La réforme des allocations de chômage frappera aussi les travailleurs ALE. La Wallonie et Bruxelles planchent sur des solutions pour adapter leur statut.
«Arrêt de vos allocations.» La première vague de la réforme des allocations de chômage débutera le 1er janvier prochain et concernera quelque 25.000 personnes, ayant compté au moins 20 ans de chômage. D’ici le 1er juillet 2027, près de 180.000 personnes vont recevoir ce courrier de l’Onem partout dans le pays. Parmi elles, certaines occupent pourtant une activité rémunérée: les travailleurs ALE (Agence locale pour l’emploi) (voir encadré). Selon les chiffres fournis par l’Onem, 5.096 personnes ont effectué au moins une heure ALE en 2024 en Belgique, dont 432 en Région de Bruxelles-Capitale et 2.062 en Wallonie.
Mais ce statut particulier ne les sauvera pas. «Les travailleurs ALE sont des personnes qui touchent des allocations chômage. La limitation s’applique de la même manière» pour eux, nous confirme l’Office national de l’emploi, sans pour autant «être en mesure de communiquer» le nombre de personnes dans ce cas de figure bientôt concernées par les différentes vagues de la réforme.
Un flou bientôt dissipé?
«Nous avons déjà reçu des retours de travailleurs surpris, expliquant qu’ils ont la preuve d’avoir presté tant d’heures, à la demande des conseillers Forem parfois, et qui vont pourtant se faire exclure des allocations chômage. Enormément de personnes ALE vont être concernées par la réforme, alors qu’elles travaillent», relate Jean-François Tamellini, secrétaire général FGTB wallonne. Or, pour travailler en ALE, il faut toucher des allocations. Que deviendront donc ces travailleurs exclus? Surtout que certains pourraient ne pas être éligibles aux aides sociales (ou ne pas faire les démarches pour en bénéficier) accordées par les centres publics d’action sociale (CPAS), notamment le revenu d’intégration sociale (RIS) basé sur les revenus du ménage, qui donnent également accès à ce dispositif.
«Ces personnes pourront toujours avoir accès aux prestations ALE», assure-t-on d’emblée du côté du Forem. Contacté, le cabinet de Pierre-Yves Jeholet, ministre wallon de l’Emploi, précise: «Les bénéficiaires du revenu d’intégration sociale ou d’une aide sociale financière peuvent déjà aujourd’hui effectuer des activités ALE à condition qu’ils soient inscrits comme demandeurs d’emploi auprès du Forem. Pour les personnes exclues du chômage qui ne bénéficieront pas du CPAS, des dispositions ont été intégrées à un avant-projet de décret-programme pour qu’elles puissent continuer à réaliser des activités ALE à partir du 1er janvier 2026 malgré la perte de leurs allocations de chômage».
«Le Forem et Actiris cherchent une solution pour le public qui ne serait ni chômeur complet indemnisé ni bénéficiaire du RIS, via la Caisse auxiliaire de paiement des allocations de chômage (Capac)», nous fait-on aussi savoir du côté du cabinet du ministre bruxellois de l’Emploi en affaires courantes, Bernard Clerfayt. Ces dispositions ne sont ni détaillées pour l’instant, ni actées: à la question de savoir si une rémunération complémentaire pourrait être mise en place pour les travailleurs ALE exclus des allocations de chômage et non bénéficiaires du RIS, aucune réponse précise n’a été donnée. «Le ministre avance sur une réforme du dispositif et en partagera les contours dès que celle-ci sera suffisamment aboutie», nous a répondu le cabinet de Pierre-Yves Jeholet.
Assouplissement en vue
A Bruxelles, la situation est plus brouillonne en raison de la situation politique et de la difficulté à former un gouvernement. Pour l’instant, aucune disposition à la réforme fédérale du chômage n’a été prise concernant les travailleurs ALE. Actiris projette ainsi que sur ces 2.181 travailleurs de la Région de Bruxelles-Capitale (chiffres de 2024, bien supérieurs aux 432 travailleurs annoncés par l’Onem plus haut), 1.459 pourraient perdre leur accès ALE avec la réforme, dans un premier temps.
