
Malades, étrangers, salariés, divorcés…: décryptage de «l’accord de Pâques», entre les (quelques) gâtés et les (nombreux) blâmés
« L’accord de Pâques » que le gouvernement Arizona présente comme historique gâte certaines entreprises et certains secteurs, mais en blâme bien davantage, des malades aux chômeurs, en passant par certains étrangers, les divorcés, les médecins. Ou les salariés, dont les revenus ne vont pas augmenter.
Bart De Wever a enfermé ses ministres, et spécialement ses vice-Premiers, pour quatorze heures de négociation, le vendredi 11 avril. Le Premier en est sorti tout fier avec ce que tout le monde à sa suite appelle désormais «l’accord de Pâques», que lui-même a qualifié d’«historique». On n’était pas encore à Pâques, et ce n’était pas non plus un accord complet, faute de consensus sur certains sujets –la manière dont le budget de la Défense sera haussé à 2% du PIB, par exemple, n’est pas encore tout à fait déterminée. Mais la masse de textes que Le Vif a pu se procurer (des dizaines de notes pour plusieurs centaines de pages) balise assez rigidement le travail de l’Arizona pour les prochaines années, en plus de calibrer le budget 2025. Au point que cette qualification d’historique n’est pas totalement usurpée par notre historien de Premier. Entre affaires sociales, santé, chômage, fiscalité, pensions, justice et mobilité, Le Vif a identifié les gagnants les plus gâtés –avouons qu’ils sont rares– et les perdants les plus blâmés–observons qu’ils sont nombreux– de toute l’histoire de l’accord de Pâques.
Les prisonniers belges seront mieux logés
«Le 24 mars 2025, la population carcérale s’élevait à 13.014 détenus et 713 en congé pénitentiaire prolongé, soit une population totale de 13.727 personnes. Parmi ces détenus, environ 1.043 sont des internés, 4.194 n’ont pas de droit de séjour et 267 dorment à même le sol.» La note sur la surpopulation carcérale, déposée le 12 avril par la ministre de la Justice, Annelies Verlinden (CD&V), afin d’obtenir que les prisonniers, en Belgique, se sentent à l’avenir reclus dans une exiguïté moins tragique, commence par cet alignement de données proprement inhumaines. Elle se poursuit par une amabilité adressée à ses prédécesseurs Open VLD: «En outre, lorsque ce gouvernement est entré en fonction, il a été constaté que la situation était encore plus grave que ce qui avait été supposé», dit-elle. Les mesures d’urgence, chiffrées à 150 millions d’euros, auront surtout des conséquences sur les détenus étrangers, spécialement sans droit de séjour: ce sont leurs homologues belges qui gagneront un peu d’espace, et les autres devront prendre le large. L’Office des étrangers s’engage, dès cette année, à en expulser 400. Et ceux que la Belgique ne pourra pas expulser seront incarcérés dans d’autres pays, soit au sein de l’UE, soit en Albanie ou au Kosovo. «D’ici aux vacances parlementaires, des mesures concrètes seront prises pour rechercher des accords sur la location, l’achat ou la construction de capacités pénitentiaires à l’étranger», promet la ministre. Mais le séjour, promis comme plus vaste, des prisonniers belges, leur coûtera davantage à l’avenir qu’une mort sociale: les magistrats pourront bientôt condamner à «une contribution des détenus au coût de leur incarcération».
124.500
chômeurs complets indemnisés seront exclus du chômage, dont 55.000 en Wallonie, le 1er janvier prochain.
Les divorcés perdront une déductibilité
Les «rentes alimentaires» étaient déductibles à 80% pour celui (genre masculin en grammaire comme en sociologie) qui les payait, et imposables à 80% pour celui (genre neutre en grammaire et féminin en sociologie), qui les recevait. Cette asymétrie très genrée sociologiquement sera corrigée, et les taux seront inversés, selon la section 8 du volet finances du projet de loi-programme. Les divorcés pourront moins déduire (70% cette année, 60% en 2026, 50% à partir de 2027) ce qu’ils paient pour les enfants qu’ils n’élèvent pas, et les divorcées seront moins taxées sur ce qu’elles reçoivent pour les élever, puisque «la partie imposable des rentes alimentaires est diminuée de la même manière». Les familles monoparentales, que la grammaire adresse sociologiquement, y gagneront un peu de ce que les divorcés, très, très, très souvent masculins, perdront.

