Budget. Le gouvernement MR-Engagés a dû trouver 700 millions d’euros jusqu’en 2029 pour réaliser 500 millions d’euros d’économies et financer 200 millions de politiques nouvelles. En d’autres termes, jusqu’en 2029, la Fédération Wallonie-Bruxelles est au régime sec. © BELGA

500 millions d’économies au budget de la FWB: ce n’est pas l’enfer, mais c’est douloureux

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le gouvernement MR-Les Engagés a dû trouver 700 millions d’euros jusqu’en 2029 pour réaliser 500 millions d’euros d’économies et financer 200 millions de politiques nouvelles. En d’autres termes, jusqu’en 2029, la Fédération Wallonie-Bruxelles est au régime sec.

D’habitude, un conclave budgétaire se boucle en deux ou trois jours. Cette fois, ce fut plus long: trois semaines. C’est qu’il a fallu «prendre le temps de l’analyse et travailler sur une trajectoire jusqu’en 2029, pas uniquement faire un conclave pour 2026», selon Elisabeth Degryse (Les Engagés), ministre-présidente en charge du Budget. Tous les secteurs potentiellement concernés guettaient les coups de griffe du gouvernement MR-Les Engagés. On promettait l’enfer. Avec un scénario noir connu: des recettes de treize milliards d’euros et des dépenses de 14,5 milliards, et par conséquent un déficit de 1,5 milliard d’euros en 2024, que la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) se montre incapable de réduire significativement et vite. D’où aussi un endettement qui augmente chaque année, dépassant aujourd’hui quatorze milliards d’euros. C’est là que réside l’inquiétude, car à politique inchangée, il pourrait doubler en moins de dix ans, générant automatiquement une hausse des charges d’intérêts. De 288 millions d’euros en 2025, les coûts de la dette devraient passer à 583 millions d’euros en 2029 et enfler à 1,2 milliard d’euros en 2040. De l’argent qui ne peut être investi ailleurs.

L’effort budgétaire était identifié dès le mois de mai dernier par Elisabeth Degryse: économiser 300 millions d’euros en trois ans (soit 2% du budget total de la FWB), pour «stabiliser» (et non pas «atteindre l’équilibre») le déficit à 1,2 milliard d’euros en 2029. Un montant déjà jugé insuffisant par les experts économiques mandatés par l’exécutif. Leur rapport proposait des pistes d’économies assez salées. Au bout du compte, une grande partie d’entre elles n’ont pas été retenues. Les économies s’élèvent à 255 millions d’euros (185 millions d’économies et 70 millions de politiques nouvelles) en 2026 et à… 700 millions (500 millions d’économies et 200 millions de politiques nouvelles) d’ici à 2029. Un montant plus conséquent que les 300 millions prévus. Mais ce n’est pas l’enfer annoncé dans le rapport des experts. Ce qui permet à l’exécutif d’affirmer qu’il a préservé les missions essentielles de la FWB et, partant, les citoyens. Une manière de neutraliser la contestation qu’il devine. Mais les mesures, dont certaines étaient déjà dévoilées dans la Déclaration de politique communautaire (DPC), ne sont pas pour autant indolores.

L’exécutif a gonflé quelques recettes. Ce qui permet d’engranger, par exemple, 600.000 euros grâce à l’augmentation des prix des stages Adeps ou 10,8 millions d’euros en haussant le prix du minerval dans l’enseignement supérieur (1.194 euros contre  836,96 euros actuellement). Un exercice limité puisque la FWB ne peut pas lever l’impôt. Elle n’a pas de pouvoir fiscal et dépend quasi entièrement des dotations fédérales. Sa seule marge de manœuvre est dès lors de diminuer les dépenses.

C’est dans l’enseignement obligatoire (maternelle, primaire, secondaire) que l’exécutif cible le plus d’économies à réaliser. Logique, étant donné son poids: la FWB lui consacre plus de huit milliards d’euros annuels. Cela représente 54% de son budget, dont plus de 85% est dédié aux salaires. Sa contribution à l’effort de guerre atteindra 86,7 millions d’euros, soit un peu plus d’un tiers des économies à réaliser en FWB. «Un budget de solidarité. Chaque secteur est mis à contribution», insiste Elisabeth Degryse, évoquant le penseur Pierre Rabhi et sa fable du colibri, une légende amérindienne sur un incendie de forêt où un colibri essaie d’éteindre le feu en transportant de l’eau dans son bec; face à un autre animal qui le trouve dérisoire, le colibri répond: «Je fais ma part». «Nous ne touchons pas aux salaires, au pouvoir d’achat des enseignants qui travaillent. Nous n’avons pas touché à l’indexation, nous n’avons pas augmenté le nombre d’élèves par classe, nous n’allons pas supprimer la réforme de la formation initiale des enseignants, ni fusionner les petites écoles…», énumère Valérie Glatigny (MR), la ministre de l’Education.

