© Anthony Dehez

Portrait de Christian Burgess: sa plus grosse claque, ses plus gros risques, son mantra

Comprendre le monde dans lequel il vit et y jouer un rôle, si petit soit-il. Voilà le credo de Christian Burgess, passionné de géopolitique, bénévole auprès des migrants de Calais et footballeur professionnel à l’Union Saint-Gilloise.

Dans la vie de Christian Burgess, tout est une question de temps. De gestion du temps, pour être précis. Habitué à vivre «en dernière minute» pendant une partie de son existence, ce grand gaillard d’1,96 mètre a été amené progressivement, par les contraintes de son boulot, à mieux gérer son organisation. Et notamment à commencer tôt ses journées, comme ce jour d’avril, lorsqu’il quitte Bruxelles à 6 h 30, sa voiture remplie de matériel et d’équipements. Objectif: atteindre Calais deux heures plus tard pour participer au grand tri de l’organisation caritative Care4Calais, où il est bénévole. Ce matin-là, ils sont entre vingt et trente volontaires à se rassembler dans un entrepôt pour apprêter les vêtements, sacs de couchage et autres tentes issus de dons et en état d’utilisation. «Ça, c’est la partie physique, précise Christian. Il y a plus d’interaction durant l’après-midi. On se rend dans les différents camps qui entourent la ville, on distribue le matériel, on sert le café ou le thé, on propose les services d’un coiffeur, on installe des bornes de chargement pour le téléphone, puis on passe du temps avec les migrants. On joue au foot, bien sûr, mais on discute aussi simplement.»

Quitter l’université pour faire du football mon métier à plein-temps.

Son plus gros risque

Le footballeur refuse le cliché du gentil Européen qui débarque en sauveur devant le pauvre petit réfugié du Sud: il veut créer une relation horizontale avec ceux qu’il rencontre et entend contribuer à préserver leur dignité. «Beaucoup, parfois très jeunes, ont vécu d’énormes traumas et ont besoin de quelqu’un à qui parler.» Aujourd’hui, Christian Burgess pourrait se rendre dans le Pas-de-Calais les yeux fermés : il y va tous les deux ou trois mois. La cause lui tient à cœur. Il a l’habitude d’offrir bénévolement de son temps depuis sa jeunesse passée à Londres. D’abord en tant qu’entraîneur de cricket auprès d’enfants, puis au sein du programme de volontariat de son école et, plus tard, dans son club de foot de Portsmouth, très actif auprès des personnes handicapées et des sans-abri. «Pendant la pandémie, nous ne nous entraînions plus, j’ai donc pu m’investir beaucoup en cuisinant, en livrant de la nourriture ou en apportant des prescriptions à des personnes âgées ou isolées.» Le footballeur agit, mais il essaie également de comprendre. Le pourquoi du comment des décisions politiques qui mènent à des situations comme à Calais, par exemple. «C’est important de continuer à apprendre, ça permet de grandir, insiste-t-il. J’aimerais découvrir comment le monde pourrait adopter une politique plus moderne et se détacher des extrémismes.» Le Britannique profite aussi de sa petite popularité sur Twitter pour jouer virtuellement son rôle de modèle en prenant position devant ses 16 000 followers. «Ce n’est pas une question d’influence, plutôt une façon de donner accès à certaines informations et d’inciter les gens qui me respectent à se renseigner sur certaines thématiques ou même à agir. Parfois, des amis m’envoient un message pour me dire qu’ils s’impliquent aussi dans la cause des réfugiés. C’est un petit impact, mais je suis content de l’avoir.»

L’histoire au cœur

Cette volonté de s’intéresser au monde qui l’entoure remonte probablement à l’année de ses 16 ans. Au cours d’histoire, Christian hérite d’un module sur l’histoire moderne de la Russie, de la dynastie des tsars à la chute de l’empire soviétique en passant par la Révolution d’octobre. «J’aimais beaucoup mon prof: il avait notamment mis en place une classe supplémentaire durant le temps de midi et en après-journée pour nous enseigner l’esprit critique. A l’heure où les réseaux sociaux pèsent tant sur la pensée critique par la façon dont ils font circuler l’info, et les fake news, ou convainquent à travers la publicité, je perçois toute l’importance de ces moments. Il n’a jamais été aussi important de donner du poids aux sources, et ce prof nous a appris à le faire très tôt.» C’est probablement lui qui lui donne envie d’étudier l’histoire après ses secondaires. Mais pas à Londres car le jeune homme préfère s’éloigner de la maison.

Laisser les choses dans un meilleur état qu’on ne les a trouvées.

Son mantra

Il s’inscrit à l’université de Birmingham, à laquelle le sport et l’enseignement de l’histoire confèrent une excellente réputation. «Beaucoup de mes amis étudiaient l’économie dans le but de travailler dans la finance et de gagner beaucoup d’argent. Moi, je ne savais pas trop ce que je voulais faire, parce que mon orientation ne menait pas à coup sûr à un job de professeur ou de conservateur de musée. J’ai choisi l’histoire parce que ça me plaisait et me semblait important.» Du campus où il réside, le jeune Burgess s’intéresse au Moyen-Orient, à l’implication franco-américaine sur la question indienne aux Etats-Unis et, surtout, à ce qui touche à l’histoire moderne européenne. Le communisme et la montée de la Russie en font partie. «Je suis orienté politiquement au centre-gauche, je voulais donc connaître une certaine histoire de la gauche, d’autant qu’elle a des répercussions sur l’actualité: la Russie a toujours une influence immense sur le monde, je trouve important de le comprendre, de saisir les objectifs de Poutine et son idée de ce à quoi la Russie devrait ressembler sur la carte… même si je ne l’approuve pas.»

