Voici la note secrète de Marie Lecocq et Samuel Cogolati qui devait sortir Ecolo de sa «niche étroite et très à gauche» (info Le Vif)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le Vif a mis la main sur la note stratégique secrète qui devait relancer Ecolo et la coprésidence de Samuel Cogolati et Marie Lecocq. Jusqu’à ce que le premier force la seconde à la démission collective.

Quelques jours avant le bureau politique d’Ecolo, le 17 novembre, au cours duquel Samuel Cogolati a mis fin à sa coprésidence avec Marie Lecocq, les deux jeunes démissionnaires avaient présenté leur «note stratégique» aux chefs de groupe écologistes dans les divers parlements du pays. Ils s’étaient accordés sur chaque ligne de ses quatorze pages. Celles-ci étaient censées relancer leur parti et sauver leur carrière. Dans La Libre, le 15 novembre, le Hutois annonçait que la note était terminée. «Nous allons proposer au conseil de fédération de ce 21 novembre une note d’orientation sur l’avenir du parti. Nous devons la clarté à nos membres et à nos concitoyens», affirmait-il d’ailleurs. Le surlendemain, quelques minutes avant le Bureau, il apprenait à sa collègue anderlechtoise qu’il ne voulait plus proposer cette note d’orientation à personne. Mais les cinq chefs de groupe, désormais en charge de la direction provisoire du parti, qui doivent organiser l’élection de nouveaux coprésidents, gagneraient à ne pas jeter ces quatorze pages à la poubelle. Les futurs coprésidents non plus. Parce qu’elles contiennent de quoi, apparemment, sauver les verts francophones. Elles portent la volonté d’un recentrage sur des thématiques plus favorables, et donc aussi la nécessité de limiter l’expression des thématiques chères à une «gauche culturelle» assez menue sociologiquement.  

Le Vif est parvenu à se procurer cette note secrète qui avait vocation à révolutionner Ecolo.

L’ambition de recentrage est appuyée par une «étude sociologique» commandée au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) de l’ULB «sur notre électorat potentiel», par un sondage «approfondi» mené par un institut durant l’été 2025, et par «les cinq rapports d’évaluation interne» rédigés après la double défaite électorale de juin et d’octobre 2024.

La note stratégique balisant le futur d’Ecolo voulait s’ancrer dans le concret, le populaire, le compréhensible, le pragmatique. Mais comme Ecolo semble devoir rester Ecolo jusqu’à la chute, ce froid prosaïsme s’efface parfois dans la note, par exemple lorsque les deux coprésidents pas encore démissionnaires évoquent la nature. Celle-ci serait «la face lumineuse et sensitive de l’écologie! La nature, c’est la nostalgie de l’enfance dans les arbres, le souvenir des mouvements de jeunesse, le toucher de l’herbe, le ressenti de l’air frais en hiver, la fraîcheur de la mer ou de la rivière. C’est ce parc au coin de la rue où l’on retrouve ses ami.e.s, le canal qui traverse notre ville. C’est ce petit plat préparé par notre grand-mère avec ses épices secrètes, le gâteau aux pommes de la voisine, la menthe fraîche ajoutée au thé », écrivent Samuel Cogolati et Marie Lecocq avec un enthousiasme teinté de lyrisme.

«Le prosaïsme d’Ecolo s’efface parfois dans des envolées lyriques sur la nature qui serait “la face lumineuse et sensitive de l’écologie”.»

«Niche étroite et très à gauche»

Les chapitres sur l’électorat le sont un peu moins, lyriques et enthousiastes. L’électorat actuel, constatent-ils, «représente une niche étroite, homogène et très élitaire», et leur exposé nomme trois «quartiers bien identifiés» et donc emblématiques: Ixelles, Saint-Gilles, Liège-centre. «Aujourd’hui, selon l’étude Cevipol, notre électorat est celui d’une élite urbaine, éduquée, très à gauche, non croyante, concentrée dans quelques bastions. C’est un noyau solide mais minuscule face à l’électorat global. Si nous voulons devenir incontournables, il nous faudra parler aussi aux jeunes, aux classes moyennes, aux travailleurs, aux travailleuses, aux indépendant.es, aux familles rurales…»

En revanche, les électeurs «potentiels» d’Ecolo, ceux qui peuvent se trouver plus proches du parti mais qui n’ont pas voté vert aux dernières législatives, sont plus masculins, moins jeunes, et, entre autres, «nettement plus marqué.es à droite, tant en Wallonie qu’à Bruxelles sur la question migratoire, ou les signes convictionnels par exemple». Dans la même veine, les «groupes électoraux» dessinés par l’institut de sondage montrent de bonnes performances chez trois types de profil: les multiculturalistes (très progressistes, surdiplômés, urbains et athées), les révoltés (jeunes, plus croyants, aux revenus modestes et antisystèmes) et les sociaux-démocrates (plutôt des hommes, «issus des métiers liés à la fonction publique» et majoritairement athées). Deux autres profils politiques étaient ciblés. D’une part, les centristes (une classe moyenne supérieure professant un libéralisme politique et un rejet du populisme) à qui il faut «parler pouvoir d’achat, efficacité énergétique et sécurité du quotidien plutôt que symboles identitaires» avec un «discours recentré sur la compétence et la rigueur». Et d’autre part les apolitiques, qui «rejettent les querelles partisanes» et «se méfient des grands discours idéologiques», qu’il faut atteindre à l’aide d’un style de communication «pédagogique, simple et incarné, en valorisant des actions concrètes plutôt que des slogans».

