© Antonin Weber

Portrait de Nicolas Godelet: sa plus grosse claque, ses plus gros risques, son mantra

En débarquant tout jeune en Chine, l’architecte Nicolas Godelet a d’abord voulu s’intégrer à la communauté. Le travail qu’il a ensuite trouvé l’a amené à participer à la construction d’édifices grandioses, notamment pour les derniers JO d’hiver.

D’aucuns confessent avoir développé leur créativité, leur culture générale et leurs rêves grâce à l’univers de Tintin. Nicolas Godelet, lui, l’a fait à travers les bandes dessinées de Jonathan et, surtout, de Corto Maltese. A l’instar du marin italien, l’architecte namurois a rapidement décidé de parcourir le monde. Souvent seul, parfois bien accompagné, toujours avec cette volonté de rencontrer qui il veut et d’expérimenter ce qu’il veut. « J’aime bien Corto parce qu’il est libre, confirme le quadragénaire, installé sous la pyramide lumineuse qui abrite son bureau à Dorinne, près d’Yvoir. Il n’a aucun a priori, il adore les femmes et puis, c’est un aventurier: rien ne peut l’arrêter, il sait se défendre. Moi, j’ai pratiqué des sports de combat, mais je n’y ai jamais eu recours, je suis finalement resté plus diplomate que lui. De toute façon, les voyages forcent à côtoyer des gens d’un autre avis et à ne pas rentrer directement dans le conflit. »

Né dans les Alpes suisses, élevé dans la campagne condruzienne et habitué à bourlinguer avec ses parents, Jean-Paul et Annie, Nicolas ne surprend en réalité pas grand monde quand il décide de s’installer en Chine au tournant du millénaire. Attiré par l’histoire du pays et soutenu par une bourse du gouvernement chinois, tout juste diplômé en tant qu’ingénieur architecte, il part perfectionner son mandarin. L’ empire du Milieu est alors à un moment charnière, celui qui fait suite aux manifestations de la place Tiananmen de 1989 et à l’ouverture à l’économie de marché et aux Occidentaux à partir de la décennie suivante. « Les choses se sont accélérées quand Pékin fut désignée ville-hôte des JO de 2008. D’un coup, le monde entier allait se retrouver en Chine. Mais tout restait à faire: les stades, les TGV, les routes… A l’issue de mon année comme boursier, je me suis trouvé au bon endroit au bon moment, surtout en tant que jeune homme parlant chinois. » Il trouve du travail chez Anthony Béchu, un des grands noms français de l’art de bâtir, occupé sur un projet à Shanghai et qui lui laisse rapidement carte blanche pour monter une équipe de douze personnes. A 27 ans à peine.

Sa plus grosse claque:

Avoir accepté de relever des défis de projets d’envergure sans être certain de pouvoir les réaliser. »

En parallèle, il est consultant sur le chantier du stade national dessiné par les « starchitectes » suisses Werner Herzog et Pierre de Meuron, et sur celui du grand Théâtre national imaginé par Paul Andreu. « A l’époque, l’architecture à Pékin devait s’inspirer de la culture ancienne (Ming, Qing ou néoclassique) ou stalinienne. Tout d’un coup, Andreu a débarqué avec cette sorte de bulle installée sur un lac du centre de la capitale. A côté de la Cité interdite et de la mythique porte Zhengyangmen, c’était une abomination aux yeux de nombreux Chinois. Heureusement, le maire de Pékin a eu le courage de soutenir le projet jusqu’au bout. » Dans le privé, le Belge s’adapte plutôt facilement à la vie pékinoise. Son choix de domicile y est pour beaucoup, puisqu’il est installé dans les Hutongs, l’équivalent de la vieille ville. Un quartier populaire où l’on se chauffe au charbon et où les latrines sont à l’extérieur, en rangées, sans siège ni barrière. « Quand tu y vas le matin, tu as intérêt à être fumeur parce que ça pue comme pas possible. Et il ne faut pas être pudique, vu que ton voisin est juste à côté: on échange le journal ou une clope, on compare nos poils de jambe… C’était une vie rude, mais authentique! » Surtout éloignée de celle, très superficielle, de la communauté d’expats, installée dans des résidences luxueuses. « Moi, je n’étais pas prioritairement en Chine pour bosser, mais parce que j’aimais le pays: mon but était de vivre sur place, d’avoir des contacts avec la communauté, de pratiquer la langue. »

