Evacuation du squat de la Rue des Palais: chronique d’un fiasco

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Cette semaine, la Région bruxelloise et Fedasil ont évacué le squat de la Rue des Palais à Schaerbeek. Malgré les promesses, les occupants n’ont pas tous été relogés, et une grande partie a passé la nuit dehors. Le mouvement Stop à la crise d’accueil attribue cette défaillance à un manque de coordination entre les différents niveaux de pouvoir.

Situé au 48 de la rue des Palais, le bâtiment était investi depuis trois mois par un nombre toujours plus important de personnes, en majorité des demandeurs d’asile. Les conditions d’occupation particulièrement précaires avaient engendré une situation extrêmement difficile, autant d’un point de vue sanitaire que sécuritaire. Mercredi matin, les services de secours ont découvert un corps sans vie dans le squat de la rue des Palais à Schaerbeek.

Face à ce constat, la Région bruxelloise, la commune de Schaerbeek et le fédéral ont décidé d’évacuer le bâtiment. Fedasil devait poursuivre la prise en charge quotidienne de demandeurs d’asile présents au Palais 48, et reloger plus de 700 demandeurs d’asile d’ici le lundi 13 février. Toutes les personnes encore présentes dans le bâtiment et volontaires pour être relogées allaient être prises en charge via un dispositif d’accompagnement médical coordonné par les SCR (Services du Collège Réuni) de la COCOM.

150 à 200 personnes ont dormi dehors

Malgré ces engagements, entre 150 et 200 ex-occupants du squat ont passé la nuit sur les trottoirs le long du canal, en face du Petit-Château, indique le mouvement « Stop à la crise d’accueil », qui réunit plusieurs associations et collectifs de défense des droits humains. « La police était présente pour encadrer l’évacuation, mais elle a simplement repoussé les anciens habitants jusqu’au bas de la rue des Palais », explique Yan, un membre du mouvement. Les anciens occupants du squat, parmi lesquels se trouveraient des demandeurs d’asile, ont rejoint la cinquantaine de personnes qui logeaient déjà le long du canal.

Par contre, une partie des demandeurs d’asile, un peu plus d’une centaine, ont été évacués mercredi après-midi vers un hôtel Ibis de Ruisbroek, une section de Leeuw-Saint-Pierre (Brabant flamand), a confirmé son bourgmestre Jan Desmeth (N-VA). Pas au courant de la manœuvre, l’édile n’a pas hésité à parler de « honte » en évoquant cette décision.

D’après le bourgmestre, personne à part l’établissement n’était au courant de cette réservation. C’est en colère qu’il a expliqué son désarroi par rapport à cette situation. « Nous ne savions absolument rien. Ni moi, ni notre zone de police. Personne ne m’a appelé. L’hôtel savait depuis hier que les demandeurs d’asile allaient venir. C’est inacceptable. » Le bourgmestre a également souligné que l’état de santé de 83 des demandeurs d’asile n’avait pas été contrôlé à leur arrivée. « S’ils ne sont pas en bonne santé, ils doivent aller ailleurs. Ce n’est pas acceptable de loger des gens qui n’ont pas été contrôlés médicalement sous le même toit que d’autres personnes qui louent une chambre ici », a-t-il précisé. « C’est une honte que le problème soit déplacé et non résolu », a-t-il déploré.

« Aïe, Leeuw-Saint-Pierre, c’est en Flandre »

Interrogé par le quotidien De Standaard, Jan Desmeth explique que lorsqu’il a appelé le cabinet Rudi Vervoort (PS) on lui a répondu « Aïe, Leeuw-Saint-Pierre, c’est en Flandre ». « J’ai vraiment l’impression de m’être retrouvé dans un jeu politique entre Bruxelles et la secrétaire d’Etat (à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor, ndlr). Il n’y a aucun plan pour ces personnes, j’ai l’impression qu’on se joue d’elles ».

De son côté, le ministre flamand des Affaires intérieures Bart Somers (Open VLD) s’en est pris au ministre-président bruxellois Rudi Vervoort. Pour lui, il est « inacceptable » que Rudi Vervoort « loue un hébergement pour 163 Bruxellois à Leeuw-Saint-Pierre sans en avertir au préalable le bourgmestre et les autorités flamandes », a-t-il fait savoir sur Twitter, dénonçant un « comportement déloyal » d’une région envers une autre.

