
Tatiana Gabrielli est candidate MR à Châtelet, bastion socialiste: «Les socialistes devraient se demander s’ils se montrent dignes de leur héritage»
Série 3/5 | Tatiana Gabrielli est tête de liste MR à Châtelet, commune que le PS domine depuis toujours. «On me dit parfois, au MR, que j’ai le parcours d’une socialiste. Peut-être pour essayer de me heurter, mais je ne le prends pas mal», dit-elle.
Communales 2024 en Belgique | Les poissons volants: « Il existe aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre », parait-il. Ils sont même, aux élections communales, la très petite minorité, ces candidats engagés dans certaines communes dominées politiquement, historiquement, sociologiquement, outrageusement, par l’adversaire politique. Un poisson volant aux élections communales 2024 en Belgique, c’est une libérale qui se présente à Châtelet, un socialiste à Uccle, un Flamand en Wallonie, un communiste dans le Brabant wallon, un francophone en Flandre ou une écologiste à l’ombre d’une centrale nucléaire, par exemple. Le Vif a découvert ces poissons volants-ce ne fut pas simple. Il vous présente plusieurs spécimens de cette espèce rare, la très petite minorité du genre-c’est intéressant.
Tatiana Gabrielli a 36 ans, est agente administrative au SPW, et elle a rejoint le MR de Châtelet un peu avant les élections communales de 2018. Le MR en est sorti avec quatre conseillers communaux, dont Tatiana Gabrielli, dans cette grande commune ouvrière de 40 000 habitants. Quatre sur 33, et pourtant ce n’était pas si mal, car la cité sambrienne, ancienne bonne ville de la Principauté de Liège, est outrageusement dominée par le Parti socialiste depuis toujours. Le 9 juin, jour de défaite historique socialiste, le PS n’y a récolté que 33% et ça a été pris comme un séisme, à raison. Aujourd’hui, Tatiana Gabrielli est la tête de liste de son parti au MR, et elle espère forcer l’entrée dans une majorité de coalition. Libérale et Chatelettaine, Chatelettaine et libérale, elle se sent parfois différente des libéraux et différente des Chatelettains. «Ca dépend des jours», dit-elle en riant.
Comment êtes-vous arrivée au MR? Est-ce par réaction à ce qui ne vous plaisait pas dans votre commune, ou bien par intérêt pour la vie politique nationale?
Ecoutez, c’est plutôt au niveau de Châtelet. J’ai toujours été un peu passionnée par les interactions humaines, je suis fort sociable, et quand j’étais plus jeune déjà on me disait «oh, tu devrais faire de la politique». Et voila. Mais quand on vieillit, après, c’est un peu étrange de se dire «oh, je vais appartenir à ce parti plutôt qu’à un autre»: ce n’est pas parce que j’appartiens au MR que je suis aveuglement tout ce que dit le MR, c’est bien de se remettre en question. C’est notre système qui veut que chacun quand il s’engage doit choisir une famille politique. Lui être fidèle, c’est normal, mais ce n’est pas pour autant qu’on est d’accord avec tout. Et moi, on me l’a encore dit il n’y a pas si longtemps au MR, je viens d’une famille nombreuse, mon papa est arrivé en Belgique quand il avait dix ans, il est resté italien, eh bien on m’a dit au sein du MR «tu as le parcours d’une socialiste». C’était peut-être dit pour me heurter, mais moi je ne l’ai pas mal pris…
Donc vous êtes à la fois différente de la moyenne des Chatelettains et de la moyenne des réformateurs, alors?
Eh bien oui, c’est tout à fait vrai! Mais vous savez, dans notre parti on a plusieurs courants, on a cette liberté de parler qui permet ça. On peut ne pas apprécier notre président Georges-Louis Bouchez, mais c’est un des seuls présidents, le seul je pense, devant lequel on peut aller pour lui dire qu’on n’est pas d’accord avec lui, et il a le respect des opinions différentes, il écoute, il discute avec tout le monde…
La majorité socialiste de Châtelet a-t-elle ce même sens de l’écoute envers les minorités?
Ah ça, c’est un peu différent. A Châtelet, j’ai cette impression qu’on évacue et qu’on expédie. Le conseil communal, on l’expédie, toutes les discussions, on les évacue. Et leur phrase fétiche c’est «on a toujours fait comme ça, on ne voit pas pourquoi on changerait». Et quand je vois qu’ils évoquent le changement dans leur programme, ça me fait un peu rire, parce qu’ils se sont tellement accrochés à cette phrase, à dire «on a toujours fait comme ça», et maintenant ils disent l’inverse. Et puis quand on voit que la tête de liste socialiste, Michel Mathy, était déjà conseiller communal en 1988, l’année de ma naissance, c’est assez affolant. Il y a eu des périodes de ma vie au cours desquelles j’ai cherché des repères auxquels m’accrocher dans la commune, des modèles, et je ne les ai jamais trouvés. C’est pour ça que je m’engage dans ma commune, pour pouvoir créer des repères, surtout pour les plus jeunes. A cet égard, je vois une différence par rapport à 2018, on a des jeunes qui s’intéressent au programme, qui demandent des informations, et nous, on essaie de ne pas véhiculer les idées reçues et les clichés sur les partis. Sur tous les partis! Parce que moi, les valeurs libérales je les défends, elles sont ancrées en moi, mais je ne dis pas que je ne me reconnais pas dans certaines idées du Parti socialiste.