Le secteur de la construction va turbiner
Il paraît que lorsque la construction va, tout va, et justement le secteur, spécialement francophone, s’inquiétait de la fin ou de l’incertitude autour des primes régionales à la rénovation. Il a reçu d’agréables nouvelles du chapitre 7 du volet «finances» du projet de loi-programme, qui offre à tous les projets de démolition-reconstruction de bâtiments destinés à la vente, y compris donc sur le marché privé, un taux réduit de 6% de TVA. Ce taux n’était jusqu’à présent appliqué que dans des conditions limitées à caractère social (les logements sociaux et les biens gérés par des agences immobilières sociales, etc.). Il s’agit ici, dit l’article 153 du projet du ministre Jambon, de «garantir que le taux de TVA de 6% en matière de démolition et de reconstruction soit applicable tant pour les constructeurs et leurs clients maîtres d’ouvrage dans le cadre de prestations de services que dans le chef de promoteurs immobiliers et leurs clients acquéreurs dans le cadre de livraisons de biens», et c’est exactement ce que les fédérations patronales du secteur souhaitaient pour doper la demande, et donc les carnets de commande.
Les actifs devront se satisfaire de ne pas être punis comme le seront certains inactifs.
Les malades seront activés
On pouvait déjà raisonnablement supposer que les malades de longue durée ont peu voté pour les cinq partis de l’Arizona. Depuis l’accord de Pâques dix jours avant Pâques, on peut désormais officiellement affirmer que les cinq formations ne comptent définitivement plus sur leurs voix, pourtant pas marginales: les malades de longue durée sont, depuis une dizaine d’années, plus nombreux que les chômeurs parmi les inactifs. Avec les chômeurs de longue durée, ils sont les principales cibles de l’action de l’Arizona, du moins pendant les premières années de la législature. Le ministre Frank Vandenbroucke (Vooruit), reconduit aux Affaires sociales et à la Santé, était déjà à la tâche sous le gouvernement précédent. Il s’est encore activé davantage sous Bart De Wever. Son chapitre «politique renforcée de retour au travail en cas d’incapacité de travail» conçoit, sur ce public d’inactifs toujours plus large, une batterie d’instruments de pression, spécialement financière (il peut y perdre jusqu’à 10% de son indemnité dans un premier temps), sur le malade qui ne répondrait pas, ou qui répondrait trop mollement, aux sollicitations des médecins-conseil et de la médecine du travail, avec laquelle il ne pourra se soustraire à des examens physiques, sous peine de perdre l’entièreté de son indemnité.
La réduction, par leur réintégration sur le marché du travail, du nombre de malades de longue durée est la fin. Mais la pression, vue comme le principal moyen, ne porte pas que sur les travailleurs sous certificat médical indemnisés par les mutuelles. Elle portera également toujours plus sur ceux qui délivrent les certificats –les médecins– et sur celles qui indemnisent –les mutuelles. Ces dernières devront désormais activer leurs affiliés malades, sous peine de perdre une proportion allant jusqu’à 15%, à l’horizon 2029, des frais d’administration des dossiers qu’elles reçoivent de la sécurité sociale. «Afin de responsabiliser financièrement les différents organismes assureurs en matière de réinsertion de chaque personne reconnue en incapacité de travail […], l’attribution des frais d’administration sera davantage liée à la capacité des organismes assureurs à réintégrer effectivement les malades de longue durée sur le marché du travail, en exécution de l’accord du gouvernement», lit-on dans la note validée par l’Arizona. Les premiers seront également cernés administrativement et pénalisés pécuniairement. «Cette procédure permettra ainsi de pouvoir identifier, contacter, suivre et, le cas échéant, sanctionner financièrement les médecins concernés. De plus, l’Inami les incitera à ajuster leur comportement de prescription de l’incapacité de travail au travers de campagnes de sensibilisation. Ces médecins pourront également être tenus financièrement responsables de leur comportement de prescription, selon des modalités qui seront définies dans la réglementation Inami, prévoit le texte du ministre Vooruit. Il y a sans doute des affiliés aux mutuelles parmi ses électeurs. Et des médecins, il y en a beaucoup dans l’électorat des cinq formations de l’Arizona. Tous ne se sentent pas récompensés par ces nouveaux dispositifs.
400
détenus sans droit de séjour seront expulsés des prisons belges.
Les salariés ne seront pas augmentés
Si les malades ou les chômeurs de longue durée n’étaient le cœur de cible d’aucun des partis gagnants du 9 juin, les travailleurs salariés figuraient au centre du message des vainqueurs. Les Engagés leur avaient promis un «bonus bosseur» de 450 euros mensuels grâce à une réforme fiscale à laquelle le MR, en fait, s’était également engagé, avec la hausse de la quotité exemptée d’impôts et toutes sortes de mécanismes devant augmenter les salaires, dont un bonus d’au moins 200 euros par mois pour les bas et moyens salaires. Mais les gagnants électoraux du 9 juin n’ont encore rien prévu pour gratifier ceux qui les ont portés au pouvoir, du moins pas dans l’accord de ce printemps. La réforme fiscale, qui ne programme d’augmenter les salaires net que d’un millier d’euros par an, n’est annoncée que pour la fin de la législature. Et les dispositifs fiscaux ne prévoient des allégements que pour les propriétaires de capital productif: un salarié divorcé qui acquiert de l’immobilier, par exemple, verra même sa fiscalité s’alourdir.
