Les partis de la coalition Arizona se sont accordés sur les principes encadrant la suppression du Sénat. Une majorité des deux tiers est nécessaire et probablement trouvable pour faire passer le texte. Caroline Sägesser (Crisp) décrypte.
En se mettant d’accord sur la suppression du Sénat, les partis politiques de l’Arizona concrétisent une vieille marotte qui attendait théoriquement une réforme de l’Etat. Même s’ils sont désormais tous d’accord sur cet élément, la suite ne sera pas forcément une promenade de santé: la N-VA, le MR, Les Engagés, Vooruit et le CD&V doivent compter sur une partie au moins de l’opposition pour faire valider la suppression du Sénat, annoncée dans leur accord de gouvernement. Il leur faut en effet une majorité des deux tiers et il semble qu’ils l’auront puisque les libéraux flamands, en plus d’Ecolo et Groen, ont rappelé être en faveur de la suppression. Le PS l’avait également proposé lorsqu’il était membre de la Vivaldi et sera donc favorable après avoir examiné, comme les autres partis de l’opposition, les conditions proposées par la majorité.
1. Pourquoi supprimer le Sénat?
Le Sénat est, depuis plusieurs années, l’enfant pauvre de la politique belge. Les différentes réformes de l’Etat lui ont confisqué petit à petit ses compétences. «Il lui reste celles des réformes institutionnelles, du financement des partis et de quelques “petits brols” dont la nomination au Conseil supérieur de la Justice», sourit Caroline Sägesser, politologue du Crisp (Centre de Recherche et d’Information socio-politiques).
Aujourd’hui, c’est notamment l’argument budgétaire qui est brandi pour justifier la suppression d’un Sénat qui dépense près de 45 millions d’euros par an.
2. Pourquoi maintenant, et quand sera-t-il définitivement supprimé?
Si tous les partis, de la gauche radicale à l’extrême droite, sont d’avis de supprimer cette assemblée qui avait la réputation d’être la maison de repos de la Chambre, pourquoi ne l’ont-ils pas fait plus tôt? La réponse se trouve dans l’instabilité institutionnelle que sa disparition induit. Qui dit suppression du Sénat dit modification de la Constitution, et donc dissolution de la Chambre et du Sénat, et donc élections. Normalement, une modification de la Constitution se fait sur deux législatures. «Le sujet n’était pas jugé suffisamment important pour justifier tout cela, les partis craignant un peu d’ouvrir la boîte de Pandore», commente Caroline Sägesser.
En 2012, via un tour de passe-passe assez technique, le gouvernement Di Rupo avait revu l’article 195 de la Constitution et créé un précédent qui permet, aujourd’hui, d’ouvrir la révision de la Constitution sans pour autant attendre la législature suivante. La suppression du Sénat relève donc d’un parcours législatif plutôt classique, à l’exception de la règle des deux tiers, qui devrait prendre quelques mois.
3. Quel impact sur la démocratie?
«Les autres Etats fédéraux, comme les Etats-Unis, la Suisse ou l’Allemagne pratiquent encore le bicaméralisme, souligne Caroline Sägesser. La Belgique s’éloigne donc un peu plus de la notion d’Etat fédéral, et ça va renforcer les tensions entre les francophones et néerlandophones.» En d’autres termes, la Belgique «à quatre» rêvée par certains pour sa facilitation du compromis s’éloigne encore d’un cran. Or, le Sénat arbitrait parfois un conflit d’intérêt ou une compétence partagée entre plusieurs entités. «La Belgique devient plus proche d’un système à deux blocs, ce qui s’inscrit plus dans la vision flamande du pays, et dans laquelle ceux-ci sont nécessairement majoritaires.»
4. Un autre Sénat est-il possible?
Le Sénat est également chargé de contrôler certaines activités parlementaires, ou de publier des rapports «très intéressants mais très peu lus», glisse la politologue. Il faudra donc créer une institution qui veillera au grain. Le CD&V aurait ainsi proposé de créer un organe chargé malgré tout de représenter les entités fédérées, une piste qui va à l’encontre de la vision de Bart De Wever. Ce dernier avait récemment indiqué à la Chambre qu’il estime que, de manière naturelle, chaque député représente déjà sa communauté et sa base électorale.
S’il est aujourd’hui poussiéreux, un Sénat «2.0» est-il possible? «Il y a quelques années, on parlait beaucoup des assemblées citoyennes. C’était dans l’air du temps et la communauté germanophone en a même instauré une.» Mais la mode est passée, notamment suite à la montée en puissance de la droite qui préfère le référendum ou la consultation ponctuelle (ce que ne prévoit pas pour autant l’Arizona) à une participation structurelle des citoyens qui démontre ses limites en termes d’efficacité. «Il n’y aura pas de vide énorme à combler suite à la fin du Sénat, résume Caroline Sägesser. Le Sénat ne manquera pas, mais il faudra tout de même une deuxième assemblée.»