Le message des électeurs était clair, au soir du 9 juin 2024. Les vainqueurs avaient promis de «remettre de l’ordre» à tous les étages. Un an après, un premier bilan indique que c’est moyennement bien parti…
Le soir du 9 juin dernier, au siège de la N-VA, Bart De Wever a fait une blague: «Nous avons gagné les élections», alors qu’il avait perdu un siège au fédéral et quatre en Flandre. Une folle année débutait, une année qui marquera la Belgique à coup sûr. Au sud, la droite l’avait emporté comme jamais, grâce au MR qui, atteignant son troisième meilleur score fédéral du XXIe siècle, devenait le premier parti wallon. Mais surtout grâce aux Engagés, qui doublaient leur résultat de 2019 et, renouant avec la vieille amplitude électorale du PSC, une amplitude d’un autre siècle, rendaient nécessaire la coalition des droites en Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles. A Bruxelles, Groen avait gagné et le PS n’avait pas perdu, ce qui les rendaient indispensables à composer un gouvernement régional. Ahmed Laaouej expliquait très vite qu’il était hors de question de le faire avec la N-VA, mais ceci ne fut pas fort entendu à l’époque. Parce que la blague du nord, les triomphes du sud et les promesses de tous garantissaient des négociations fédérales rapides. Le seul vainqueur socialiste était flamand, c’était Vooruit, mais il était d’accord de monter dans un gouvernement de droite. Le CD&V avait perdu les élections, mais il était d’accord de monter dans un gouvernement des vainqueurs, et les deux allaient aider à boucler, avec Les Engagés, le MR et surtout la N-VA, un accord pour ce gouvernement pentapartite dit «Arizona», dirigé par Bart De Wever.
Ils allaient faire vite, ils allaient remettre de l’ordre après les quatre années d’Alexander De Croo. La Flandre, ce pays qui avait cru que Bart De Wever avait gagné les élections, croyait aussi qu’Alexander De Croo était socialiste; bref, il fallait des réformes, vite, le «signal de l’électeur était clair». Les finances publiques s’étaient tant dégradées que la faillite était proche, les économies indispensables, le redressement, urgentissime. Un an après, le bilan est moyen. On avait annoncé un gouvernement en juillet, et il fallut sept mois, jusqu’à la fin janvier 2025, pour que les présidents des cinq partis pressentis s’accordent enfin sur un texte, porteur de réformes électoralement importantes, mais à l’efficacité contestée, voire consensuellement considérées comme farfelues.
Bart De Wever allait remettre de l’ordre dans les budgets fédéraux, il l’avait annoncé avant les élections et répété pendant sept mois après le scrutin, mais les «effets retour» des mesures économiques de l’Arizona, huit milliards d’euros, un tiers du total de l’effort sur la législature, ont été moqués par Pierre Wunsch, le fort libéral gouverneur de la Banque nationale, ridiculisés par la Cour des comptes, dégoisés par la Commission européenne, raillés même par ceux qui, en Flandre, croyaient que Bart De Wever faisait partie des vainqueurs des élections parce qu’il l’avait dit le soir du 9 juin, et qu’Alexander De Croo était socialiste parce que Bart De Wever l’avait laissé entendre.
Les ingénieurs wallons auront bien du mal à aider les fédéraux dans leur sisyphéen assainissement.
Comme des airs de tutelle
Pendant ce temps en Wallonie, où le «signal de l’électeur» avait été encore plus clair, la faillite serait évitée à une Région en difficulté. Par des mesures urgentes de redressement des finances publiques, et tant pis si cela demandait du «courage politique» et que cela exposait à un risque d’impopularité, annoncèrent les grands vainqueurs du moment. La coalition MR-Les Engagés, dont la Déclaration de politique régionale (DPR) avait été présentée dès le 11 juillet, avant tout le monde donc, devait commencer par diminuer les droits de succession et réduire les droits d’enregistrement pour un premier achat immobilier. C’était cher, autant que les économies que le gouvernement s’engageait à faire, c’était inégalitaire, parce que les dispositifs précédents aidaient davantage les ménages modestes, mais c’était populaire. C’était populaire mais c’était très cher, donc il fallait le faire, mais l’effort wallon allait devoir avoir lieu ailleurs.
Avec un légitime sentiment de revanche, encore accru après les élections communales, l’exécutif régional allait faire payer les grandes villes wallonnes pour leur mauvaise gestion, et leurs habitants pour n’avoir pas voté pour qui il fallait. Déjà l’abandon des deux extensions du tram de Liège avait, à l’été, questionné les principautaires. Juste après les élections communales, la confection de budgets d’austérité, farcis de taxes contraintes, de redevances obligées et d’économies imposées par la Région, à travers les prêts dits «oxygène», aux bourgmestres socialistes de Liège, Charleroi, Mons, La Louvière ou Seraing (et tant pis pour ceux de Namur, Tournai et Verviers), oblige ces communes à une rigueur bien plus lourde que ce à quoi les gouvernements de tous les niveaux se soumettraient. Il y a là une tutelle, légale, mais aussi financière, et elle ressemble comme un modèle réduit à la tutelle que le fédéral promet à la Région bruxelloise si là-bas Ahmed Laaouej continue de répéter qu’il est hors de question d’une coalition avec la N-VA.