Ces constats imposent un repositionnement politique, selon l’ancienne coprésidence. Ce repositionnement porte moins sur le fond du programme que sur les priorités qui en sont extraites. Car «des électrices et électeurs convaincus par nos messages et pour qui le climat et l’environnement sont des priorités peuvent se détourner d’Ecolo s’ils et elles considèrent que cet enjeu n’est plus le premier de nos combats, au profit d’autres combats qu’elles et ils trouvent moins ultraprioritaires». Et le recentrage concerne également le ton, parce que «la radicalité dans l’expression de figures du parti est pertinente et souhaitable mais ne doit pas être la ligne générale du parti». Samuel Cogolati et Marie Lecocq s’engageaient donc à «assumer la priorisation par le parti de ces messages au détriment d’autres» et à «anticiper les cas spécifiques où il est souhaitable de distinguer les contextes wallons et bruxellois».

Le basculement était notable. Il témoignait de la volonté d’imposer à la fois ses thématiques privilégiées et son propre étiquetage. «Des étiquettes, nous en voulons, mais nous voulons les choisir nous-mêmes!» Trois de ces thématiques prioritaires sont dégagées par la note stratégique. La nature et la santé environnementale, d’abord, que les électeurs associent le plus fréquemment à Ecolo. «L’étude du Cevipol nous apprend que les anciens électeurs et électrices d’Ecolo priorisent encore plus l’enjeu environnemental que les électeurs et électrices actuels», écrivent Samuel Cogolati et Marie Lecocq. «Nous devons nous battre pour rester maître-achat absolu du « vert, vert, vert » en nous crédibilisant sur le socio-économique, et donc en liant cette thématique environnementale de manière transversale à l’autonomie stratégique de l’UE, à la fiscalité (verte), à la souveraineté énergétique, à la réindustrialisation, à l’agriculture et à la santé.»

La démocratie, ensuite, ce «thème intéressant qui rassemble à la fois les publics protestataire et traditionnel, progressiste et centriste, femmes et hommes, wallons et bruxellois». Mais, poursuit la note, comment aborder ce thème? «Certainement en laissant de côté une série d’accents que les écologistes chérissent d’habitude: l’angle de la pureté morale (ce qui nourrit négativement notre côté «donneurs de leçon») et l’angle du respect trop strict des procédures administratives (trop déconnecté des préoccupations citoyennes). Nous devons désormais aborder la bonne gouvernance comme la défense de l’égalité des citoyennes et citoyens, lorsqu’ils et elles sont face aux services publics, à l’impôt, lorsqu’ils font face à la loi, à la police,…»

«Nous devons nous battre pour rester maître-achat absolu du “vert, vert, vert” en nous crédibilisant sur le socio-économique.»

Le «parti de l’enfant»

Les enfants et les jeunes, enfin, car «c’est une thématique sur laquelle nous devons devenir propriétaires, en profitant du non-marquage par les autres partis. Nous pouvons devenir le « parti des enfants », des jeunes, des nouvelles générations.» Selon les deux jeunes écologistes, leur «discours sur la place centrale de l’enfant, le rôle de l’école, l’aide à la jeunesse, l’émancipation des adolescent.es, la liberté de se développer et de se déterminer, l’éducation au vivre-ensemble, aux transitions, est crédible et plein de potentiel».

Ces trois thématiques centrales auraient dû être irriguées par trois «valeurs clés», l’autonomie, la solidarité et le respect du vivant. Là, la note stratégique perd en concret ce qu’elle gagne en potentiel philosophique. «Le plan que nous avons entre les mains n’est pas une fin en soi. C’est notre carte et notre boussole. Mais le seul moyen de retrouver la confiance, la crédibilité et la fierté, ce sera de le mettre en pratique […] Ensemble, reprenons la main!», conclut la note.  

Aucun des deux anciens coprésidents n’a répondu aux sollicitations du Vif. Des bruits de couloir, depuis la GreenHouse, laissent entendre que pour s’accorder sur cette feuille de route, Marie Lecocq avait accepté de réduire l’importance des thématiques de la santé, intégrée à l’environnement, et de l’enseignement, associé à la priorité sur les enfants et les jeunes, tandis que Samuel Cogolati avait insisté pour augmenter la prégnance de l’enjeu démocratique. Mais, ensemble, ils ne reprendront pas la main. Il n’est pas interdit de penser que cette note martyre serve de carte ou de boussole pour un des deux, ou les deux séparément, s’ils souhaitent continuer à peser sur le cours de leur parti. Sinon, ils sont chacun voués à une retraite politique très anticipée. Aussi bien Marie Lecocq, qui avait démissionné de son poste de députée bruxelloise, que Samuel Cogolati, qui n’avait pas été élu sur la liste fédérale en province de Liège.    

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire