gouvernement Fédération Wallonie-Bruxelles
Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles est en conclave budgétaire. © BELGA

Engagées politiquement, ces organisations sont dans le viseur du gouvernement: «C’est contraire à la loi»

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles envisage de s’attaquer aux subventions d’une floppée d’organisations engagées politiquement, dont les centres d’études des partis. Il s’agit d’organismes d’éducation permanente, de centres d’archives et d’organisations de jeunesse. Les Engagés tablent sur trois millions d’économies, mais le MR sur 20 millions. Le hic? Cette mesure irait à l’encontre de la loi du Pacte culturel, assure un expert. Et elle s’exposerait à des recours.

Entré en conclave budgétaire, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, au vu de la situation dans laquelle se trouve la Communauté, entend faire des économies à bien des étages. Dans le lot, il est possible qu’une petite trentaine d’associations et organismes engagés politiquement, au sens où ils entretiendraient «des liens explicites avec des partis politiques», voient disparaître une quantité substantielle de subventions. C’est du moins ce qui figure dans une note de cadrage élaborée en prévision du conclave budgétaire et intitulée «Financement indirect des partis politiques». Au total, les cabinets MR et Les Engagés ont accouché d’une vingtaine de ces notes au sortir de l’été, pour identifier les économies possibles. Cette mesure n’est peut-être pas la plus lourde sur le plan budgétaire, mais elle revêt un caractère sensible.

L’objectif affiché consiste à empêcher une série de financements par la bande des partis politiques qui, en tant que tels, bénéficient d’une dotation fédérale en vertu d’une loi datant de 1989. «Dans la déclaration de politique communautaire, le Gouvernement entend empêcher les associations subsidiées d’utiliser des fonds publics pour promouvoir des partis politiques», cadre la note.

Les associations concernées par la note, qui touchent des subventions liées tantôt à l’emploi, tantôt aux frais de fonctionnement, sont de trois types: des organismes d’éducation permanente, des centres d’archives et des organisations de jeunesse (liées à des partis). Plusieurs des organismes concernés reçoivent des subventions dans plusieurs catégories.

Deux partis, deux visions

Observation importante: Les Engagés et le MR, partenaires de gouvernement, ont chacun présenté leur propre scénario à l’approche du conclave budgétaire. Un compromis devra être trouvé, les deux visions divergentes n’envisageant pas les coupes dans les mêmes proportions.

Les Engagés, donc, englobent une douzaine de structures dans leur vision de la réforme, qui sont, disons, plus manifestement associées au projet d’un parti politique. Il s’agit du Centre Jean Gol (MR), de l’Institut Emile Vandervelde (PS), d’Etopia (Ecolo), du CPCP (Les Engagés), du Centre d’études Jacques Georgin (DéFI), d’Ecolo J, de Génération Engagée, de DéFI, du Mouvement des jeunes socialistes, du Comac et de RedFox (PTB) et des Jeunes MR.

Le MR voit bien plus grand, en incluant dans le paquet des structures peu ou prou associées à un projet politique: Les Femmes en milieu rural (ACRF), Action Vivre Ensemble, Altéo, Article 27, Présence et action culturelles (PAC), le Centre d’éducation populaire André Genot (Cepag), le Mouvement ouvrier chrétien (MOC), Enéo, GSARA, Soralia, le Centre socialiste d’éducation permanente (Cesep), Clara, les fédérations de parents de l’enseignement officiel (Fapeo) et catholique (Ufapec).

De trois à 20 millions d’économies

Le scénario des Engagés, soutient la note de cadrage, amènerait des économies potentielles à hauteur de 3,167 millions d’euros. Celui du MR? Quelque 20,571 millions d’économies. En outre, plusieurs options de mise en œuvre de la réforme sont avancées: un retrait des reconnaissances de toutes les associations concernées à partir du 1er janvier 2026, une transition en 2026 pour une mise en œuvre dès 2027, ou un étalement jusqu’en 2031 en fonction des périodes quinquennales de chaque organisme considéré individuellement.