Son mantra:

Aucun rêve n’en est un si tu en parles. »

Le virus de la découverte

Dès l’enfance, Nicolas Godelet passe des week-ends entiers à dormir dehors, pêcher et construire des cabanes, mais c’est à 15 ans qu’il laisse sa curiosité s’exprimer pleinement pour la première fois en prévoyant un voyage en stop avec trois amis. « J’étais assez indépendant et je gagnais mon argent de poche avec des dessins, des peintures à l’huile ou en faisant la plonge dans le resto familial, donc mes parents m’ont fait confiance. » Pas ceux de ses potes, qui l’obligent à partir seul, direction Marbella, Gibraltar, puis l’enclave espagnole de Ceuta, sur la côte nord de l’ Afrique. A l’instar de Corto Maltese, il veut atteindre le continent… mais lui se fait jeter du bus à la frontière marocaine, faute de passeport. « Ce fut un premier périple stressant et dangereux. Je me suis fait attaquer trois fois, dont une au couteau. » Nicolas, qui planque son argent dans son caleçon, se fait piquer son portefeuille avec sa carte d’identité. Il a néanmoins la présence d’esprit de demander à son assaillant de la lui rendre, pour pouvoir continuer à circuler. « Avec un sac de vingt kilos sur le dos, tu ne peux rien faire à part rester calme. Après, j’ai dû passer trois heures dans une église pour encaisser le coup. » Certes un peu traumatisé, le jeune homme est surtout définitivement piqué par le virus de la découverte. L’année suivante, il parcourt la Laponie pendant trois mois et celle d’après, l’Himalaya.

Portrait de Nicolas Godelet: sa plus grosse claque, ses plus gros risques, son mantra
© Antonin Weber

Plus tard, cette même soif d’indépendance le mène, cinq ans après son arrivée en Chine, à y créer son propre bureau d’architecture. « Ça m’a permis, entre autres, d’accomplir un travail d’urbanisme et de protection d’une ville comme Pingyao, la dernière cité fortifiée encore intacte dans le nord du pays, ou encore de bosser pour Tetra Pak et Coca-Cola, qui cherchaient à réduire leur consommation d’énergie. » Son activité lui permet d’élargir sa palette d’expériences: fabrication, études historiques, protection du patrimoine et même dessin de mobilier. En 2014, il ouvre une succursale en Belgique et son bureau se transforme alors en une plateforme capable de prendre en charge des ponts, des chaussées, le jardin belge présenté à l’Exposition internationale de paysage et d’horticulture à Pékin et un tremplin de saut à ski pour les derniers JO d’hiver.

Son plus gros risque:

En Inde, à 17 ans, j’ai accepté de faire un minitrafic de pierres que je pensais précieuses pour rembourser mon billet d’avion. Je me suis fait avoir: mon compte en banque a été totalement vidé et j’aurais très bien pu me retrouver en prison. »

