RTT, Agusta-Dassault, Inusop, La Carolo, ICDI, Duferco, Kazakhgate, Publifin-Nethys, Samusocial, Qatargate, Didier Reynders… En un demi-siècle, «les affaires» ont secoué la Belgique. Surtout la Wallonie et le PS. Mais pas que. Pour preuve, ce scan inédit dans la démarche qui épingle 28 grandes affaires, leurs protagonistes, leur nature, leur niveau de pouvoir et leur localisation. Huit experts en tirent les enseignements.
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C’est une blague qui circulait durant les années 1990…
-«On organise les Jeux olympiques de la corruption pour les partis francophones belges. Podium final: médaille d’or, le PRL (le MR d’alors), médaille d’argent, le PSC (Les Engagés aujourd’hui). Médaille de bronze, le FDF (ancêtre de DéFI).»
– «C’est pas le PS qui gagne?»
– «Non, les professionnels ne peuvent pas participer aux JO.»
Ha, ha, ha!
Ça en dit long sur deux choses: un, les moqueurs ne savaient pas que l’olympisme s’était ouvert aux athlètes pros dès la décennie précédente; deux, depuis 30 ans au moins, dans la conscience collective, les socialistes francophones sont assimilés à des pourris, des arnaqueurs, des voleurs. Logique: les scandales avec le PS pour acteur principal se sont chevauchés.
Oui, le PS traîne le plus grand nombre de scandales en Belgique. Mais les libéraux ne se débrouillent pas si mal.
PS=magouilles
Ainsi, durant ces années 1990, on nage en pleines affaires Agusta-Dassault (corruption lors d’achat d’hélicoptères), IOS (malversations, à Charleroi) et Inusop (financement occulte, depuis Bruxelles), alors qu’on vient à peine de refermer celle «des horodateurs» (marché public truqué, à Liège). Les mémoires alertes vont même jusqu’à rappeler celle, 20 ans plus tôt, du marché public frauduleux de la RTT, la Régie des télégraphes et téléphones, sous le gouvernement du (évidemment) socialiste wallon Edmond Leburton. Conséquences: des démissions, des inculpations, parfois des condamnations. Guy Spitaels, Guy Coëme, Guy Mathot, Edouard Close, Richard Carlier…
Ça ne se calme pas avec les années 2000: La Carolo et ICDI à Charleroi, Intradel à Seraing, Publifin-Nethys à Liège, Samusocial à Bruxelles, Qatargate à l’Europe… Des histoires d’abus de biens sociaux, de faux et usage de faux, de détournement d’argent public, de marchés publics faussés, de corruption, de fraude fiscale, de rémunération ou dépenses éthiquement discutables… Et des protagonistes pas nécessairement renvoyés devant un tribunal, pas forcément condamnés (parfois blanchis, parfois sauvés par la prescription, parfois encore sous enquête) mais tous socialistes et tous tombés de leur piédestal: Claude Despiegeleer, Serge Van Bergen, Jacques Van Gompel, Jean-Claude Van Cauwenberghe, Lucien Cariat, Didier Donfut, Anne-Marie Lizin, Patrick Avril, Alain Mathot, Stéphane Moreau, André Gilles, Paul Furlan, Yvan Mayeur, Jean-Claude Marcourt, José Happart, Marc Tarabella, Marie Arena…
Bref, sur le ton de la blague ou pas, pour beaucoup (et c’est notamment devenu un argument électoral dans la rhétorique du MR, amplifié par Georges-Louis Bouchez mais déjà très présent auparavant), le PS = LE parti des magouilles, des pots-de-vin, des enrichissements personnels, des arrangements entre amis. Au point qu’en 2005, son président d’alors, Elio Di Rupo, l’admette, excédé, devant ses troupes et les médias, avec son fameux «J’en ai marre des parvenus!»
Question réglée et débat clos, donc? Pas vraiment, en fait.
Des banksters à Reynders
D’abord, parce que, historiquement, ce sont les partis catholique et libéral qu’on retrouve au centre de ce qu’on appelait alors «les collusions politico-financières»: fin des années 1920 et durant les années 1930, les socialistes dénoncent ainsi, violemment, «l’influence des gens d’affaire» sur le gouvernement puisque les ministres (essentiellement catholiques et libéraux, donc) cumulent pour la plupart des fonctions politiques et financières. Plusieurs scandales éclatent alors en Belgique, liés à la faillite d’institutions que dirigent des ministres et sur lesquels Léon Degrelle s’appuie –créant le terme «banksters» pour désigner les «partis corrompus»– pour rafler plus de 11% des voix aux élections de 1936 avec Rex, sa formation fasciste lancée moins d’un an auparavant.
Ensuite, parce qu’en fouillant dans les affaires politico-financières qui ont surgi ces 50 dernières années en Belgique (lire par ailleurs), on constate que, oui, oui et oui, le Parti socialiste francophone en traîne le plus grand nombre. Mais les libéraux ne se débrouillent pas si mal: ils sont eux aussi impliqués dans plusieurs scandales en Belgique (Georges Goldine et les horodateurs liégeois, Hervé Hasquin et Inusop, Georges Pire et Publifin…) ou en sont les seuls acteurs: Armand De Decker et le trafic d’influence du Kazakhgate, Serge Kubla et la corruption avec Duferco, Alain Courtois et le détournement de fonds avec Irisport, Daniel Ducarme et ses impôts non payés, Hervé Gillard et l’abus de bien sociaux à Ganshoren, Didier Reynders et le soupçon de blanchiment d’argent… Et dans certains cas, c’est la prescription qui a clos le dossier.
Le relevé montre par ailleurs un bord centriste (PSC, CDH puis Les Engagés) nettement moins éclaboussé mais avec quelques boulets aux guêtres quand même: Michel Demaret, Jean-Louis Thys, Publifin (Dominique Drion)… L’affaire Milquet, toujours en cours (si une transaction pénale n’y a pas mis un terme), n’entre pas dans ces catégories, puisqu’il s’agit de prise illégale d’intérêts: comme dans les cas Lizin ou Avril côté socialiste, l’utilisation à des fins électorales de personnel et/ou matériel de la commune ou du cabinet.
Bourgmestre, échevin ou député wallon: quelle fonction est la plus exposée aux scandales en Belgique?
Il ressort également de notre enquête dans le temps (1) qu’en Belgique, davantage de scandales ont pour terreau la Wallonie, qu’ils germent le plus souvent à l’échelon communal et que les condamnations touchent surtout les parlementaires. Qu’en déduire? Qu’on est plus honnête en Flandre? Qu’un bourgmestre ou un échevin est plus vulnérable qu’un ministre? Qu’un hémicycle est le repaire rêvé pour les politiques véreux? Que la justice n’est pas appliquée pareillement partout? Que plus longtemps on détient le pouvoir, plus les normes s’estompent? Ou que, allez, fin du sketch, quels que soient le parti et le niveau de pouvoir, tous pourris? Réponses avec cinq magistrats et policiers qui ont été ou sont toujours confrontés à ce type d’affaires, deux responsables du mouvement anticorruption Transparency Belgium et un politologue expert en la matière.
(1) Notre étude ne reprend pas les affaires Crystal Park, à Seraing, ou ISPPC/Humani, à Charleroi, parce qu’elles ne touchent pas, jusqu’ici, des élus, ni celles, très médiatisées mais ayant débouché sur des acquittements ou abandons des poursuites, comme celles ayant concerné Guy Mathot (hors Agusta), Didier Donfut ou Richard Fournaux.