Ah bon?
Oui, c’est peut-être bizarre à notre époque, mais c’est vrai! Le problème, c’est que le socialisme actuel n’est plus celui de nos parents et de nos grands-parents, c’est un fait. Et ça, c’est aux socialistes actuels de se demander ce qu’ils ont fait de cet héritage, dont finalement ils ne sont pas dignes aujourd’hui.
Votre tête de liste en 2018 est partie chez DeFI, un conseiller a été exclu du MR parce qu’il avait participé à une manifestation violente au Bois de la Cambre pendant la pandémie, est-ce que ces difficultés de recrutement ne sont pas le pire problème des petits partis qui luttent contre une formation ultradominante?
On est en nette amélioration par rapport à 2018, où on avait dû aller chercher les frères et soeurs, les compagnes, etc. Et là c’est assez varié, on a su trouver des profils très différents, on a des étudiants, on a des gens qui se représentent, on a Tarik Laams, un jeune qui cartonne sur Tik-Tok. Il a été beaucoup moins compliqué de faire une liste. Mais il reste une difficulté, c’est de trouver des femmes, il y en a beaucoup qui veulent militer, mais beaucoup moins s’impliquer davantage comme candidates, ce qui est une difficulté générale, pour tous les partis. Et ça c’est une chose à améliorer partout: en politique, je suis souvent la seule autour de la table.
Est-ce qu’il y a parfois un peu de crainte de se montrer d’une autre couleur que celle qui domine?
Ah ça, c’est autre chose. Je le vois par exemple avec les affiches électorales. On a des commerçants qui nous disent «j’ai reçu tel subside, je ne vais pas afficher ma couleur ou «je connais untel il nous a donné un coup de main sur ceci», ou «attends, ils vont nous refaire le trottoir», et c’est aussi le cas pour les citoyens ordinaires. C’est ça le problème: je vois qu’il y a une vraie volonté de changement à Châtelet, de la part des gens. Mais il y a aussi la crainte qui pousse à voter par mécanisme, pour le parti pour lequel on vote depuis des générations. Et alors il y a la crainte de voir le changement. Et puis il y a «je vote pour lui parce que c’est un copain». Moi je réponds toujours «Si c’est un copain, invitez-le à un barbecue, à boire un verre, à faire la fête, mais ce n’est pas une raison pour lui confier votre avenir…» A un moment donné, quand on voit qu’on a atteint les limites… Moi je ne veux pas faire de la politique spectacle, je ne vais pas déblatérer contre un parti, ou critiquer tout ce qui se fait, mais il faut quand même faire un constat, la majorité ne doit pas être hypocrite, il suffit de se balader en ville. C’est sale, le centre-ville, c’est mort, il y a de plus en plus de bénéficiaires du RIS, il y a tellement de choses à faire que je ne sais pas par quoi commencer!
Justement, par quoi commenceriez-vous si vous arriviez au pouvoir?
Déjà, un audit de la gouvernance communale. On a mis en lumière deux ou trois incohérences dans la gestion communale récemment, il faut essayer d’optimiser tout ça. Faire un audit scrupuleux. Puis, la propreté: on a retiré les poubelles, pour je ne sais quelle raison, et comme la saleté attire la saleté, c’est de pire en pire. Il y a des matins, je dois passer vingt minutes à ramasser les déchets que je trouve devant ma porte, est-ce que c’est normal? A Chatelineau, on est envahi de rats… Et ensuite, il faut renforcer l’implication citoyenne, on doit réimpliquer le citoyen dans les décisions communales, pour qu’il se les approprie. Enfin, relancer le centre-ville. Et je suis convaincue, je vais essayer de ne pas être péjorative envers la majorité actuelle, que si on donne un signal à l’extérieur, pour dire qu’il y a un changement à Châtelet, une nouvelle dynamique, eh bien ça va donner l’envie à des entrepreneurs, des sociétés, de s’installer ici. Pour l’image de la commune, ça pourrait être un bon signal. Moi, je suis quand même réaliste, hein, je sais qu’on ne va pas renverser cette majorité. Mais si on pouvait travailler à leurs côtés, pour redynamiser l’équipe actuelle, qui s’endort en fait: c’est un peu la politique de fin de mois, on va reboucher les trous, mais il n’y a jamais d’idée innovante… Alors, pourquoi pas?
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