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Raoul Hedebouw: «Baigner complètement dans la lutte… C’est ce qui a fait de moi un dirigeant»

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Comment se fabrique un engagement? Un livre peut-il changer une vision du monde? Une rencontre peut-elle faire bifurquer un chemin politique? Une chanson peut-elle donner du sens à un combat? Chaque mois, entre parcours intime et questions de doctrine, le podcast «Le sens de sa vue» dissèque ce qui a construit l’idéal politique d’un invité.

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Marx? Who else? Eh bien, tout le monde, en fait. Il est marxiste, depuis longtemps et sans doute pour toujours, mais n’a cité, spontanément, ni Marx ni Lénine parmi les œuvres et les figures qui l’ont le plus influencé. A chaque fois pourtant, les principes reviennent, dans le volubile exposé de Raoul Hedebouw, président et député fédéral du PTB. Y compris lorsqu’il n’évoque pas des combats explicitement socio-économiques. «La lutte marxiste laisse la place à plein de luttes différentes, c’est l’ABC de la lutte, expose-t-il. Dans la tradition du marxisme, le nombre de sujets qui ont passionné Marx, vous savez… Et des luttes qui n’étaient pas que socio-économiques. Le combat culturel, le combat scolaire, c’est aussi une lutte des classes», ajoute-t-il, rigolard. «Peut-être que les lecteurs et auditeurs apprendront aujourd’hui que Raoul Hedebouw ne veut pas que de l’anticapitalisme. Peut-être qu’au Vif on croit ça, mais ce n’est pas le cas. Réduire le marxisme à sa lutte économique, au déterminisme économique, ce serait lui faire violence. Par exemple, Marx a beaucoup écrit sur les luttes de libération nationale, Engels aussi, sur le racisme et les tensions entre travailleurs anglais et irlandais», précise-t-il encore. Lecteurs et auditeurs, de la sorte, sont avertis.

SAVOIR: Nelson Mandela

Un long chemin vers la liberté, Le Livre de poche, 1996.

«J’aime bien les autobiographies et les biographies, on y apprend beaucoup», commente Raoul Hedebouw, qui revoit ses parents pleurer à la libération, après 27 ans de prison, de Nelson Mandela. Il est pourtant arrivé à son parti de considérer Mandela comme un jouet de l’impérialisme. «C’était une erreur importante du PTB à l’époque, qui était dans une analyse, en gros, maoïste», concède-t-il. Il déplore le statut lissé de Mandela, «réduit, trop à mon goût, à une superficialité iconique, qui mettrait tout le monde d’accord, alors que l’essentiel de sa vie politique a été très polémique».

Il a, en effet, engagé sa formation, l’ANC, sur la voie du combat violent contre le régime inhumain de l’apartheid. Une violence que parfois, comme ici, justifie l’ignominie d’un système. «On ne peut pas repousser, dans l’absolu, la question de la lutte de résistance violente, postule Raoul Hedebouw. Il faut à chaque fois se la poser concrètement. Sous l’apartheid, la lutte violente, la question se posait… En 1940-1941 chez les résistants aussi. Dans l’Europe et la Belgique d’aujourd’hui, bien sûr, pas.»

SCÈNE: Les trois frères

Par Didier Bourdon et Bernard Campan, 1995.

A un moment de ce film culte, Les Inconnus se retrouvent, avec l’espoir de récupérer la fortune de leur défunte mère, devant un notaire à la langue hiératique. C’est une scène de colère, de révolte contre une élite ni compréhensible ni compréhensive. «Cette scène, pour moi, cette question du langage de classe, et de la violence qui existe dans ce langage, c’est un engagement de vie. Dans ma fonction de tribun, de politique, cela me touche très fort. Et cette scène, que j’adore parce qu’après ils se lèvent et lui foutent des torgnoles, c’est le symbole d’une colère de classe, qui existe pour des raisons économiques, mais aussi de langage», insiste Raoul Hedebouw.

L’héritage qui file sous le nez des Inconnus est pourtant une institution juridique de reproduction des inégalités capitalistes. «Ici, c’est l’héritage populaire. Ce qui a changé par rapport à la question théorique de l’héritage bourgeois de l’époque de Marx, c’est que les classes populaires, aujourd’hui, ont pu se construire un petit héritage…», conteste le président du PTB.

SOI: les grèves étudiantes de 1994

En octobre 1994, avec des copains de l’athénée, il participe au grand mouvement de protestation enseignant et étudiant contre les mesures d’austérité. Il l’anime, même, au sein du CHE, le Comité herstalien des étudiants. C’était le début de la carrière ministérielle de Laurette Onkelinx… et de Raoul Hedebouw, dont les parents étaient, déjà, des militants PTB. «Pendant sept semaines, tous les jours baigner complètement dans la lutte… C’est ce qui a fait de moi un dirigeant, je dirais», se rappelle-t-il. «C’est l’apprentissage de la tactique, de la démocratie de lutte, comment on fait une synthèse, la durée du mouvement, les mots d’ordre, il y a un apprentissage très fort de la science de la lutte…», ajoute-t-il, avant de se souvenir de parents «étonnés et agréablement surpris». Les siens, bien sûr.

SON: C’est arrivé près de d’chez toi

Par Suprême NTM, 1998.

Il a hésité avec Rage Against the Machine – «les deux groupes qui font partie de moi». Mais Suprême NTM, c’était «ma réalité de quartier à la Préalle» (il dit «ma Préalle»), à Herstal, avec les copains contrôlés «beaucoup plus» que lui, «qui a la bonne couleur de peau». Dans cette chanson, Kool Shen et Joey Starr appellent à «couper les couilles du porc» Jean-Marie Le Pen. «DJ Rayoul» ne trouve pas ça trop violent. «Non, parce que c’est le système qui est violent, l’extrême droite qui est violente. Le combat sur l’interdiction des partis fachos, c’est une lutte qu’on aurait dû gagner, et qui a été perdue», déplore-t-il.

SUITE: Jean-Luc Crucke

Il voudrait entendre l’ancien ministre wallon du budget dans Le Sens de sa vue, «pour emmerder Georges-Louis Bouchez, le représentant intégral d’une arrogance libérale, des couches nanties de notre société, il incarne ça avec un côté décomplexé, avec la tentation de vouloir polariser la société», lance-t-il. Quoi? le PTB reproche à un adversaire une volonté de polarisation? «Oui, parce qu’il le fait sur une base identitaire. Je sais que tous les libéraux ne pensent pas comme ça, je voulais donner la parole à monsieur Crucke par rapport à ça», précise Raoul Hedebouw, qui confesse toujours se mettre dans la tête de l’autre. «J’adore jouer aux échecs et réfléchir à trois ou quatre coups. Souvent, l’analyse de classe est très efficace… et la réalité politique est rarement surprenante. Ce qu’une droite réactionnaire tente de faire, jouer sur la division des peuples sur des bases ethniques et communautaires, c’est pas nouveau, hein…», estime-t-il.

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