Etalement

En résumé, la coalition Azur active plusieurs leviers partout, même si, hors enseignement, les autres secteurs sont davantage épargnés. D’abord, elle comprime la masse salariale, une façon de toucher à l’emploi. Comment? Une partie des enseignants devra travailler plus. C’est une idée… «clignotante». Elle s’allume, s’éteint, s’allume, s’éteint… Et, jusqu’ici, les décideurs ne parvenaient jamais à décider. C’était inscrit dans les astres. C’est inscrit dans la Déclaration gouvernementale. Cela figure dans le plan d’économies. D’autres profs, qui n’enseignent pas, sont priés de revenir en classe. Ceux-là sont en congé pour mission ou en détachement et toujours rémunérés par la FWB. Ensuite, l’exécutif thésaurise en n’indexant pas une série de subventions. Il engrange, de cette façon, 74 millions d’euros dans la petite enfance et 12,9 millions dans la culture. A quoi s’ajoute la fin de l’abandon de la norme Milac (qui prévoyait le financement de 1,5 puéricultrice pour sept enfants) et le retour à la norme d’une pour sept. La fonction publique (huit millions) et la recherche (1,5 million) sont les autres domaines qui devront économiser. Le sport (représentant à peine 0,4% du budget et qui recevra 600.000 euros) et les médias de proximité (outre une réduction de leurs subventions à dix millions d’euros) sont épargnés. De même que la RTBF (au moins jusqu’au prochain contrat de gestion).

Finalement, le gouvernement se donnera également du mou. Il lissera les économies sur plusieurs années, jusqu’en 2029. Ainsi, la fin du subventionnement des organisations de jeunesse, des organismes d’éducation permanente et des centres d’archives ayant des liens explicites avec des partis politiques n’entre en vigueur qu’en décembre 2026.

«Nous ne touchons pas aux salaires, au pouvoir d’achat des enseignants qui travaillent. Nous n’avons pas touché à l’indexation, nous n’avons pas augmenté le nombre d’élèves par classe, nous n’allons pas supprimer la réforme de la formation initiale des enseignants, nous n’allons pas fusionner les petites écoles…»

Tour d’horizon des mesures d’économies pour l’année 2026, particulièrement dans l’enseignement, première cible des économies. Au-delà de 2026, d’autres budgets devraient être tout aussi douloureux…

• Hausser l’horaire des profs du secondaire supérieur de deux heures

L’idée se trouve en filigrane dans la Déclaration de politique communautaire (DPC). Actuellement, ils prestent entre 20 et 22 périodes hebdomadaires de 50 minutes face aux élèves – 99% exercent 20 périodes hebdomadaires, soit 16 heures. Ceux du secondaire inférieur prestent entre 22 et 24 périodes par semaine – 99% effectuent 22 périodes par semaine. Surtout, c’est nettement moins que leurs homologues européens. Mécaniquement, la mesure doit permettre de réduire les effectifs. Au cabinet de Valérie Glatigny, on voit aussi cette décision comme une preuve d’équité entre les enseignants prestant 22 heures et ceux qui sont à 20 heures.

• Supprimer les détachements

L’idée était également inscrite dans la DPC. L’exécutif veut réduire le nombre de profs qui n’enseignent pas. Ils sont en «congé pour mission», en «détachement», en «disponibilité», éloignés de l’école mais toujours à la charge de la FWB. En 2023-2024, ils représentent, avec ceux en DPPR (disponibilité précédant la pension de retraite), en maladie longue durée, en congé de maternité, en mi-temps médical, 9%. Sans libérer leur place et tout en conservant les avantages de leur statut (ancienneté, pension, etc.).

En 2024-2025, sur les 1.702 détachés pour mission, 963 étaient à la charge de la FWB, soit un budget de 74 millions d’euros –pour le solde, soit 739 détachés, la FWB se fait rembourser par l’organisation qui les emploie. Parmi eux, 70 seront rappelés en classe. Les détachements seront désormais limités aux postes qui nécessitent une expertise pédagogique. De même, sur les 570 détachés dans le cadre de la mise en œuvre du Pacte d’excellence, 150 devraient retourner en classe.

