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L'échevine de Tournai Ludivine Dedonder et son conjoint, à l’époque bourgmestre, Paul-Olivier Delannois: les deux élus n’ont jamais caché être en couple. © BELGA

Elus et en couple: quand la politique influe sur la composition du ménage

Sylvain Anciaux

La politique est une affaire de choix, l’amour un peu moins. Quand les deux se rencontrent, ils peuvent cohabiter, mais pas officiellement. C’est pareil pour les élus en couple, qui doivent alors conclure des «non demandes en mariage», comme disait Brassens.

Une amourette au boulot, ce serait l’affaire d’environ 10% des Belges. Rien de très grave à mêler l’utile à l’agréable, diront certains. Les élus locaux, en revanche, font face à une réglementation soigneusement définie à cet égard. Les personnes liées par un lien de parenté au premier ou deuxième degré et les personnes mariées ne peuvent siéger dans une même assemblée, y compris pour les cohabitants légaux. De quoi faire de la vie privée un sujet public. Cela n’a pas manqué la semaine dernière, à Uccle, puisqu’un couple d’élus (lui du MR, elle d’Ecolo, tous les deux dans la majorité) a publié sur Instagram une photo joue contre joue. Certains s’interrogent donc de savoir si ces deux-là ne contournent pas l’interdiction en vigueur.

Cet amour politique n’a rien d’inédit. Pareille situation existe pour Carole Taquin (MR), bourgmestre de Courcelles, en relation avec le premier échevin Joël Hasselin (MR). C’est encore le cas avec Ludivine Dedonder (PS), anciennement deuxième échevine et compagne de Paul-Olivier Delannois, l’ex bourgmestre de Tournai (PS). Le caractère «transpartisan» est néanmoins plus rare, et bien que les fédérations bruxelloise d’Ecolo et du MR ne trouvent rien à en dire, il avait fait couler beaucoup d’encre au début des années 2000 quand la relation entre la socialiste wallonne Sophie Pécriaux avec le libéral flamand Rik Daems avait éclaté au grand jour.

Tous ces couples ont conscience qu’ils sont là face à une zone grise légale mêlant vie publique et vie privée. Et que si ceux-ci décidaient de se dire «oui» officiellement ou de faire les démarches administratives à la commune pour vivre officiellement sous le même toit, l’un d’entre eux devrait renoncer à ses fonctions politiques. «C’est d’ailleurs un cas de figure qui se produit très régulièrement, commente Audrey Vandeleene, politologue à l’ULB. Surtout au niveau communal, car la sociabilisation politique se fait généralement d’abord au niveau familial ou intime. Généralement, si une telle chose arrive, l’un reste au conseil communal et l’autre va siéger au conseil de l’action sociale, le CPAS. Cet accord est souvent fait à l’avance, car sur les listes communales, il y a parfois l’enjeu de présenter une liste « complète », et le conjoint est alors inscrit pour faire l’appoint.» Si cet arrangement est généralement conclu à l’amiable, la Nouvelle Loi Communale encadre tout de même la décision et décide que «l’ordre de préférence est réglé par l’ordre d’importance des quotients qui ont déterminé l’attribution à leur liste des sièges dévolus à ces candidats». Un peu de rigueur dans tout cet amour, que diable.

Rencard entre gestion saine du pouvoir et intrusion dans la vie privée

«Tout cela relève d’une question éthique, note la politologue du Crisp, Caroline Sägesser. Ce n’est pas une situation idéale, mais je ne vois pas très bien comment on pourrait interdire qu’un couple « de fait » siège ensemble.» Cette notion éthique, Marie-Christine Marghem (MR) l’avait également soulevée, alors qu’elle était dans l’opposition à Tournai. Comment un bourgmestre pourrait refuser l’octroi de moyens à l’échevine avec qui il dort tous les soirs? «Les règles sont les règles, je n’ai aucun mal à dire non à qui que ce soit, justifie Caroline Taquin. Il arrive qu’on ne soit pas d’accord sur certaines choses avec Joël, ce qui peut même parfois donner lieu à de vives discussions. La seule différence, c’est qu’elles ont parfois lieu à 23 heures.» Et Caroline Sägesser de rappeler que les décisions prises par un pouvoir exécutif communal sont collégiales et que ce risque est donc écarté.

«Il arrive qu’on ne soit pas d’accord sur certaines choses avec Joël, ce qui peut même parfois donner lieu à de vives discussions. La seule différence, c’est qu’elles ont parfois lieu à 23 heures.»

Initialement, la disposition légale était d’application pour éviter qu’une famille ne fasse main basse sur un conseil, voire même un collège, communal. Particulièrement dans des communes plus rurales où les édiles sont moins nombreux et donc les votes individuels plus conséquents. L’objectif du texte visait également à éviter des cas de favoritisme pour des appels d’offres publiques, par exemple, ou encore qu’une famille d’agriculteurs élus ne parvienne à façonner l’environnement local selon ses propres désirs. «Depuis la fusion des communes, on redoute nettement moins ces risques, affirme Caroline Sägesser. Et le texte est un peu absurde et en porte-à-faux.»

Au vu de l’évolution des formes du couple au XXIème siècle, du recul de l’importance du mariage et de la vie sous le même toit, la disposition légale est donc devenue obsolète. Faut-il pour autant l’étendre aux couples «de fait»? «En suivant ce raisonnement, on pourrait tout interdire, estime Bruxelles Pouvoirs Locaux, généralement sur la même longueur d’onde que son pendant wallon, l’UVCW. Les couples se font et se défont dans la vie. On a justement fait évoluer la loi (NDLR: en 2020) qui, parmi les couples ayant clairement revendiqué une stabilité, ne prenait en considération que les couples mariés et non pas les couples de cohabitants légaux. La loi n’ira pas plus loin. Ce serait intrusif, impossible à contrôler et contre-productif.»

Une piste, faire appel à l’éthique

La politologue de l’ULB, Audrey Vandeleene, se dit très favorable à la loi telle qu’elle est aujourd’hui, mais reconnaît «qu’une fois que le couple devient un secret de polichinelle, ça perd un peu son sens». Elle en fait donc appel à l’éthique des partis politiques. «On pourrait imaginer que les partis garantissent qu’il n’y a aucun couple de droit ou de fait dans leurs listes ou délégations communales.»

L’éthique demeure donc la réponse centrale à cette délicate question qui peut néanmoins se poser dans les deux sens. En avril dernier, le président du CD&V Sammy Mahdi et sa collègue de parti, Nawal Farih, se sont également dit «oui». La loi voudrait qu’ils habitent sous le même toit, mais pourtant l’ancien Secrétaire d’Etat reste à Vilvorde et sa femme à Genk, chacun ayant un mandat communal à honorer. «Nous avons tous les deux l’intention de continuer à travailler depuis notre propre province, avait-elle déclaré au Belang Van Limburg. Pour l’électeur, il est important d’avoir des représentants avec lesquels ils peuvent avoir un contact.»

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