’à cinq fois de hisser le MR à bord a échoué. A un moment donné, il faut choisir le camp de sa ville « , dit Gatz qui est maintenant ministre bruxellois dans une coalition dominée par des partis progressistes de gauche.

« Si tu ne veux pas comprendre, tu vas le sentir »

Ce coup de poignard dans le dos de Rutten (il semble que ce soit la marque de fabrique de Gatz qui aurait fait le même genre de coup à Bert Anciaux), ne restera pas impuni. Le fait que ce soit Rutten qui, il y a cinq ans, est allé chercher Gatz chez la Fédération des Brasseurs belges pour en faire un ministre flamand rend sa démarche encore moins digeste selon certains de ses collègues du parti.

Gatz va subir les foudres de sa présidente de parti et perd presque tous ses pouvoirs de ministre flamand (médias, culture, jeunesse et vice-premier ministre) au profit de Lydia Peeters, ministre de l’Open Vld. Seul lui reste son portefeuille au sein de Brussels Affairs. Et ce dernier point n’est pas une clémence du parti, mais parce que le poste exige d’être un habitant de Bruxelles. « On aurait dû trouver un autre remplaçant rien que pour cela et on n’est pas au cirque ». Le message est limpide : il vient d’être mis sur la sellette, si pas au coin.

« Si tu ne veux pas comprendre, tu vas le sentir ». « Un adage que je ne contredis pas » répondra Gatz sèchement au Standaard et rajoute, « ce mandat flamand n’est pas le mien, j’ai été autorisé à l’exercer pendant cinq ans, mais je comprends que la présidente voulait que quelqu’un d’autre agisse en tant que vice-ministre-président ». Il ne nie pas non plus la rupture de confiance entre lui et Rutten. « Mais rien ne m’empêche de ne plus défendre que les intérêts de Bruxelles. »

C’est donc désormais la guerre ouverte entre Gwendolyn Rutten, présidente de Open Vld, et Sven Gatz. C’est déjà la deuxième fois depuis les élections décevantes du 26 mai que l’on sape ouvertement l’autorité de Ruthen.

Gatz et Rutten au temps où l'ambiance était encore bonne
Gatz et Rutten au temps où l’ambiance était encore bonne © Belga

Le mois dernier, Francesco Vanderjeugd, a annoncé sa candidature à la présidence bien que ce poste ne soit pas vacant. Le parti n’organise en effet de nouvelles élections présidentielles qu’en mars 2020. Le même Vanderjeugd va, après les manoeuvres de Gatz et Vanhengel, voir l’opportunité de plomber Rutten encore plus. Selon lui, Rutten n’a pas actuellement suffisamment de soutien pour mener les négociations gouvernementales pour les libéraux: « Nous avons besoin d’un nouveau président. » Il va encore en rajouter une couche dans Het Nieuwsblad en demandant que les élections soient même avancées.

Vanderjeugd
Vanderjeugd© belga

Une période sombre pour le parti

Car si pour l’instant, ce sont là les deux seules salves de critiques et au sommet on affiche encore un front commun de façade. Mais pour combien de temps ? Car l’épisode de Bruxelles et celui de Vanderjeugd est inextricablement lié au malaise plus général qui règne chez les libéraux flamands. Un mal bien plus profond et durable que ces crisettes.

Bien que l’Open VLD a perdu les élections, il n’a pas autant perdu que les autres partis au pouvoir. Un débat sur l’avenir du libéralisme gronde en coulisse et les avis divergent largement quant à la direction à prendre. Comme dans chaque parti, il existe différents courants au sein de l’Open VLD. Et « même en serrant les vis, lorsqu’un parti est mal dans sa peau, les cinquante nuances de bleu ne sont plus un atout, mais une plaie » dire encore De Standaard.

Chez plusieurs libéraux domine aussi l’idée que la participation au gouvernement Michel n’a pas suffisamment « rapporté ». Il y a eu beaucoup de bisbilles et l’utra populaire Maggie De Block a moins brillé au ministère de la Santé qu’elle ne l’avait fait à l’asile. En Flandre aussi le parti a souffert de la très mauvaise image de la Tuteltaxe sur l’énergie. Rutten avait à peine réussi à faire entrer son parti au gouvernement flamand. En signant un accord de coalition presque aveuglément, le partenaire de coalition mathématiquement superflu n’avait que peu de poids.

Pourquoi la saga bruxelloise révèle le profond malaise au sein de l'Open VLD
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Du coup, ils sont de plus en plus nombreux à penser qu’être là pour être là ne suffira pas. De quoi envisager de ne rejoindre un gouvernement qu’en cas de points libéraux clairs à l’agenda. Si l’accord de coalition n’en offre pas, ils iront dans l’opposition. Mais cette idée ne rencontre pas un engouement général en interne. Rutten elle-même espère un poste pour partir en beauté, et d’autres pontes du parti ont hâte de gouverner. Après tout l’Open VLD est et reste un parti au pouvoir et cela rend presque impensable d’opter de son plein gré pour une cure d’opposition.

Une autre question tout aussi sensible est la formation d’un gouvernement flamand minoritaire. Un peu plus d’une semaine avant les élections, Rutten avait laissé tomber l’idée qu’une telle composition n’était pas souhaitée, mais en même temps possible. Cela a fait froncer les sourcils d’un certain nombre de libéraux.

Il est vrai que plusieurs libéraux flamands sont passés à la N-VA, beaucoup plus grande et puissante. Des gens comme Annick De Ridder, Ludo Van Campenhout et Jean-Marie Dedecker se sentent à l’aise avec les nationalistes flamands. Mais au-delà des affinités chez certains, il n’est de toute pas facile pour les libéraux de laisser tomber la N-VA, un parti auquel tourner le dos demande du courage politique. Le problème du Vlaams Belang se pose également. Plusieurs membres du parti, dont un ancien député comme Luk Van Biesen et – une fois de plus – Francesco Vanderjeugd, se sont dit surpris par le refus immédiat de Rutten d’entamer des discussions avec Tom Van Grieken and Co, les grands vainqueurs de la mère des élections.

Et de toute façon ce que Rutten fait ou dit fait l’objet de critiques de plus en plus virulentes. Sa position de moins en moins assurée pourrait être le troisième clou de son cercueil politique. Tout comme Wouter Beke au CD&V, Rutten dirige un parti qui est en perte électorale. Si aux sorties des urnes le parti avait adoubé Rutten pour mener les négociations à bon terme, maintenant qu’elles traînent à divers niveaux, les nerfs se crispent dans les rangs. Une crispation qui avait déjà été nourrie lorsqu’elle s’est présentée comme candidate au poste de Premier ministre au beau milieu de la campagne électorale. Le fait que son score personnel en Brabant flamand ait baissé par rapport à 2014 n’aide pas non plus. En termes de poids personnel, par exemple, un Alexander De Croo est beaucoup plus fort.

Cette position affaiblie de président a dû jouer un rôle dans la décision de Gatz et Vanhengel. Car, oui, le bastion de Bruxelles a toujours été têtu, mais une course en solo est toujours plus facile si votre boss a peu de crédit. Cette rebuffade n’engage donc rien de bon pour les négociations aux autres niveaux. Un président de parti avec beaucoup d’autorité personnelle peut forcer sa chance et changer la donne. Et qui a encore peur de Gwendolyn Rutten ?

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