Il est aussi question, en quelque sorte, de décourager les malades de longue durée. Jusqu’ici, l’enseignant (nommé et temporaire) a droit à quinze jours (ouvrables) par an, quelle que soit sa charge horaire (temps plein, mi-temps, etc.) et sans perte de salaire. Ce «pot», s’il n’est pas utilisé, en totalité ou en partie, peut être accumulé au fil des ans pour constituer un capital, plafonné toutefois à 182 jours, soit une année scolaire. Ce n’est qu’une fois ce pot est épuisé que le salaire est réduit, à 80% durant la première année, 70% durant la seconde et 60% ensuite. A partir de l’année prochaine, dès que le pot sera liquidé, le salaire passera directement à 60%. Comme cela se fait dans le reste de la fonction publique. De même, le nombre de jours de maladie sans certificat sera limité à trois par an, comme ailleurs également.

Barèmes salariaux et CDIE

L’exécutif va créé un barème 401, à mi-chemin entre le 301 des instituteurs et régents actuels et le 501 des universitaires enseignant dans le secondaire supérieur. Il sera accordé aux futurs enseignants formés en quatre ans (au lieu de trois), avec un passage partiel par l’université. Il correspond à une hausse de 5%. Ces nouveaux diplômés (les premiers sortiront en 2027) bénéficieront d’un contrat à durée indéterminée complet en début de carrière (ce qui acte la fin de la nomination). Durant leur première année, leur charge horaire «face classe» sera allégée de deux heures –comme celle de leurs collègues de plus de 60 ans. Il est aussi question de revaloriser les directions (pour augmenter la tension salariale) et de rémunérer les maîtres de stage qui encadrent les futurs enseignants.

En revanche, fini l’accès au barème 501 pour les bacheliers et les instits titulaires d’un master en sciences de l’éducation. Pour l’heure, ils sont 2.500 à en jouir et donc à bénéficier d’un bonus (entre 350 et 400 euros net mensuels). Ils devront désormais se contenter du barème 401.

Revoir le dispositif de gratuité

C’est également une volonté notée dans la DPC: revoir le dispositif de la gratuité des fournitures scolaires de la maternelle à la 3e primaire. L’exécutif MR-Les Engagés supprime ce mécanisme de la 1re à la 3e primaire. Il coûte 45 millions d’euros annuels. En contrepartie, il injecte 25 millions d’euros dans les moyens de fonctionnement des écoles fondamentales. Des moyens d’ailleurs non indexés pour l’année 2026. Ces 25 millions d’euros doivent servir à la gratuité jusqu’en 6e primaire, pas à autre chose. En clair: aux établissements scolaires d’aider les élèves qui en ont le plus besoin. «Ils sont les mieux placés pour savoir qui a besoin de ces fournitures», assure Elisabeth Degryse.

• Augmenter le minerval

Pour les étudiants résidents, c’est la fin de la non-indexation du minerval, en vigueur depuis 2011. Le minerval sera revu à la hausse de façon progressive. Dès la rentrée 2026, coexisteront quatre statuts, basés sur des critères de revenu: l’étudiant boursier (20% des effectifs), bénéficiant de la gratuité d’inscription; l’étudiant de condition modeste (1% des effectifs), qui paiera 374 euros; l’étudiant de catégorie intermédiaire, qui s’acquittera de 835 euros (le montant actuel); l’étudiant favorisé socioéconomiquement, qui paiera le prix plein, soit 1.194 euros. Cette dernière catégorie devrait concerner un étudiant sur deux.

Ensuite, comme annoncé dans la DPC, l’exécutif souhaite faire contribuer davantage les étudiants non résidents. Le Conseil des rectrices et des recteurs (Cref) estime que ceux-ci captent 13% du financement de la FWB. Ce qui correspond aux coûts d’une grosse université. Le modèle «Dies», pour «droit individuel aux études supérieures», est celui qui tient la route, selon le gouvernement. Développé par deux professeurs de l’UCLouvain –Vincent Yzerbyt et Vincent Vandenberghe–, son principe est d’augmenter le minerval de tous les étudiants (1.600 euros, par exemple) mais de «neutraliser» cette hausse par l’octroi d’une bourse universelle d’un montant identique uniquement aux étudiants «éligibles», c’est-à-dire à ceux qui possèdent un lien avec la Belgique francophone par leur nationalité, leur résidence, leur détention d’un diplôme secondaire ou le travail de leurs parents.«En procédant de cette manière, on respecte le droit européen qui autorise un Etat à réserver à ses seuls ressortissants le bénéfice de prestations sociales, de bourses et de prêts d’études. Autant le droit est clair sur l’interdiction de différencier le minerval entre Européens, autant il permet de différencier toute prestation sociale», précisent les professeurs. Selon les prévisions chiffrées, ce système, mis en place dès 2027, pourrait rapporter environ 45 millions d’euros par an.

 

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