«Un certain nombre d’entre eux vont émarger au CPAS et donc à nouveau rentrer dans les conditions ALE. Impossible pour l’instant de chiffrer les exclus: tout dépendra de la réaction des demandeurs d’emploi qui vont perdre leurs accès. Soit ils retrouvent un emploi (et n’ont pas besoin d’ALE), soit ils vont au CPAS (et ils retrouvent donc un accès), soit ni l’un ni l’autre (et ils perdent leurs accès au dispositif). Selon Actiris, entre 40 et 60% des bénéficiaires actuels pourraient perdre l’accès au dispositif. Mais ce ne sont encore que des projections.»
L’office régional bruxellois de l’emploi annonce toutefois qu’un «assouplissement des conditions d’accès aux ALE» va être proposé au ministère bruxellois du Travail, sans en dévoiler les contours. «Dans l’attente de ces modifications pour les contrats en cours, nous pourrons donner instruction à Actiris de poursuivre les contrats», précise le ministère à ce sujet, rassurant sur le fait que certains travailleurs ALE pourraient donc ne pas perdre ce statut.
«Je ne sais pas si c’est un grand projet social»
Côté syndical, les solutions évoquées ne satisfont pas. «Aller au CPAS quand on travaille déjà en ALE… Je ne sais pas si c’est un grand projet social», assène Jean-François Tamellini de la FGTB. «On bascule vers encore plus de précarité, alors que les ALE devaient être une passerelle vers un emploi durable, mieux payé que 4,10 euros de l’heure. De nombreux travailleurs ALE sont peu formés, n’ont pas ou peu de diplôme, et bien qu’ils touchent à tout et veulent travailler, ils ont besoin d’un coup de main pour cela. Ici, ce n’est pas l’action d’un “ministère de l’Emploi”, mais celle d’un “ministère de l’Emploi précaire”, tirant les conditions de travail vers le bas.»
«Travailler plus pour gagner moins.»
Khadija Khourcha, responsable nationale des travailleurs sans emploi de la CSC
Un sentiment partagé du côté de la CSC: «Plutôt que de mettre les gens à l’emploi, on multiplie les sous-statuts où ils vont travailler plus pour gagner moins», assure Khadija Khourcha, responsable nationale des travailleurs sans emploi, s’inquiétant au passage des conséquences qu’auraient l’absence d’une réforme et l’éventuelle perte du statut ALE pour certaines de ces personnes. «Les politiques ont fait ça par-dessus la jambe. Ils ont été d’accord pour limiter les allocations de chômage, mais ils voient maintenant les conséquences. Les communes utilisent des ALE pour des tas de services, pas seulement au niveau des écoles. Il y a aussi des particuliers ou des petits organismes. Qui pourrait remplacer les ALE?»
Qui sont les travailleurs ALE?
Des demandeurs d’emploi peuvent exercer une activité ALE, en plus du maintien de leurs allocations. Moyennant un salaire horaire de 4,10 euros, elles peuvent être appelées, sous conditions, à aider des particuliers (entretien du jardin, petits travaux, formalités administratives, garde et soins d’animaux…), des autorités locales (régulation de la circulation à la sortie des écoles…), des ASBL (entretien des terrains de sport, steward…) ou des établissements d’enseignement (accueil des enfants avant ou après l’école…).
Comme expliqué par le Forem, peuvent être concernés par une activité ALE pour maximum 45 heures (soit 184,50 euros) ou 70 heures (287 euros) par mois selon le secteur (voire 150 heures pour une activité saisonnière et occasionnelle dans l’agriculture et/ou l’horticulture):
– Les personnes inscrites comme chercheuses d’emploi inoccupées depuis douze mois et qui bénéficient d’allocations de chômage, d’insertion ou de sauvegarde (au moins un jour);
– les chercheurs d’emploi qui sont chômeurs complets indemnisés et qui bénéficient d’allocations de chômage depuis au moins deux ans;
– les chercheurs d’emploi de 45 ans et plus qui sont chômeurs complets indemnisés et qui bénéficient d’allocations de chômage depuis au moins six mois;
– les chercheurs d’emploi qui ont bénéficié pendant au moins 24 mois d’allocations de chômage au cours des 36 mois précédant leur inscription à l’ALE;
– les personnes qui ont droit au revenu d’intégration sociale ou à une aide sociale financière équivalente.
Toujours selon le Forem, les activités ALE présentent notamment comme avantage pour les personnes concernées «une aide à la réinsertion dans le circuit régulier du travail», «l’accès à des formations financées et/ou organisées par l’ALE» ou encore «le maintien du droit aux avantages à l’embauche accordés aux chômeurs» et l’«accès aux différents plans de résorption du chômage».