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Une série de décisions de l’Arizona pèsera fortement sur les épaules des villes et communes.

Pensions, chômage, surprises: quand l’Arizona décide, les communes trinquent

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Les réformes du gouvernement fédéral finiront par peser sur les pouvoirs locaux. Certains coups de pouce ont été annoncés. Mais apaiseront-ils les craintes exprimées dans les villes et communes?

La période de l’été est traditionnellement synonyme d’un peu de répit, en politique. Cela prévaut aussi, en principe, pour le gouvernement fédéral, qui s’est trouvé ces dernières semaines dans un entre-deux. Le 21 juillet, l’équipe de Bart De Wever a pu annoncer une batterie de mesures. C’était le fameux «accord de l’été», le zomerakkoord, portant sur une série de thématiques comme la fiscalité, les pensions, la limitation dans le temps des allocations de chômage et le marché du travail. Déjà, la rentrée politique se profile, avec une série de gros dossiers sur la table, qu’il s’agisse des enjeux internationaux, de la mise en œuvre dudit accord, sans oublier l’épineuse confection du budget de l’année prochaine.

Il y a cependant un autre niveau de pouvoir, dont on parle moins, que la torpeur estivale n’a pas vraiment permis d’apaiser. L’échelon communal appréhende en effet les conséquences de quelques-unes des mesures décidées plus haut. Après les mesures régionales, du moins pour la Wallonie et la Flandre, il faudra absorber et digérer les choix du fédéral, qui rassurent parfois, mais inquiètent le plus souvent.

C’est l’éternelle histoire du report des charges résultant des décisions prises à d’autres échelons de pouvoir. Les responsables politiques des villes et communes connaissent bien la problématique, qui n’est pas l’apanage de l’Arizona, d’ailleurs. Mais on leur en ressert une bonne lampée, dont on redoute un arrière-goût particulièrement amer.

En théorie, les représentants des pouvoirs locaux prônent toujours un principe de neutralité budgétaire: qui décide paie (et qui paie décide). Dans les faits, c’est souvent jusqu’au «niveau de pouvoir le plus proche du citoyen», comme on dit, que finissent par percoler les conséquences de divers choix gouvernementaux. Le menu concocté par l’Arizona n’y déroge pas.

1. La réforme fiscale

Récompenser le travail, diminuer la pression fiscale sur les salaires et, au passage, instaurer une différence de revenus plus sensible entre le travail et l’inactivité: c’étaient quelques-uns des engagements les plus audibles de l’accord du gouvernement fédéral. L’accord de l’été a permis à l’exécutif de s’entendre sur la principale mesure en la matière, à savoir le rehaussement de la quotité exemptée d’impôt, qui doit octroyer davantage de pouvoir d’achat aux travailleurs. Il s’agit de la tranche la plus basse des revenus, qui échappe à l’imposition. Cette part immunisée de revenus est plafonnée à 10.910 euros en 2025, puis sera très progressivement augmentée dès 2026 et les années suivantes, pour adopter son vrai rythme de croisière en 2029, lorsqu’elle sera portée à 15.300 euros. Une majoration est aussi prévue pour le premier enfant à charge. Au total, en fin de législature, le pouvoir d’achat des travailleurs s’en trouvera augmenté d’une petite centaine d’euros mensuels.

Voilà qui est réjouissant, sans doute, mais qui fait aussi apparaître une série de craintes auprès des pouvoirs communaux. Toucher à l’impôt des personnes physiques (IPP) finit nécessairement par avoir des conséquences sur les finances locales, puisque les communes prélèvent une taxe additionnelle.

Elle est loin d’être anecdotique. En 2025, selon les données budgétaires collectées par Belfius, les recettes de la taxe additionnelle à l’IPP s’élèvent à 1,4 milliard d’euros pour l’ensemble des communes wallonnes, soit environ 19% du total des recettes ordinaires. En 2024, cette proportion était d’un peu moins de 10% pour les communes bruxelloises. Mécaniquement, la diminution de l’assiette fiscale conduira donc à un amoindrissement des recettes. «Dans un premier temps, il est possible que les effets soient en partie compensés par une série d’exonérations fiscales qui ont également été décidées. Mais la réforme produira ses pleins effets à partir de 2030. On peut tabler sur une trentaine de millions d’euros en moins pour les communes bruxelloises», évalue William Verstappen, conseiller en finances locales chez Brulocalis, l’association des communes bruxelloises.

Selon les estimations d’Arnaud Dessoy, responsable des études sur les finances locales réalisées par Belfius, les communes devraient voir leurs recettes de la taxe additionnelle à l’IPP diminuer de 5% à 6% en régime de croisière (à partir de 2030).