Encore un peu plus loin après les élections communales, mais avec le même plaisir de défaire ce que les autres avaient fait et qui était populaire, la coalition wallonne décidait de supprimer la plupart des primes régionales à la rénovation énergétique, suppression que personne n’avait promise, les programmes électoraux s’étaient montrés bien plus généreux encore, mais il fallut bien chercher ailleurs l’argent offert aux héritiers et aux futurs propriétaires en été, tout en trouvant une manière d’en attribuer la responsabilité à l’impéritie des prédécesseurs, précisément les écologistes, perdants rêvés. L’annonce fort brutale n’allait pas vraiment redresser les finances publiques wallonnes. La réforme de ces aides, fort courues des classes moyennes et des entrepreneurs, aura encore moins de vertueux effets budgétaires que promis après le double scrutin de 2024: elle a été cassée par le Conseil d’Etat.
Les ingénieurs wallons auront donc du mal à aider les fédéraux dans leur sisyphéen assainissement. Leurs collègues de la Fédération Wallonie-Bruxelles itou, qui sont en partie eux-mêmes puisque les ministres wallons et francophones portent des doubles casquettes, et qui feront peut-être faire des économies au système de pensions, fédéral, lorsque la fin du statut enseignant aura été entérinée, mais qui se sont ce faisant mis en difficulté: les cotisations des contractuels sont plus élevées, et c’est la Fédération qui les paie, pas le fédéral.
Les finances régionales wallonnes devraient aussi souffrir d’une incertaine promesse, celle du fédéral de mener une petite réforme fiscale. Celle-ci a coupé dans le gras des annonces préélectorales. Car le gouvernement De Wever n’est pas seulement censé remettre de l’ordre dans les budgets, il s’est aussi engagé à revaloriser le travail, et c’est même son autre message principal. Or, les salaires, que méritent ceux qui travaillent, n’augmenteront pas encore cette année, tout au plus peut-être un peu la prochaine, et quand ils augmenteront, cela sera de bien moins que ce que les travailleurs auraient pu espérer à la lecture des programmes des partis de la coalition. Mais le mécanisme envisagé, la hausse de la quotité exemptée d’impôts, privera les Régions de recettes. Y compris celle de Bruxelles, d’ailleurs, qui n’a déjà pas besoin de cela pour battre tous les records fédéraux de déséquilibre financier.
Le bulletin budgétaire de Bart De Wever pourrait afficher encore moins de sérieux que celui d’Alexander De Croo.
Et les salaires?
La revalorisation du travail ne se fera donc pas par les salaires, que les partis de l’Arizona considèrent trop élevés en Belgique. Les travailleurs, au fond, ne seront pas les vainqueurs de la traversée de l’Arizona. L’accord de Pâques, que Bart De Wever et les siens ont présenté comme historique, dévalorisera surtout le chômage, qui sera limité à deux ans, ce qui était un souhait des libéraux, en combat contre le «chômage à vie», et sera une victoire des nationalistes flamands, qui limitent un des plus gros postes de transferts nord-sud –les chômeurs de longue durée belges étant aux trois quarts bruxellois et wallons. Les économies, substantielles, seront immédiates mais limitées à quelques centaines de millions d’euros. Celles de la réforme des retraites promue par Jan Jambon (N-VA), elle aussi vouée à revaloriser le travail en dévalorisant les pensions de ceux qui ont le moins travaillé, seront plus grandes, mais ne seront effectives que d’ici quelques années. C’est déjà ça, notez.
Parce que dans le grand récit de sérieux budgétaire de l’Arizona, il n’y a pas que des effets retour fantaisistes. Il y a aussi des promesses fort rentables électoralement mais aux conséquences mal mesurées ou incommensurables, des engagements tenus, comme celui qu’une politique migratoire plus stricte rapportera près d’un milliard d’euros, ou celui de construire de nouvelles centrales nucléaires. Et puis, il y a ce qui n’était pas une promesse mais est devenu un engagement, et dont on ne connaît pas encore le coût électoral mais dont les implications financières sont précisément chiffrées: la hausse du budget de la Défense à 2% du PIB dès l’exercice 2025, avec la nécessité de l’augmenter encore dans les années à venir. Pour commencer, il faudra quatre milliards annuels, c’est la moitié des effets retour de la législature, mais chaque année. Ils sont déjà trouvés pour 2025, c’était l’accord de Pâques, mais plus tard il en faudra plus, et Bart De Wever n’a pas encore pu trouver comment. Sans économies d’envergure, qui le rendront impopulaire, ou sans recettes d’ampleur, qui lui feront se dédire, il faudra financer par du déficit, donc de la dette, cette croissance inédite des moyens de la Défense nationale. Bart De Wever, alors, aura eu beau dire que son Arizona ferait les efforts qu’il faut, son bulletin budgétaire afficherait encore moins de sérieux que celui du gouvernement De Croo, qu’il avait passé cinq ans à railler. Il lui reste quatre ans pour éviter la mauvaise blague.