L’Arizona s’en prend aux revenus et aux patrimoines les plus élevés. Mais seulement un peu… Le discours sur la contribution des épaules les plus larges fait son chemin, malgré tout.
En période de disette budgétaire, toutes les cibles fiscales sont bonnes pour renflouer les caisses de l’Etat. Y compris les fortunés? Posez la question au MR ou à la N-VA et ils feront la grimace. Pourtant, la contribution des plus aisés –taxe sur les millionnaires ou taxe Zucman sur le patrimoine des fortunes de plus 100 millions– est plébiscitée par l’opinion. Tous les sondages, y compris celui du CNCD-Le Vif publié début novembre, le montrent. Plus de huit Belges sur dix y sont favorables et cela concerne même une grande majorité des électeurs du MR, de l’Open VLD ou de la N-VA. L’effort demandé par l’Arizona aux épaules les plus larges était donc attendu. D’autant que le virulent débat sur la taxe Zucman dans l’Hexagone a largement traversé la frontière franco-belge.
Résultat? Pas de taxe spécifique sur le patrimoine des plus riches, comme le souhaitait Vooruit au sein du gouvernement. Faisant écho à ce qui se tramait en France, le parti de Conner Rousseau avait avancé une proposition, au tout début d’octobre dernier, visant à taxer les fortunes supérieures à un million d’euros à partir de 0,3% et jusque 0,6% pour les plus de trois millions. On s’en doutait, il n’en sera rien. Dans un compromis laborieux, sous la pression surtout de Vooruit et du CD&V, l’exécutif De Wever a tout de même sorti trois mesures de sa manche: le doublement de la taxe sur les comptes-titres, l’augmentation du taux de précompte mobilier sur les dividendes distribués par une société pour rendre les sociétés de management moins attrayantes et le renforcement de la taxe bancaire. A elles trois, ces dispositions devraient rapporter annuellement, en vitesse de croisière d’ici à trois ans, près d’un milliard d’euros à l’Etat.
Des petits épargnants toujours maltraités
Un milliard sur les épaules les plus larges? «Avec ce gouvernement, on ne s’attendait pas à beaucoup plus, confie Etienne de Callataÿ, économiste (UNamur) et cofondateur d’Orcadia Asset Management. Par ailleurs, je ne mettrais pas la taxe bancaire dans la rubrique de la contribution des plus riches. Il aurait été préférable d’installer un mécanisme qui assure une rémunération plus décente de la petite épargne, car il est choquant de voir les profits réalisés par les banques belges sur le dos des épargnants modestes qui ne peuvent se permettre de prendre le risque d’investir dans des actions. Le système actuel maltraite les petits épargnants et la taxe bancaire ne changera rien à cela.» Ce sera peut-être même le contraire puisque les banques, soucieuses de préserver les dividendes versés à leurs actionnaires, risquent de répercuter la taxe sur leur clientèle.
Sur les sociétés de management, les changements sont cosmétiques et risquent aussi de rater leur cible. Rappelons que de plus en plus de cadres ou de professions libérales bien rémunérés optent pour la facturation de leurs prestations par une société dite «de management». Objectif: payer moins d’impôts en particulier sur les dividendes distribués puisqu’une société n’est pas imposée de la même manière qu’une personne physique. Ces sociétés de management qui permettent en outre d’économiser des frais de cotisations sociales concernent 80.000 contribuables belges, un chiffre qui a presque triplé en six ans selon les calculs de l’UCM (Union des classes moyennes) et que le gouvernement voudrait voir baisser. Dans ce but, celui-ci a décidé d’augmenter (de 15 à 18%, à partir de 2029) le taux de taxation des dividendes perçus dans une société de management.
«On est toujours dans des changements à la marge.»
Situation fiscale atypique
Un plafonnement de ces dividendes, a priori plus efficace, avait d’abord été évoqué, mais ce n’est pas ce qui a été retenu. En matière d’efficacité justement, les experts considèrent que la mesure touchera toutes les PME, ce qui est un comble pour un gouvernement à forte tendance libérale. «Par ailleurs, on ne fait que réduire un peu l’avantage, déplore l’économiste Philippe Defeyt. Surtout, on ne touche pas à l’avantage concernant les cotisations sociales, dont profitent de nombreux médecins, par exemple, alors que leurs études ont été en grande partie financées par la collectivité et qu’ils sont rémunérés par les cotisations sociales payées y compris par les petites gens…» Etienne de Callataÿ souligne que la situation fiscale belge est vraiment atypique: «Avec le système des sociétés de management, qui n’a pas son équivalent à l’étranger, on compte autant de sociétés dans notre pays qu’en Allemagne», précise-t-il. Et le nouveau taux de 18% ne devrait pas changer foncièrement la donne.
La troisième mesure est sans doute la seule qui vise réellement les plus fortunés. En faisant passer de 0,15% à 0,30% la taxe sur les comptes-titres qui affichent une valeur moyenne supérieure à un million d’euros, l’Arizona touchera indubitablement les épaules les plus larges. Du moins, certaines d’entre elles. «Le problème est que cette taxe est à la base une mauvaise taxe, ce qui explique qu’elle n’existe nulle part ailleurs, développe Etienne de Callataÿ. Le hic est qu’elle ne cible que certaines modalités de détention du patrimoine. Par exemple, l’actionnaire historique d’une société non cotée en Bourse y échappe totalement. Ces distorsions incitent les contribuables visés à être plus malins que le fisc…»
Malgré ces critiques, il faut tout de même reconnaître que les choses évoluent en matière de gros patrimoines. «On est évidemment dans le compromis mais celui-ci permet manifestement d’aller chercher des moyens là où les gouvernants n’avaient pas toujours l’habitude de le faire, analyse Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information sociopolitique (Crisp). Sous réserve des précisions qui seront apportées sur les mesures annoncées et de leur mise en œuvre, on sent tout de même que la mise à contribution des plus riches est un discours qui fait son chemin.» Philippe Defeyt regrette néanmoins le manque de vraies grandes mesures. «On est toujours dans des changements à la marge, sans réforme fondamentale», assure-t-il. Sous le précédent gouvernement, Vincent Van Peteghem (CD&V) avait engagé une métamorphose fiscale plus ambitieuse visant à réduire les charges sur le travail et à simplifier une fiscalité bourrée d’exonérations. Mais le MR, principalement, avait fait capoter le projet.