«Il y a forcément une part d’incertitude. Les différentes prévisions situent les pertes autour de 85 à 90 millions pour les communes wallonnes», confirme Julien Flagothier, expert à l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW). Le gouvernement considère que la réforme produira son lot d’effets retour positifs, y compris pour les communes, «mais c’est le discours théorique. Et les effets retour ne seront pas uniformes, selon qu’on se trouve près d’un bassin d’emploi ou non, si la commune est rurale et isolée, etc. On a connu deux autres tax shifts, sous Di Rupo et sous Michel, qui ont eu des effets considérables. Le second a provoqué un peu plus de 100 millions de pertes annuelles pour les communes wallonnes, qui ne seront jamais recouvrées.»

Que se passera-t-il alors, dans les villes et communes? L’équation classique, probablement, à savoir les traditionnelles diminutions de dépenses et augmentations de recettes. On voit déjà venir des augmentations de taux d’additionnels à l’IPP, que nombre d’échevins des finances devront assumer en bout de course. Voilà le principe du report de charge: endosser la responsabilité finale d’une mesure prise ailleurs et quelques années auparavant.

2. Les exclus du chômage

Une autre réforme, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, devrait produire ses effets de manière plus immédiate. Il s’agit naturellement de la limitation dans le temps des allocations de chômage, de ses conséquences sur les CPAS et, au bout du compte, sur les communes, qui ont l’obligation légale d’en pallier le déficit budgétaire.

A propos de la réforme à proprement parler, les avis divergent parmi les mandataires, en fonction de leur orientation politique. Mais sur ses conséquences locales, il existe un quasi-consensus pour prédire qu’elles seront assez faramineuses, avec des disparités en fonction des situations socioéconomiques et démographiques particulières. «Le problème est double: budgétaire et opérationnel», résume Julien Flagothier à l’UVCW.

Le volet opérationnel n’est guère difficile à comprendre. Une partie des «exclus» du chômage finiront par s’adresser à leur CPAS, dans des proportions nécessairement inconnues à ce stade. Les discours politiques sur la question reposent sur une répartition en trois tiers: un tiers trouvera de l’emploi, un tiers «disparaîtra des radars» et un tiers atterrira au CPAS. Mais ces projections, à l’analyse, risquent de se révéler assez hasardeuses.

Les CPAS sont donc tenus de se réorganiser en profondeur et, accessoirement, de recruter, sachant que la profession d’assistant social se trouve sur les listes des métiers en pénurie des trois services régionaux de l’emploi.

Sur le plan organisationnel, la tâche s’annonce plutôt colossale. «La réforme du chômage, la Fédération des CPAS de Wallonie l’a acceptée. Elle est conçue comme un incitant à mettre les gens au travail, ce à quoi je souscris. Mais les CPAS se voient confier la mission de travailler beaucoup plus à la réinsertion professionnelle, alors que leur premier job, c’est la réinsertion sociale», résume Dorothée Klein (Les Engagés), présidente de la fédération.

Quant aux communes bruxelloises, «la proportion des plus de 50 ans et de personnes au chômage depuis plus de deux ans y est plus élevée qu’ailleurs, ce qui complique encore la tâche, note William Verstappen, chez Brulocalis. On oublie souvent les droits connexes, qui dépassent le seul revenu d’intégration sociale, par ailleurs: réductions pour l’électricité, l’eau, chèques culture, etc. Ce sont des montants de l’ordre de 800 euros par an, qui finiront aussi par retomber sur les CPAS.»

«Les CPAS se voient confier la mission de travailler beaucoup plus à la réinsertion professionnelle, alors que leur premier job, c’est la réinsertion sociale.»

Le problème est donc budgétaire également. Le gouvernement fédéral, au terme des discussions de juillet, a revu à la hausse les compensations octroyées aux CPAS. Initialement fixées à 234 millions d’euros en 2026, elles se chiffreront finalement à 300 millions l’année prochaine et la suivante, puis 302 millions en 2028 et 342 millions en 2029.

Dans les CPAS, on redoute déjà que les montants soient insuffisants, malgré l’effort consenti par l’Arizona. «Ce à quoi on se raccroche, c’est qu’un monitoring est prévu. Il y a une possibilité de réajuster le tir», rassure Dorothée Klein.

Chaque ville ou commune sera confrontée à sa réalité propre. En juin, la FGTB fournissait son analyse: les 100 communes les plus touchées seront toutes soit bruxelloises, soit wallonnes, selon le syndicat socialiste. En pourcentage de la population exclue du chômage, Saint-Josse, Molenbeek, Saint-Gilles, Liège et Bruxelles forment le quinté de tête. Par ailleurs, parmi les 250 communes les plus touchées figurent les 19 communes bruxelloises, 225 communes wallonnes et… six communes flamandes.