Bart De Wever aspire à un taux d’emploi de 80%, mais la remise au travail que promet l’Arizona passe davantage par des sanctions pour les inactifs que par des incitants pour les actifs. Le ministre de l’Economie et du Travail, David Clarinval (MR), a fignolé l’exclusion des chômeurs de plus de deux ans, ils seront dit-il 100.000 au 1er janvier 2026, davantage selon la Fédération des CPAS, mais qu’importe. Le Biévrois a également obtenu des incitants, mais ils profiteront aux entreprises plutôt qu’à leurs travailleurs: le milliard d’euros de baisse des cotisations patronales n’aura aucune conséquence sur leur salaire, brut ou net. Tout au plus ces actifs non récompensés devront-ils donc, dans l’attente d’incertaines gratifications fiscales de fin de législature, se satisfaire de ne pas être punis comme le seront certains inactifs.
Les étrangers seront scrutés
Bart De Wever ne porte pas la Belgique dans son cœur, son parti et ses ministres non plus, mais sous son gouvernement, les Belges resteront avantagés par rapport à ceux qui ne le sont pas: les nationalistes flamands sont moins durs avec les nationaux belges qu’avec les étrangers. Anneleen Van Bossuyt, ministre N-VA de l’Asile et des Migrations, a, avec l’appui du MR et du CD&V, et malgré la résistance des Engagés et un peu de Vooruit, durci la politique migratoire du pays, pour le sortir, dit-elle, de son statut de «maillon faible de l’Europe», et ranger le royaume, avec notamment l’Italie et les Pays-Bas, parmi les Etats les plus stricts. Les conditions d’accès au territoire, mais aussi au regroupement familial, seront spécialement durcies, les expulsions garanties, les centres fermés rouverts. Au-delà de ces matières dédiées, cette préoccupation est transversale dans l’accord de Pâques, sur la sécurité notamment (pour déchoir les binationaux de leur nationalité belge ou pour expulser les non-nationaux de nos prisons, par exemple) ou sur les politiques sociales (pour empêcher les «rentes alimentaires» d’êtres versées à l’étranger, par exemple). Mais certains étrangers le seront toutefois moins que d’autres, dès lors que les «contribuables et chercheurs impatriés» bénéficieront d’une fiscalité avantageuse afin de faciliter le «déménagement vers le marché du travail belge» des «talents étrangers», peut-on lire dans la section 4 du chapitre «finances» de l’accord pascal.

Les chômeurs seront secoués
Lorsque plusieurs membres du gouvernement ont annoncé le caractère «historique» des réformes entérinées, c’était en particulier à ce point qu’ils songeaient. C’en est donc fini du caractère illimité dans le temps des allocations de chômage, qui s’éteindront après deux ans au maximum. Quelques exceptions sont prévues, pour les travailleurs des arts (lire par ailleurs), ceux qui ont au moins 55 ans et 30 ans de passé professionnel (35 ans dès 2030), sans oublier les personnes qui ont entamé une formation dans un métier en pénurie avant le 1er janvier 2026 (allocations jusqu’en 2030 au plus tard, mais pérennisées pour les formations dans le bien-être et les soins de santé). L’Arizona a également acté le principe du droit au rebond, à savoir le fait de pouvoir démissionner d’un emploi pour se réorienter, une fois dans sa carrière et sans pénalité financière.
Un courrier sera adressé aux chômeurs le 1er juillet pour les avertir, a indiqué David Clarinval. Le 1er janvier 2026, selon lui, ce sont environ 100.000 d’entre eux qui seront «exclus». La Fédération des CPAS de Wallonie a effectué ses calculs et table sur 124.500 personnes.
Toutes perdantes? La réponse est presque philosophique, selon qu’on redoute une casse sociale ou qu’on se félicite d’un bond en avant pour la remise à l’emploi et la réinsertion. Il est généralement admis que les exclus du chômage se diviseront grosso modo en trois groupes: un tiers trouvera un emploi, un tiers se dirigera vers les CPAS et un dernier tiers disparaîtra dans la nature.
En cascade, plusieurs acteurs risquent de se retrouver dans la catégorie des perdants, eux aussi. Les syndicats, «généreusement rémunérés pour payer les chômeurs», glissait malicieusement Rudy Aernoudt, chef de cabinet de Georges-Louis Bouchez. Mais aussi, potentiellement, les CPAS qui redoutent la submersion.
