Réforme fiscale
Entre signaux encourageants, angles morts et fragilité budgétaire, Bertrand Candelon, professeur d’économie à la Louvain School of Management (UCLouvain), décrypte la réforme fiscale issue de l’accord de l’été 2025. © BELGA

Bertrand Candélon sur la réforme fiscale: «Il ne s’agit en rien d’une révolution»

Entre signaux encourageants, angles morts et fragilité budgétaire, Bertrand Candelon, professeur d’économie à la Louvain School of Management (UCLouvain), décrypte la réforme fiscale issue de l’accord de l’été 2025.

«Pour une fois, c’est une vraie baisse d’impôt pour les travailleurs.»

On avait assisté à une longue période d’augmentation de la charge fiscale sur les revenus du travail. Là, on observe un infléchissement, ce n’est pas encore massif, mais c’est réel. Rien que le fait d’être parvenu à un accord est en soi un progrès, surtout quand on se rappelle que le gouvernement précédent, mené par Alexander De Croo, n’avait pas réussi à aboutir à une réforme de ce type.

Parmi les mesures annoncées, la hausse de la quotité exemptée jusqu’à 15.300 euros me semble particulièrement importante pour les salariés aux revenus faibles ou moyens. Elle va dans la bonne direction. Personnellement, j’aurais même été favorable à la suppression pure et simple de la première tranche d’imposition, mais je suis bien conscient qu’il existe des contraintes budgétaires fortes qui limitent ce genre d’ambition.

«Le vrai angle mort, c’est la fiscalité des entreprises.»

La réserve porte sur l’absence de différenciation entre petites et grandes entreprises. En Belgique, une PME et une multinationale paient le même taux d’impôt sur les sociétés, 25%. C’est problématique. On sait pourtant que l’emploi est largement porté par les TPE et PME, et que dans les faits, les grandes structures disposent d’une capacité d’optimisation fiscale beaucoup plus poussée.

Il aurait été pertinent de réduire la pression sur les plus petites entreprises, celles de moins de dix salariés, par exemple, et d’envisager une augmentation ciblée sur les très grandes structures. En France, par exemple, les entreprises en dessous de certains seuils de chiffre d’affaires bénéficient d’un taux réduit. Ce type de mécanisme est tout à fait envisageable chez nous.

«Sur la fiscalité des sociétés, des ajustements bienvenus… mais timides.»

La réforme prévoit que le seuil minimal de rémunération des dirigeants pour bénéficier du taux réduit d’IS passera de 45.000 à 50.000 euros. C’est une manière de limiter les abus, ou en tout cas de mieux cibler l’avantage fiscal sur les vraies petites entreprises. De même, la suppression de la majoration d’impôt liée aux versements anticipés est une bonne chose: cela encouragera les entreprises à investir, au lieu de mobiliser leur trésorerie uniquement pour éviter une pénalité fiscale.

Mais là encore, on reste dans l’ajustement technique, pas dans la refonte structurelle. On pourrait aller beaucoup plus loin.

«Sur les familles aussi, on aurait pu être plus audacieux.»

La revalorisation de l’avantage fiscal par enfant à charge, oui, c’est positif. Mais on aurait pu aller plus loin. On est dans un contexte où la démographie ralentit, or ce sont les actifs qui financent notre modèle social. Favoriser la natalité, c’est aussi défendre la soutenabilité du système à moyen terme. On aurait pu imaginer un véritable levier fiscal incitatif en ce sens.

«Reste la question du financement…»

D’après ce qui a été communiqué, le coût de l’ensemble est de 4,4 milliards d’euros à régime plein. Et ce n’est pas anodin. Le financement est censé venir en partie de réductions de dépenses, notamment dans le régime des pensions publiques, et d’une nouvelle taxation sur les plus-values. Mais sur ce dernier point, je reste très sceptique: la taxation telle qu’elle a été pensée semble mal calibrée, et elle risque d’apporter beaucoup moins que prévu.

Il faut bien comprendre que les marges de manœuvre budgétaires sont extrêmement faibles. C’est le produit de trente années de mauvaise gestion publique, et cela pèse lourdement sur la capacité à faire des réformes structurelles profondes. On est condamné, pour l’instant, à des petits ajustements, parce que les grands mouvements ne sont tout simplement pas finançables.

«Le calendrier jusqu’en 2029, c’est long. Et c’est fragile.»

Les mesures annoncées ne seront déployées que progressivement, sur plusieurs années, jusqu’à la fin de la législature. C’est un choix politique compréhensible, mais on aurait pu commencer plus tôt, ne serait-ce que pour en tester les effets. Là, on prend le risque que l’effet concret sur les revenus des ménages ne soit perçu que tardivement, voire pas du tout si la conjoncture se dégrade d’ici là.

La grande inconnue, c’est évidemment la trajectoire budgétaire belge. Certains scénarios annoncent un déficit public qui dépassera 5 % du PIB, ce qui poserait un vrai problème de soutenabilité. Si cette tendance se confirme, il faudra faire des arbitrages sévères. Et dans ce cas, les mesures fiscales pourraient bien être reportées, atténuées, ou remises en cause.

«Une crise de la dette en France risque de contaminer la Belgique.»

Il faut rester particulièrement attentif à l’évolution des taux d’intérêt souverains, surtout en cas de tensions financières. Si la France, dont la situation est déjà très dégradée, devait affronter une crise de confiance sur sa dette, la Belgique pourrait être contaminée. Nous sommes structurellement plus vulnérables: dette plus faible certes, mais économie plus exposée, structure fédérale plus complexe, marge de manœuvre réduite.

Ce scénario reste peu probable, mais il n’est pas théorique. Une crise de la dette dans un pays voisin aurait des effets d’entraînement immédiats sur nos capacités d’emprunt, sur notre politique budgétaire, et donc sur l’applicabilité même de la réforme fiscale annoncée.

«Ce n’est pas un big bang fiscal, mais un premier mouvement.»

L’ensemble reste modeste. C’est un petit pas, mais dans la bonne direction. Il y a une logique, des signaux encourageants, mais il ne s’agit en rien d’une révolution fiscale. On est très loin d’un bouleversement structurel du système.

«Restons ambitieux, mais lucides.»

On peut espérer que cette réforme sera mise en œuvre d’ici 2029. Et mieux encore, qu’elle servira de socle pour aller plus loin dans une réforme fiscale plus ambitieuse, mieux ciblée socialement, et plus structurante économiquement. Mais il faut rester prudent. La contrainte budgétaire est là. Elle est lourde. Et elle va durer.

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