Différents calculs des coûts à charge des CPAS circulent. En juin, Belfius estimait à 190 millions d’euros annuels l’effet pour les pouvoirs locaux wallons, cette évaluation oscillant entre 135 et 203 millions en Flandre. Les données n’ont pas encore été publiées pour les communes bruxelloises.

Dans la foulée du 21 Juillet, la Fédération des CPAS de Wallonie a elle aussi livré ses projections. Sans trop entrer dans les détails sur la répartition des compensations du fédéral, on retiendra qu’elles seront attribuées un peu différemment selon trois grandes catégories de bénéficiaires: ceux qui seront exclus durant le premier semestre 2026, ceux qui entreront dans le système à partir de juillet 2026 et ceux qui s’y trouvent actuellement. A cela s’ajoutera un mécanisme de majoration pour chaque personne remise durablement à l’emploi.

Après compensations, la fédération estime que le seul paiement des revenus d’intégration représentera une charge supplémentaire de 438 millions d’euros sur la législature, pour l’ensemble des CPAS belges (selon un scénario optimiste). La compensation fédérale comblera les coûts en 2026, mais s’avérera de moins en moins suffisante au fil des années.

3. Le spectre des pensions

Le sujet du financement des pensions constitue une hantise, pour bien des mandataires communaux. Le gouvernement fédéral a décidé d’apporter son coup de pouce. «Merci pour l’argent, c’est mieux que rien», entend-on. Mais déjà, les pouvoirs locaux s’estimant lésés annoncent qu’ils ne lâcheront pas l’affaire. Le dossier est épineux.

Les pouvoirs locaux sont soumis à une exception, à savoir qu’ils sont tenus de financer eux-mêmes et dans un système fermé les pensions de leurs agents statutaires à la retraite.

Dans les villes et communes, la facture n’a cessé d’augmenter ces dernières années, à tel point que, selon les projections de Belfius, les montants globaux pour les charges de pension dépasseront les frais de salaires des agents statutaires encore actifs, dès 2026. Et ce, dans les trois Régions du pays.

Le financement de pensions, historiquement, s’autofinançait à partir d’une cotisation de base prélevée auprès des agents statutaires actifs. Une cotisation de responsabilisation s’y est ajoutée pour combler le solde entre la cotisation de base et la charge réelle de pensions.

A cela s’est greffé un système de bonus-malus en 2018. En résumé, il s’agit d’octroyer des réductions aux pouvoirs locaux ayant mis en place un plan de pension complémentaire (deuxième pilier). «Le système de bonus-malus a en quelque sorte été victime de son propre succès», explique-t-on au cabinet du ministre des Pensions, Jan Jambon (N-VA). Le montant des réductions a à ce point gonflé que le système est devenu déficitaire.

Jan Jambon ne compte pas remettre en cause le principe de base, mais entend remettre le fonds de pension des pouvoirs locaux à flot. «La technique de la réduction est maintenue, mais celle-ci s’élèvera à 30% (au lieu de 50% auparavant) et un déficit éventuel du fonds sera financé par une dotation fédérale.» Une enveloppe de 50 millions d’euros est prévue en 2025 et le projet de loi sera déposé au Parlement à la rentrée, au plus tard à l’automne.

Il y a cependant un hic, qui suscite bien des frustrations dans les villes moyennes. En effet, le projet de loi prévoit d’accorder ce coup de pouce fédéral aux entités comptant au moins 100.000 habitants. Pour le ministre Jambon, cela se justifie par le fait que les grandes villes concentrent le plus de besoins en la matière.

Le Conseil d’Etat a d’ores et déjà recalé l’argument, forcément jugé comme arbitraire par les villes qui se trouvent en dessous du seuil. Molenbeek et Mons seraient les premières lésées. Les autorités de Genk, dans le Limbourg, ont menacé d’introduire un recours devant la Cour constitutionnelle.

D’autres institutions concernées par ces charges de pension seront lésées, parce que leur siège social se trouve dans une commune de moins de 100.000 habitants. C’est le cas, par exemple, du réseau hospitalier bruxellois Iris, dont les sites sont pourtant implantés dans plusieurs entités de la Région.

Du côté de Mons, chef-lieu de province comptant 97.000 habitants, le bourgmestre Nicolas Martin (PS) n’accueille pas la nouvelle avec enthousiasme et se prépare lui aussi à un éventuel recours. «La difficulté, c’est que nous n’avons pas encore de texte de loi adopté. J’ai déjà mis notre service juridique en veille, la grande question étant de savoir comment sera motivée la décision de fixer la barre à 100.000 habitants.» Le dossier n’est assurément pas clos.