Après deux années réussies, Christian choisit le thème de son mémoire: «Expansion navale allemande et agitation avant la Première Guerre mondiale». Un sujet très précis, voire hyperpointu. Logique, lorsqu’on ambitionne d’apporter du neuf sur la guerre 14-18, l’une des périodes les plus étudiées de l’histoire. «Je suis fort intéressé par les causes de la Première Guerre mondiale, une époque où les nations et les empires grandissaient, où les compétitions entre Etats se multipliaient, notamment en Afrique, malgré la signature de pactes. De nombreuses personnalités valent le coup qu’on s’y intéresse de par leur parcours, comme Guillaume II ou Otto von Bismarck. Ce travail m’a passionné, d’autant que les familles royales anglaise et allemande ont des racines communes.»

© Anthony Dehez

Quelque chose à dire

Christian ne parle pas allemand, mais l’étudiant peut se baser sur les importantes traductions d’archives, disponibles en ligne à la bibliothèque de l’université, pour éviter de multiplier les allers-retours dans les musées. Une bonne chose pour celui dont la disponibilité se voit drastiquement réduite lorsque le club de football de Middlesbrough lui offre un contrat professionnel. Après un passage à Arsenal entre 7 et 12 ans puis une saison à West Ham, le défenseur est pourtant sorti du circuit pro depuis plusieurs années puisqu’il évolue alors au Bishop’s Stortford FC, une équipe du dimanche. Peu importe, il accepte. «Si ça ne fonctionnait pas pour moi dans le foot, j’aurais toujours pu retourner à l’université, où il y avait des étudiants de 30 à 40 ans. J’ai compris que ça serait la seule chance de ma vie, je ne pouvais la louper.»

A 27 ans, je me suis retrouvé en disgrâce au club anglais de Portsmouth et je n’ai plus joué pendant de longues semaines.

Sa plus grosse claque

Christian s’arrange alors avec le manager de Middlesbrough et avec la faculté pour répartir sa dernière année d’études sur deux ans. Ses journées prennent un sacré coup d’accélérateur. Le matin, il cuisine à la fois pour son lunch d’après-entraînement, mais aussi pour son dîner, qu’il consomme en bibliothèque, où il reste souvent jusqu’à minuit pour relire ses notes. «Cela reste la période la plus organisée de ma vie, même si j’ai dû privilégier le football à l’une ou l’autre reprise, notamment lorsqu’on avait un match en semaine loin de chez nous.» Le temps qui lui reste, le Britannique le consacre à la lecture de livres sur l’histoire, la politique, et parfois le foot, comme en été 2020, lorsqu’il est sollicité par l’Union Saint-Gilloise pour un transfert. Il se renseigne sur le glorieux passé des Bruxellois, entend parler de leur prestigieux stade Joseph Marien et se laisse finalement séduire par le sympathique petit club. C’est aussi l’occasion d’apprendre le français. La suite dépasse pourtant l’entendement: champion en 2021 de D1B, le deuxième échelon national, l’Union pointe ensuite en tête du classement de D1A pendant pratiquement toute la saison suivante. Un véritable exploit qu’il n’aurait jamais imaginé possible quand il a quitté le circuit qui mène au monde professionnel, à 13 ans. «Sans ce parcours atypique, je n’aurais pourtant jamais pu m’ouvrir à d’autres sujets. Je suis très heureux d’avoir eu droit à une éducation amusante et de qualité alors qu’en académie de foot, j’aurais dû subir cette pression monstre qui pèse sur les épaules de tous les enfants dès le plus jeune âge. Moi, j’ai testé le rugby, le cricket, la natation, le tennis et le hockey sur gazon, j’ai pu tirer le meilleur d’une jeunesse très riche, avec la possibilité de profiter de la vie de footballeur professionnel par la suite.»

Dates clés

2001 «Création de Wikipédia. Jusqu’à ce que je comprenne que ce n’est pas la source la plus fiable, j’ai beaucoup utilisé ce site durant mes études… Aujourd’hui, je le soutiens parfois financièrement.»

2012 «Je décroche mon premier contrat professionnel à Middlesbrough, près de dix ans après avoir quitté l’élite du foot anglais.»

2017 «Je deviens végan. C’est très bien pour récupérer après une blessure et c’est surtout une très bonne chose pour l’environnement.»

2022 «Je rencontre ma compagne.»

??? «Après ma carrière, je pense que je reprendrai mes études pour décrocher un master en histoire.»

Conséquence directe ou pas: Burgess refuse aujourd’hui de suivre la tendance à l’aseptisation du discours du footballeur. La communication passée au peigne fin, très peu pour lui. «On est des footballeurs, mais on a nos propres convictions. J’ai le droit de faire ce que je veux de mon temps libre et d’exprimer mes opinions. Si, un jour, un dirigeant de club voulait m’interdire de parler de politique, je ne jouerais pas là-bas. Ou alors j’essaierais de changer les choses de l’intérieur: “Vous trouvez que je suis un bon footballeur? Eh bien, écoutez aussi ce que j’ai à dire!”.» Ça ne sera pas une perte de temps.

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