La limitation à deux ans des allocations de chômage risque de produire un choc, dans le bon comme dans le mauvais sens. L’Arizona en sortira gagnante si elle parvient effectivement à le transformer en un accroissement sensible du taux d’emploi.
15%
de pénalité sur leurs frais d’administration, au maximum, seront réclamés aux Mutualités qui ne remettent pas assez de malades au travail.
Les artistes seront préservés
«Certaines catégories de chômeurs ne seront pas soumises à la limitation dans le temps du droit aux allocations», est-il écrit dans le projet de loi. Parmi les quelques exceptions figurent les travailleurs des arts. Il s’agit d’un régime spécifique destiné à tenir compte de la réalité de ce secteur, singulièrement son caractère intermittent.
La première mouture de la réforme des allocations de chômage prévoyait sa disparition. Une levée de boucliers s’en est suivie. Le MR, visé, a maintes fois précisé qu’il ne voulait aucun mal aux travailleurs des arts, mais souhaitait plutôt leur attribuer un statut spécifique extrait du chômage.
En bout de course, les travailleurs des arts sont préservés. Ils ne sortent donc pas perdants du conclave. C’est un acquis des partis centristes, selon eux. Le PTB, lui, estime que c’est une victoire de la rue. Et David Clarinval confirme qu’on n’y touche pas, mais que la lutte contre les abus sera renforcée, pour éviter que des personnes n’ayant pas droit à cette exception y aient recours.
Les entreprises seront comblées
Renforcer la compétitivité des entreprises, c’est aussi un des mantras de l’Arizona. Chose promise, chose due: parmi les grandes annonces de l’accord figure ce milliard d’euros (à l’horizon 2029) de mesures structurelles. Il s’agit de réductions de cotisations sur les bas et moyens salaires, assortis d’un plafonnement des cotisations sur les salaires élevés.
Ce n’est pas une surprise, mais c’est globalement une bonne nouvelle, exprime-t-on dans le monde de l’entreprise. Tel est le point de vue de Frédéric Panier, à la tête d’AKT for Wallonia (l’ex-Union wallonne des entreprises). «Ce gouvernement délivre et avance selon le calendrier prévu, avec une grande rapidité d’exécution. Il fait preuve d’une certaine flexibilité et d’une écoute des acteurs sociaux, ce qui mérite d’être souligné», commente-t-il.
Selon le patron des patrons wallons, «les mesures rejoignent les attentes, même si tout n’est pas parfait». Parmi les points d’attention figure le risque que des personnes «exclues du chômage transitionnent vers l’inactivité». Il faudra donc veiller à ce que la politique menée crée véritablement de l’embauche. Les ambitions en matière de défense devront aussi profiter à l’industrie belge, insiste-t-il. Et Frédéric Panier de pointer un bémol. «Dans le cadre de la réintégration des malades de longue durée, il est normal de responsabiliser tout le monde, y compris les entreprises. Mais celles qui accueillent déjà un public fragilisé sur le plan de la santé risquent d’être pénalisées», prévient-il, soulignant néanmoins l’accueil positif de l’accord.
Les indépendants seront aidés
Ils ne font pas partie des plus lésés. On notera, parmi les aides aux indépendants, la mesure exemplative du rehaussement du taux et du montant maximal de crédit d’impôt lors d’une augmentation de fonds propres. En clair, «les entrepreneurs individuels peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt lorsqu’ils augmentent leurs fonds propres. Ce crédit est imputé sur l’impôt des personnes physiques et le solde est remboursable», a précisé David Clarinval. Le crédit d’impôt équivaudra à 20% de l’augmentation (contre 10% actuellement) avec un plafonnement à 7.500 euros (contre 3.750 euros).
Sous l’Arizona, les Belges resteront avantagés par rapport à ceux qui ne le sont pas.
Les soins de santé seront immunisés
«Nous maintenons le principe de la norme de croissance pour les soins de santé.» C’est en ces termes que commence la partie de l’accord consacré à la santé publique et c’est conforme à ce qui avait été annoncé. Les Engagés se sont félicités de ce «réinvestissement dans la santé» inscrit dans la loi-programme. L’idée consiste donc à immuniser les soins de santé de toute coupe budgétaire douloureuse, la norme de croissance correspondant à l’augmentation des budgets alloués au secteur au-delà de l’indexation. Cette norme est fixée à 2% en 2026, puis 2,6% à partir de 2028 et 3% l’année suivante.
En étant plus critique, on peut aussi y voir le verre à moitié vide, puisque cette norme restera inférieure à l’évolution naturelle des dépenses de santé telles qu’estimées par le Bureau du plan. De ce point de vue, il ne s’agit pas d’un réinvestissement, mais d’une évolution des dépenses inférieure à l’augmentation réelle des coûts, donc indirectement d’une coupe budgétaire.
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