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La ministre flamande du Tourisme Zuhal Demir (N-VA) s’est dite « stupéfaite » par les événements. « Utiliser des infrastructures touristiques pour soulager la crise de l’accueil à l’insu du bourgmestre est tout bonnement de la mauvaise gouvernance« , a-t-elle déclaré.

Le cabinet du ministre-président bruxellois Rudi Vervoort (PS) a rétorqué qu’il y a bien eu un contact préalable à l’arrivée de 163 personnes évacuées. Celui-ci a précisé qu’un directeur opérationnel de la police bruxelloise avait bien eu contact avec la zone de police brabançonne concernée. Il y a aussi eu contact au niveau des gouverneurs: la Haute Fonctionnaire bruxelloise Sophie Lavaux s’est adressée au gouverneur du Brabant flamand Jan Spooren.  Ce dernier a indiqué avoir reçu « un peu d’information » vers midi mercredi, mais sans « concertation » et à un moment où les demandeurs d’asile prenaient déjà place dans les bus destinés à les emmener à l’hôtel.

La secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, Nicole de Moor (CD&V), a souligné que le transfert a eu lieu dans le cadre de l’accueil d’urgence « organisé par la Région bruxelloise ». Installer ces 163 personnes à l’hôtel n’était « ni notre choix ni notre décision », insistait-on à son cabinet. Via Twitter, la secrétaire d’État « regrettait » qu’il n’y ait pas eu concertation avec le bourgmestre, indiquant que les demandeurs d’asile hébergés à l’hôtel de Leeuw-Saint-Pierre seraient « prioritairement » pris en charge pour passer dans le réseau d’accueil de Fedasil.

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« La situation ne s’est pas déroulée comme elle aurait dû »

Le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) a assuré que les demandeurs d’asile qui sont accueillis à l’hôtel Ibis de Leeuw-Saint-Pierre quitteront les lieux dans les prochains jours. L’intention du fédéral est de les intégrer dans le réseau d’accueil de Fedasil, a-t-il ajouté. « Tout le monde a pris ses responsabilités », a réagi le Premier ministre. « Mais le gouvernement fédéral n’utilise pas les hôtels, contrairement à la Région bruxelloise. A ses yeux, la situation « ne s’est pas déroulée comme elle aurait dû ». « Mais la question désormais est de savoir ce que l’on fait ensuite », a-t-il déclaré. L’objectif du fédéral est d’intégrer ces personnes dans le réseau d’accueil de Fedasil avec un screening de 40 personnes par jour, a-t-il précisé.

Yan, du comité de soutien Stop Crise à l’Accueil, attribue le fiasco à un manque de coordination entre les différents niveaux de pouvoir. Selon lui, les autorités concernées ont sous-estimé le nombre d’occupants du squat et se rejettent la responsabilité entre eux.

A la Chambre, l’opposition N-VA et Vlaams Belang – le PTB ne s’est pas exprimé – a formé le chœur des critiques aux côtés notamment du CD&V, parti de Nicole de Moor. « La Région bruxelloise a fait dérailler l’évacuation », a accusé le député Franky Demon (CD&V).

 L’opération a été dirigée par différents services bruxellois, a répondu Nicole de Moor. Il avait été convenu que Bruxelles se chargerait de l’accueil d’urgence des demandeurs d’asile évacués qui seraient ensuite redirigés vers les places d’accueil de Fedasil. Mais, manifestement, la capacité d’accueil d’urgence était insuffisante, selon elle.

« Des gens qui dorment dans un lit suscitent plus d’indignation que ceux qui dorment à la rue »

 Pourtant, si des personnes ont été transférées dans un hôtel, d’autres se sont retrouvées à la rue et ont dormi devant le Petit-Château, le long du canal. « Des gens qui dorment dans un lit suscitent plus d’indignation que ceux qui dorment à la rue », s’est étonnée Eva Platteau (Ecolo-Groen). « Bruxelles a pris ses responsabilités en sortant des gens d’une situation inacceptable », a fait remarquer Hervé Rigot (PS).

 « C’est indigne. Nous avons fait confiance, invité à trouver des solutions et on se retrouve à la case départ« , a dénoncé Vanessa Matz (Les Engagés). À ses yeux, ce sont toutes les composantes du gouvernement qui sont responsables.

(Avec Belga)

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