Réforme fiscale
Le gouvernement De Wever mise sur une série de mesures étalées dans le temps, ciblées, parfois techniques, visant à soulager la pression sur les bas et moyens revenus, tout en resserrant les mailles du filet fiscal dans certaines niches. © BELGA

Accord de l’été: salaires, familles, indépendants… qui gagne quoi dans la réforme fiscale? Décryptage en 6 points

Relèvement de la quotité exemptée, bonus à l’emploi, exonérations ciblées: la réforme fiscale actée par le kern redistribue les cartes sans révolutionner le système. Voici ce qui attend les contribuables d’ici 2029.

Au terme d’une nuit de négociations et d’un suspense savamment entretenu, le gouvernement fédéral a dévoilé, le 21 juillet à l’aube, son très attendu accord d’été. Présentée comme un tournant social et budgétaire, la réforme fiscale qu’il contient se veut à la fois ambitieuse et équilibrée: 4,4 milliards d’euros d’ajustements à l’horizon 2029, avec un mot d’ordre tacite, «récompenser davantage le travail».

Derrière les grands principes, une mécanique fine. Le gouvernement De Wever mise sur une série de mesures étalées dans le temps, ciblées, parfois techniques, visant à soulager la pression sur les bas et moyens revenus, tout en resserrant les mailles du filet fiscal dans certaines niches. Relèvement de la quotité exemptée, réduction de la CSSS, incitations au travail des pensionnés, soutien aux indépendants, suppression du quotient conjugal, fiscalisation du RIS… la réforme touche large, sans bouleverser les équilibres existants.

Mais que change-t-elle concrètement? Quels en seront les effets réels pour les ménages, les entreprises, et les finances publiques?

Décryptage, en six temps.

1. Une réforme pensée comme un tournant sans rupture

C’était l’un des engagements phares du gouvernement De Wever: alléger la fiscalité du travail sans creuser davantage le déficit. L’accord d’été présenté le 21 juillet ne propose pas de grand soir fiscal, mais un réajustement graduel, étalé jusqu’en 2029, à la fois lisible et politiquement tenable.

La philosophie est simple: récompenser davantage l’activité professionnelle, en particulier dans les tranches basses et moyennes. Cela passe par une hausse progressive de la quotité exemptée d’impôt (jusqu’à 15.300 euros), une réduction ciblée de la cotisation spéciale de sécurité sociale, et une montée en puissance du bonus à l’emploi, avec pour horizon une équivalence brut/net au salaire minimum.

La méthode est celle des mesures ciblées, étalées dans le temps, techniquement pointues, conçues pour éviter les chocs frontaux. Le gouvernement parie sur une série d’ajustements qui, pris ensemble, délesteront le travail sans déséquilibrer les comptes. Pas de baisse massive des taux, pas de refonte des tranches, mais un travail de recalibrage, précis, prudent.

2. Moins d’impôt sur le travail: la promesse au cœur du dispositif

C’est le cœur battant de la réforme fiscale: faire en sorte que travailler paie vraiment. Dans un pays où la pression fiscale sur le travail figure parmi les plus élevées d’Europe, le gouvernement s’engage à corriger les effets les plus dissuasifs du système, sans pour autant toucher aux taux d’imposition nominaux.

Le levier principal, c’est le relèvement progressif de la quotité exemptée d’impôt, portée de 10.910 à 15.300 euros d’ici 2029. Cela signifie que les premiers 15.300 euros de revenus annuels ne seront plus imposés à l’impôt des personnes physiques. Une mesure lisible, politiquement populaire, et qui profite aux bas et moyens revenus… mais aussi, en valeur absolue, aux tranches supérieures, ce que certains critiques ne manqueront pas de souligner.

Autre geste fort: la réduction ciblée de la cotisation spéciale de sécurité sociale (CSSS). Elle permettra aux personnes isolées de récupérer jusqu’à 365 euros nets par an, en allégeant un prélèvement souvent jugé inéquitable. Enfin, le bonus à l’emploi (ce mécanisme fiscal qui soutient les revenus les plus modestes) sera sensiblement renforcé. Objectif affiché: que le salaire minimum net atteigne l’équivalent du brut d’ici la fin de la législature.

À travers ces mesures, le gouvernement entend rétablir une hiérarchie claire entre revenus du travail et aides sociales, sans passer par une réforme des allocations. L’incitation passe ici par le net à la fin du mois. L’approche est progressive, étalée sur le temps, mais assumée: corriger sans bouleverser, dans une logique d’activation soft, fidèle à un certain pragmatisme.

3. Familles, indépendants, pensionnés: des mesures ciblées à fort rendement symbolique

Si la réforme entend soutenir prioritairement les revenus du travail, d’autres catégories clés bénéficient d’ajustements sur mesure, souvent peu coûteux pour l’État, mais politiquement lisibles. Pour les familles, l’avantage fiscal par enfant à charge sera revalorisé: il passera de 1.980 à 2.650 euros pour le premier enfant d’ici 2029, avec à terme la disparition de la progressivité selon le rang. Une manière de rendre le dispositif plus égalitaire et universel, tout en adressant un signal à la classe moyenne.