Officiellement, les cabinets ministériels ne commentent guère la fuite de cette note. «La discrétion est de mise», en plein conclave budgétaire, entend-on au MR. No comment également auprès de la ministre-présidente Elisabeth Degryse (Les Engagés), en charge de l’éducation permanente.

Il apparaît néanmoins que les deux formations politiques n’abordent pas le projet de réforme avec les mêmes ambitions. S’il s’agit principalement de s’attaquer au «financement alternatif des partis et certainement pas à l’éducation permanente», comme on le glisse auprès des Engagés, l’idée qui prédomine chez les libéraux consiste bien à revoir en profondeur le subventionnement des organismes en question.

Le secteur de l’éducation permanente, qui ne se cantonne évidemment pas aux organismes repris dans la note, n’a pas réagi officiellement. Révélée la semaine dernière par Le Soir, la note a suscité inquiétudes et interrogations. Mais ni du côté du cabinet Degryse, ni du côté des représentants du secteur, on ne souhaite mettre de l’huile sur le feu.

Et la loi de 1973?

Si elle voit le jour, la réforme aura à surmonter quelques écueils politiques, sociaux et communicationnels, assurément, face à ce qui risque d’apparaître comme une attaque contre l’éducation permanente, avec son lot d’arbitraire. Les obstacles juridiques pourraient être une autre paire de manches.

C’est en tout cas ce que relève Hugues Dumont, professeur émérite de droit constitutionnel à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles. «Il est évident qu’on ne peut pas discriminer, donc écarter du bénéfice de la reconnaissance des associations de jeunesse, d’éducation permanente et de centres d’archives pour l’unique motif qu’ils sont apparentés à un parti politique. C’est tout à fait contraire à la lettre et à l’esprit de la loi du Pacte culturel du 16 juillet 1973», assure ce grand connaisseur de ce texte, officiellement intitulé «Loi garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques».

«Il faut comprendre que cette loi est survenue dans le contexte de la toute première réforme de l’Etat. Il était question de l’autonomie culturelle des communautés française, flamande et germanophone», retrace Hugues Dumont. L’objectif consistait alors à obliger les communautés à respecter le pluralisme idéologique, à un moment où les sociaux-chrétiens redoutaient d’être minorisés par les socialistes et les libéraux au sud du pays, tandis que ces derniers redoutaient une hégémonie des sociaux-chrétiens au nord. Un équilibre avait alors été trouvé dans le cadre du Pacte culturel.

«Du point de vue du pluralisme idéologique, un décret qui exclurait une association au motif qu’elle est liée à une tendance politique ne résisterait pas à des recours.»

Cette loi suppose une série de dispositions, à savoir un principe de non-discrimination d’un côté et un principe de participation des différentes tendances politiques représentées dans les assemblées parlementaires dans les organes de gestion, les organes consultatifs, etc., de l’autre.

Précédemment à l’avènement de la loi de 1989 sur le financement des partis, un texte protégeait donc tout organisme contre toute discrimination fondée sur une orientation politique. «On peut discuter de cette loi, mettre ses défauts en lumière, considérer qu’elle favorise les partis présents dans les parlements, mais elle est là», rappelle Hugues Dumont. Et elle se fonde sur les articles 11 et 131 de la Constitution, visant précisément à éviter toute discrimination «pour des raisons idéologiques et philosophiques».

«Je ne comprends pas bien cette offensive», ajoute Hugues Dumont. Le constitutionnaliste entend volontiers les raisons budgétaires ou de bonne gestion qui présideraient à cette réforme, «mais du point de vue du pluralisme idéologique, un décret qui exclurait une association au motif qu’elle est liée à une tendance politique ne résisterait pas à des recours auprès de la Cour constitutionnelle» ou du Conseil d’Etat, selon la forme que prendrait ladite réforme.

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