4. Bonnes et mauvaises surprises

La problématique du report des charges sur le niveau de pouvoir local est diversifiée. Lorsque sont évoquées les difficultés financières des villes et communes, la formule des «4P» revient souvent sur la table, désignant les problématiques des pensions, de la précarité, de la police et des pompiers.

Ces deux derniers points, donc le financement de la sécurité civile, font encore et toujours l’objet de vives inquiétudes. Mais elles ne sont pas neuves et certainement pas propres à la seule coalition Arizona. Là encore, les réformes et décisions prises au fédéral finissent par incomber aux communes, en matière de salaires des policiers, par exemple.

«Les différentes prévisions situent les pertes autour de 85 à 90 millions pour les communes wallonnes.»

«Pour les zones de secours comme pour les zones de police, le fédéral ne respecte pas son engagement à financer la moitié du total. Les deux systèmes sont un peu différents, mais tant pour les pompiers que pour la police, la clé de répartition 50-50, on n’y est pas», rappelle Julien Flagothier. Concernant la police, le ministre de l’Intérieur, Bernard Quintin (MR), s’est engagé à revoir la norme KUL, encadrant le financement des zones de police. «Le dossier sera suivi de près», précise bien l’expert de l’UVCW.

D’autres exemples de reports de charge sont plus inattendus, ils viennent se glisser dans chaque faille, au gré des désinvestissements et des efforts budgétaires. Exemple: le coût des cellules de mesures judiciaires alternatives, qui œuvrent pour la réinsertion des détenus. Leur financement, censé être pris en charge à 100% par le fédéral, l’est en réalité à hauteur de 40% par les communes, rapportait Le Soir début août.

Dans un autre registre, «on pourrait aussi citer les baisses de financement assez substantielles de Beliris», cet accord de coopération qui lie le fédéral et la Région bruxelloise dans le but de développer le rayonnement de la métropole en tant que capitale. «On parle beaucoup du métro, mais Beliris intervient aussi dans de grands projets régionaux, en partenariat avec les communes», précise William Verstappen.

Coupez-lui les vivres et les communes finiront d’une manière ou d’une autre par en subir les conséquences. Par la bande, là où on ne s’y attendait pas toujours et en n’ayant rien demandé. Une mauvaise habitude que les pouvoirs locaux connaissent bien.

Fusion des zones de police: où est l’argent?

Le ministre de l’Intérieur l’a confirmé: les six zones de police bruxelloises fusionneront, rapidement même. Dans les communes, ce sont avant tout des moyens qui sont attendus.

«Les résultats du grand kern de juillet ont été très décevants sur la question du financement», lâche Christian Lamouline (Les Engagés). Le bourgmestre de Berchem-Sainte-Agathe, président de Brulocalis, qui fédère les communes bruxelloises, a beau porter les couleurs d’un parti de l’Arizona, cela ne l’empêche pas d’exprimer ses craintes quant au sous-financement de la police locale. Le constat est d’ailleurs partagé par des bourgmestres de toutes les formations.

Le ministre de l’Intérieur, Bernard Quintin (MR), a confirmé ce qui était prévu dans l’accord de gouvernement: une grande vague de fusions des zones de police s’annonce et c’est Bruxelles qui s’y pliera en premier lieu. Il espère une fusion des six actuelles zones en une seule qui soit opérationnelle pour 2027. Les objectifs poursuivis: une meilleure coordination, un seul commandement, davantage d’efficacité, de proximité et in fine de sécurité. Les bourgmestres bruxellois ont maintes fois exprimé leur scepticisme.

L’affaire est décidée, désormais, au sein de la coalition gouvernementale. Brulocalis est chargée de remettre un avis technique sur le dossier. Il sera soumis au bureau de l’association le 27 août et rendu trois jours plus tard.

En attendant, faute d’être pleinement convaincu par la pertinence de la fusion, c’est bien à propos des moyens financiers que Christian Lamouline –et les autres bourgmestres avec lui– se montre insatisfait.

La fusion s’accompagnera d’un soutien financier de 55 millions d’euros répartis sur les cinq ans de la législature. Le dossier, en revanche, devait aller de pair avec une révision de la norme KUL, qui encadre le financement des zones de police. Là, selon une estimation de Brulocalis, les besoins pour l’ensemble de la Région sont de l’ordre du demi-milliard d’euros sur la législature. Ce second dossier, «qui avait été annoncé comme consubstantiel à la fusion, est remis à plus tard», peste-t-il. Il n’aboutit pas encore, mais le travail est bien en cours, lui répond-on au gouvernement. Tout vient à point à qui sait attendre, paraît-il.

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