Entre le MR et la N-VA qui bloquent et une opposition qui revendique, les députés Engagés doivent tenir la ligne du ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot sur le conflit à Gaza.
Chez Les Engagés, le président Yvan Verougstraete et le ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot sont très vocaux sur le conflit au Proche-Orient, ce qui ambiance fort les vacances de l’Arizona. Ils insistent pour que la Belgique reconnaisse cet Etat palestinien que dirige, plutôt mal que bien, l’Autorité palestinienne, à plusieurs conditions, dont, comme tout le monde, le désarmement du Hamas et la libération des otages. Et ils souhaitent que des sanctions soient prises, si pas par l’Union européenne, contre Israël eu égard à la violence de ses opérations à Gaza. Mais le gouvernement fédéral dans lequel siègent Les Engagés rechigne très fort, parce que la N-VA et le MR, eux, tiennent à leur ligne proisraélienne.
Cette position peut être considérée comme courageuse pour une formation qui a toujours eu le chic d’indexer ses choix politiques sur les meilleurs sondages, en choisissant toujours bravement le camp des majorités répondantes. Car le conflit au Proche-Orient est chez nous très clivant, y compris à l’intérieur de certains partis ou entre certaines régions. Le dernier Grand Baromètre IPSOS estimait à 42% la proportion de Belges favorables à la reconnaissance de l’Etat palestinien «sans conditions», contre 39% d’opposés, mais 54% de Bruxellois y étaient favorables, contre 39% de Wallons. Et chez les sympathisants des Engagés, les proportions étaient, comme au MR et au PS d’ailleurs, très similaires entre partisans et opposants de la reconnaissance «sans conditions»: 45% s’y montraient favorables, 35% défavorables. Notons toutefois que ces sympathisants étaient, sur le sujet des sanctions à imposer à Israël, encore plus déterminés que ceux du PTB, puisque 75% en souhaitaient, contre 62% à la gauche de la gauche, et ceci peut justifier la ligne très offensive d’Yvan Verougstraete et Maxime Prévot.
Parmi les députés du rang, dans tous les parlements il y a les révoltés, les craintifs et les blasés. Et parfois ils sont tout cela à la fois.
Prenez Alain Deneef, par exemple, député bruxellois. Il est tour à tour révolté par ce qu’il voit là-bas, quand il nous dit que «l’attention médiatique et politique est parfaitement justifiée vu l’ampleur de la tragédie», puis blasé, quand on évoque les positionnements du MR, qui fait du conflit un proxy de sa guerre culturelle, et de l’opposition, qui voit un intérêt dans une certaine surenchère verbale «Hé, quand on vous dit qu’on est le parti de la nuance, ce n’est pas qu’un slogan, hein, c’est aussi une pratique politique», et puis encore un peu craintif quand on lui demande si la question vaut une chute de gouvernement, comme l’a suggéré Conner Rousseau: «On n’en est pas là, et je ne suis que député régional, moi. Ce n’est pas en faisant tomber un gouvernement qu’on fera avancer les choses, mais en convaincant nos partenaires de la nécessité d’agir».
«Ah non, je ne pense pas qu’on en fait trop, on n’en parlera jamais assez. Il ne faut pas laisser croire que, seule, la Belgique va résoudre ce conflit. Mais si tous les pays d’Europe et même du monde se disent ça, on est certains que le drame va durer. Certains partis en profitent de façon totalement indécente et dégueulasse pour se mettre en avant, mais en attendant il y a un vrai état d’urgence, et la Belgique peut faire bouger les choses», dit, sur le même ton, Sophie Fafchamps, députée wallonne et présidente du conseil communal de Fléron, en région liégeoise. Mais est-ce que ça vaut la peine de faire tomber un gouvernement là-dessus? «Ah oui non mais après c’est un sujet fédéral, moi je suis députée régionale, je suis en vacances, je n’ai pas envie de dire des bêtises là-dessus…» Comme son voisin de travée, et d’arrondissement, Olivier de Wasseige, qui estime «honnêtement» qu’on «n’en fait pas trop du tout. Vous avez vu les images? Ce sont surtout les députés fédéraux qui sont interpellés, mais croyez bien qu’on en fait un point majeur de notre action au fédéral», assure-t-il.
Parmi ces derniers, Julien Matagne, député fédéral et bourgmestre de Gerpinnes, nous dit ça «entre nous», mais «je n’aimerais vraiment pas être à la place de Maxime en ce moment». Il estime, comme celui à la place duquel il n’aimerait pas être, que « la Belgique n’en fera jamais assez. Vous avez vu la situation, les drames innommables? Après, le vrai problème, c’est comment le faire le mieux possible, et je ne crois pas que cela soit, comme c’est trop souvent le cas en politique, et spécialement sur ce sujet, en faisant beaucoup de bruit pour pas grand-chose», ajoute celui que ses concitoyens laissent assez tranquille sur la question. «Les Gerpinnois me parlent très très peu de ça», fait-il remarquer. Pourquoi? «Il y a le fait que ça se passe loin de chez nous, et puis peut-être que certains sont un peu blasés de voir ces horreurs tous les jours depuis tellement de temps».
Son collègue à la Chambre Ismael Nuino, élu dans l’arrondissement de Bruxelles, a passé «toute la campagne à trouver que les autres en faisant trop dans l’électoralisme, aussi bien le MR d’un côté que le PS, le PTB et Ecolo de l’autre. Mais ce qui se passe là-bas est aujourd’hui inadmissible. On ne peut plus trouver que qui que ce soit en fait trop. Nous sommes un peu coincés dans nos expressions, objectivement, par le fait que Maxime est ministre des Affaires étrangères et que, comme principal acteur de ce débat, il ne faut pas que nous entravions son action par des propos à l’emporte-pièce. Conner Rousseau a mis une pression que j’estime utile sur le MR en considérant que le sujet vaudrait une chute du gouvernement. Même si je ne pense pas que cela ferait avancer le schmilblick, ni que cela sauverait un seul Palestinien. On a tellement de choses à faire avec ce gouvernement que personne ne comprendrait qu’il tombe maintenant», présume-t-il.
Ailleurs à Bruxelles, la députée régionale Sofia Benanni, «travaille dans une extension du Conseil de sécurité de l’ONU», ironise-t-elle, tant les débats s’y enflamment souvent autour du conflit proche-oriental. «Et je trouve ça formidable. Mais l’hyperactivité du PS et d’Ecolo, depuis qu’ils ont décidé de se réintéresser au dossier après l’avoir délaissé sous la Vivaldi, crée une ambiance qui ne permet pas au gouvernement fédéral de poser les actions qu’il faudrait poser, parce que cela crispe le MR sur ses positions. Ils n’ont rien fait sous la Vivaldi, au prétexte, disaient-ils déjà, que le MR bloquait tout, alors que les indices de génocide étaient déjà bien là. Pourtant, ils n’ont pas fait le quart du tiers de ce qu’a obtenu Maxime, qui a en plus la N-VA à convaincre». Mais elle ne partage pas l’opinion de son camarade Nuino. «Eu égard à ce qui se passe là-bas, oui, ça vaut une chute du gouvernement. Si le MR s’entête alors que même la N-VA a bougé, oui, peut-être bien que ça la vaut, ou que ça la vaudra», conclut-elle.