Bref, on peut dire que tout roule pour le Condrusien jusqu’à ce que survienne le Covid. Les images de l’épidémie de Sras qu’il a connue en Chine lui reviennent en tête et il craint le pire. Il rapatrie alors sa femme et sa fille en Belgique, où il est par ailleurs occupé à retaper le restaurant qu’il vient de racheter à ses parents. « Le confinement nous a fait comprendre que l’on se sentait bien à Dorinne. Ma fille ne devait plus se taper quarante minutes de touk touk pour aller à l’école, on passait d’un environnement de vingt-cinq millions d’habitants à cinq cents… On a décidé de rester. » Aujourd’hui, le quadra gère son bureau chinois depuis la Belgique. Ses collaborateurs fonctionnent en binôme, un collaborateur ici, l’autre là-bas, ce qui permet au bureau, grâce au décalage horaire, de fonctionner 24 heures sur 24. Lui recommence à s’impliquer dans la vie de son village d’enfance: il participe à la fabrication d’un vin local et vient de tracer – gratuitement – les plans de rénovation de l’école primaire pour tenter d’éviter sa délocalisation. Dans les années à venir, il compte progressivement passer le relais du bureau aux plus jeunes pour monter un atelier de coutelier dans son jardin.

Dates clés

  • 1984: « Je visite le Clos Lucé, la maison de Léonard de Vinci à Amboise, en France. »
  • 1990: « Je découvre le peintre Egon Schiele, qui m’ouvre à l’érotisme et m’offre une façon de représenter les choses. »
  • 1994: « J’apprends à vivre avec la mort lors d’un voyage en Inde. J’assiste notamment, sous mes yeux, à un décès. »
  • 2019: « Mon bureau d’architecture termine la réalisation d’un tremplin de saut à ski pour les JO 2022. »
  • 2014: « Je deviens père pour la première fois. Maya signifie « la source » et se comprend de la même façon partout dans le monde. »

Le génie de Léonard de Vinci

Bien connaître et s’approprier l’environnement dans lequel on évolue, en le « pratiquant » concrètement: telle pourrait être la devise de l’architecte depuis qu’il a vécu à Mumbai, chez un ami rencontré lors d’un échange linguistique. A l’époque, il est installé dans un logement de 25 m2, avec la famille. Il estime y avoir plus appris qu’en six mois d’école. « Quand tu es étranger dans un pays, tu es forcément vu comme une poule aux oeufs d’or. Mais quand tu apprends à connaître le véritable prix des fruits, des légumes ou du bétel au marché, ça t’évite de te faire avoir et ça suscite le respect: les conversations sont plus équilibrées. » Après la mégapole de la côte ouest, Nicolas Godelet transite par le Rajasthan, le désert du Thar puis le Ladakh, avec l’ambition de traverser l’Himalaya. Il se dégote un compagnon de route britannique, un guide, une jument et un poulain pour l’accompagner durant les quinze jours de marche, jusqu’à 6 400 mètres d’altitude. « L’Anglais était ingénieur, il étudiait les ponts et les voies d’eau. J’aimais bien le voir faire ses croquis. On a également croisé cinq ou six archéologues qui faisaient les relevés d’un monastère dans un cadre montagneux incroyable. Je retrouvais à travers ces gens un peu du génie de Léonard de Vinci, que j’ai toujours adulé. C’est là que j’ai su ce que je voulais faire de ma vie. »

A la rentrée suivante, il se lance dans des études d’ingénieur architecte à l’UCLouvain, tout en prévoyant un voyage sur le plateau chinois de Pamir, périple qu’il ne peut imaginer accomplir sans parler un mot de mandarin. Il prend des cours et découvre « une langue passionnante, un véritable monde d’idéogrammes. Comme j’ai une mémoire visuelle, j’ai rapidement pu maîtriser l’écriture. L’oral, moins: il y a cinq tons à gérer, dont un neutre. Le son « M » peut signifier « mer », « cheval » ou indiquer une question. » La suite est connue. A peine diplômé, Nicolas passe en quelques semaines de la rénovation d’une maison du Condroz à la création d’un opéra au côté des plus grands spécialistes mondiaux de l’acier. Aujourd’hui de retour sur sa terre natale, le message est toujours le même: « Il n’y a pas de limite au savoir et à ce que l’on peut faire du moment qu’on se concentre pour bien le faire. »

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