Les indépendants sans société, souvent oubliés des grandes réformes fiscales, verront leur déduction forfaitaire d’entrepreneur relevée de 650 à 900 euros. Un geste calibré, qui s’adresse aux petits entrepreneurs en personne physique, nombreux en Flandre et en Wallonie.

Enfin, pour les pensionnés qui poursuivent une activité professionnelle, le taux d’imposition sera plafonné à 33% sur les revenus du travail, contre 45 à 50% dans le barème habituel. Une incitation à rester actif, dans un pays confronté au vieillissement et à une pénurie croissante de main-d’œuvre qualifiée.

Sans provoquer de basculement systémique, ces mesures contribuent à récompenser des profils socialement valorisés: le parent, l’entrepreneur local, le retraité encore productif.

4. Vinted, développeurs, créateurs: le règne des niches ciblées

Sous ses airs de réforme technique, l’accord du 21 juillet aligne aussi une série de mesures ciblées, calibrées pour des profils bien identifiés. Des ajustements de niche, peu coûteux individuellement, mais politiquement efficaces.

Parmi elles, l’introduction d’une «exonération Vinted»: les particuliers pourront revendre en ligne jusqu’à 2.000 euros par an (vêtements, objets d’occasion) sans crainte de requalification fiscale à 33%. Une façon de légaliser une pratique massive, tout en affichant une bienveillance envers l’économie circulaire du quotidien.

Autre geste ciblé: l’élargissement du régime fiscal des droits d’auteur aux développeurs IT. Conçu à l’origine pour les créateurs culturels, ce régime permet une fiscalité allégée sur les revenus liés à une œuvre originale. Le gouvernement l’étend désormais au numérique, répondant ainsi à une revendication croissante d’équité fiscale dans les professions immatérielles.

En filigrane, une stratégie se dessine: multiplier les exonérations sectorielles ou comportementales, plutôt que réformer l’architecture globale. Cette approche récompense des pratiques socialement valorisées  (recycler, coder, créer) mais elle renforce aussi la complexité d’un système fiscal déjà dense, où chaque exception devient un argument politique.

5. Sociétés, conjoints, chômeurs: l’impôt se durcit à la marge

Dans l’ombre des baisses d’impôt sur le travail, l’accord du 21 juillet prévoit aussi une série de durcissements discrets, destinés à combler certaines brèches ou à moderniser des dispositifs jugés obsolètes.

Côté entreprises, la rémunération minimale pour bénéficier du taux réduit à l’impôt des sociétés passera de 45.000 à 50.000 euros. Et lorsque plus de 20% de la rémunération d’un dirigeant est versée en avantages en nature forfaitaires, l’excédent sera désormais taxé distinctement à 10%. Le message est clair: limiter les stratégies d’optimisation fiscale par société écran.

Sur le plan des ménages, le gouvernement a acté la suppression progressive du quotient conjugal. Ce mécanisme, qui permettait à un couple avec un seul revenu de réduire son impôt, est jugé incompatible avec une fiscalité centrée sur l’individu. Une mesure à forte portée symbolique, mais qui risque de pénaliser certains foyers modestes, notamment dans les configurations traditionnelles.

Enfin, deux prestations sociales seront désormais intégrées dans l’assiette fiscale: le revenu d’intégration sociale (RIS) et, à terme, les allocations de chômage, avec la disparition de la réduction d’impôt dont elles bénéficiaient. Le gouvernement promet que les plus bas revenus resteront en dessous du seuil taxable, mais la philosophie évolue: tous les revenus doivent, en principe, contribuer.

Des gestes qui passent presque inaperçus, mais qui traduisent une volonté de resserrer l’universalité fiscale, au risque d’ouvrir de nouveaux débats sur l’équité.

6. Une réforme équilibrée ou un équilibre fragile?

Avec ses 4,4 milliards d’euros d’ajustements d’ici 2029, l’accord fiscal conclu par le gouvernement De Wever revendique l’équilibre: soutenir le travail sans creuser le déficit, alléger sans détricoter, moderniser sans brusquer. Mais cet équilibre, vanté dans la communication officielle, repose sur plusieurs incertitudes. Notamment celle de la temporalité politique. La plupart des mesures entreront en vigueur progressivement, avec des effets tangibles attendus surtout en 2026 ou 2027. Rien ne garantit que les majorités futures poursuivront cette trajectoire, ni que les projections macroéconomiques tiendront face aux chocs budgétaires.

Enfin, un problème de lisibilité. À force d’ajuster, exonérer, compenser, le système fiscal belge gagne en subtilité ce qu’il perd en simplicité. Les efforts sont réels, mais leur perception pourrait s’éroder dans la complexité des dispositifs et la lenteur de leur mise en œuvre.

Le gouvernement parie sur la constance. L’opposition y verra sans doute une stratégie du saupoudrage. L’avenir dira si cet accord marque un tournant fiscal durable, ou un simple moment d’équilibrisme dans un paysage budgétaire toujours sous tension.

 

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