Sur le budget, Bart De Wever se retrouve, vis-à-vis de Georges-Louis Bouchez, coincé dans la même position qu’Alexander De Croo. Voici pourquoi.
On progresse: Bart De Wever veut trouver dix milliards d’euros d’effort supplémentaire avant le 6 novembre. Sinon, a‑t‑il fait dire cette nuit, il démissionne.
Il sera, à cette date, en retard d’un mois sur l’usage politique belge, qui veut que le Premier ministre ait trouvé ses milliards, et le budget qui va avec, avant le deuxième mardi d’octobre. L’objectif, pourtant assez basique –une date et un montant, du temps et de l’argent– a été fort difficile à déterminer.
Sur le temps, il a d’abord, comme toujours, été question de boucler avant la date limite du deuxième mardi d’octobre, puis de quelques jours plus tard, puis d’une semaine, puis de dix jours, puis de début janvier. Sur l’argent, il a fallu s’accorder sur dix milliards d’effort supplémentaire, en plus de celui prévu dans l’accord de gouvernement (vingt‑trois milliards d’ici à 2029), et de celui prévu au début de l’été pour la Défense (34 milliards d’ici à 2034).
Ces dix milliards, uniquement trouvés dans les budgets de l’Entité 1 (l’Etat fédéral et la Sécurité sociale, l’Entité 2, ce sont les autres niveaux de pouvoir). Mais il a aussi été question ces derniers jours et ces dernières semaines, de six milliards d’effort supplémentaire, ou de sept, mais aussi de seize, voire de vingt. Parfois pour intégrer l’effort demandé à l’Entité 2, ou pour coller à l’exigence européenne des 3% du PIB de déficit public, ou pour en accélérer l’échéance, ou pour la retarder, ou pour faire genre, et ce genre, accompagné d’aucun résultat concret, ni sur le temps, ni sur l’argent, a surtout été bordélique, et c’est très humiliant pour tout le monde, cet énorme désordre, surtout pour le Premier ministre de la Belgique qui a fait semblant d’accepter cette mission parce qu’il voulait remettre de l’ordre.
Mais tout le monde n’y a pas intérêt, y compris dans la majorité, et y compris aussi peut-être Bart De Wever lui-même. On l’a écrit mille fois, une mission au 16, c’est un «pile je gagne, face tu perds», quand on est séparatiste.
Mais enfin, tout de même, ils avaient dit, et le Premier en premier, qu’ils allaient réformer comme jamais, qu’ils allaient être rigoureux comme pas deux, que c’était fini les cafouillages, les discussions infinies menant à un compromis dégueulasse. Ils avaient dit qu’ils allaient en finir avec ces budgets embarrassants pour les banques, les agences de notation et l’Union européenne. Ils avaient dit que si l’accord de gouvernement avait été très long à négocier c’est parce qu’il allait être le plus précis de l’histoire, et qu’une fois cet accord bouclé, les ministres vivraient leur meilleure vie à le mettre en œuvre sans accroc. Encore, il y a quelques jours, ils ont dit que ce gouvernement avait plus réformé en huit mois que le monde entier en cinq milliards d’années, et encore plus que le gouvernement De Croo en quatre ans.
Pourtant, on s’est rappelé cette semaine que même les dispositions de l’accord du 21 juillet, qui aménageait et amplifiait lui‑même les dispositions de l’accord de Pâques, qui lui‑même précisait et amendait les dispositions de l’accord de gouvernement, qui était donc le plus précis de l’histoire, n’étaient pas toutes finalisées, sur les pensions, la fiscalité, le marché du travail. Et personne ne sait encore où la Belgique va trouver les 34 milliards d’investissements promis dans la Défense d’ici à 2034.
Ils avaient dit toutes ces choses, ils les ont répétées ces deux dernières semaines, mais l’Arizona n’a donc encore rien fait, à part des accords mal nés de mauvais accords antérieurs.
Et Bart De Wever n’a pas encore prouvé qu’il était un meilleur Premier ministre de la Belgique que celui dont il disait qu’il était le pire Premier ministre du monde, Alexander De Croo. Si l’Anversois a raté ces premiers mois sans le faire exprès, c’est qu’il est encore moins bon que De Croo, qui au moins respectait les deadlines traditionnelles, la déclaration d’octobre et le 21 juillet. S’il a loupé ces premiers rendez‑vous volontairement, c’est qu’il pense bien que la Belgique est perdue. On ne sait toujours pas quel côté de son «pile je gagne, face tu perds» va sortir.
Dans les deux cas, Bart De Wever est déjà assis dans le même siège qu’Alexander De Croo, d’ailleurs ils ont connu tous les deux, cette semaine, une espèce d’heure de gloire à l’international. Et surtout il est coincé dans la même souricière belge, celle de Georges‑Louis Bouchez. En réclamant vingt milliards d’effort dans les médias tout en empêchant, à la table du kern, tout effort substantiel, le président du MR a retendu le piège du 16, qui lui a tant réussi sous la Vivaldi. En proposant une taxe sur les syndicats et la fin de la dotation d’équilibre de la Sécurité sociale (8 milliards d’euros), tout en s’opposant à un saut d’index, sauf sur les allocations, à une fiscalité plus raisonnable pour les plus fortunés, et à l’harmonisation des taux de TVA, Georges‑Louis Bouchez n’a pas seulement empêché Bart De Wever de faire son travail de Premier. Il l’a surtout rendu ringard aux yeux des Flamands qui trouvent que la Belgique ne sera jamais assez dure avec ceux qui n’ont pas trouvé de travail, et que les impôts seront toujours trop élevés, même sur ceux qui en paient proportionnellement moins que tous les autres. C’est une espèce de première pour ce Premier‑ci. Mais ce n’est pas la dernière pour le Premier, le mandat du dernier Premier en témoigne: ce fut le quotidien d’Alexander De Croo, cela sera celui de son successeur.
On parierait bien qu’à la fin de la législature, le Montois sera pris, par cette Flandre‑là, comme le dernier espoir, parce que leur vieux champion anversois les aura déçus, et qu’un Montois leur aura exposé cette déception.
Or, en Belgique, elle pèse comme personne, cette Flandre‑là. Et elle a mangé tous les derniers Premiers, y compris ceux qui avaient fait croire qu’ils seraient les meilleurs pour elle-même.