Les trois partis de la gauche francophone –PS, PTB, Ecolo– sont tous dans l’opposition. Ils comptent valoriser leurs atouts et minimiser leurs faiblesses pour incarner les meilleurs adversaires de la droite au pouvoir partout.
Un peu saisie, un peu surprise, la gauche est encore sonnée par sa défaite électorale de 2024, et sans doute aussi encore par les vagues de chaleur de l’été.
Au PS, on est déjà rentré, c’était le 25 août, il y aura des « rencontres d’été » dans dix jours, à Mons. Chez Ecolo, on promet que les traditionnelles rencontres de Massembre, les 30 et 31 août, seront « réinventées ». Le PTB mise comme chaque année sur son grand festival ManiFiesta, les 13 et 14 septembre, pour mobiliser. Et puis, mais là-bas, on est moins choqué par les urnes que par ce qu’elles ont induit dans les politiques publiques, la FGTB remplacera Thierry Bodson par Selena Carbonero.
Bref, à gauche, on rentre et on se refonde, on réfléchit, on réorganise, on rénove. Mais on remarque surtout que c’est depuis la droite, désormais, que s’oriente le débat public. Pour des raisons culturelles et économiques, parce que l’antiracisme et le féminisme ne sont plus à la mode, qu’ils sont même coûteux électoralement, et que ce que les journaux appellent «l’assistanat» est aujourd’hui considéré comme le principal problème socioéconomique en même temps que la cause princeps du dérapage inédit des finances publiques belges, wallonnes et bruxelloises, mais aussi communales.
Le cafouillage de l’Arizona sur Gaza, vue comme un terrain de guerre culturelle plutôt que comme un champ de bataille, témoigne de cette orientation. Les partis de droite, MR et N-VA, puisant leur posture pro-israélienne dans le soutien social et médiatique que leur procure leur défense d’Israël, moins comme Etat hébreu que comme pointe avancée de l’Occident, à l’attention du très populeux électorat diffusément inquiet par la présence musulmane en Belgique. Si bien que, ces derniers jours, le choix de l’eurodéputée de la France insoumise Rima Hassan comme marraine de la promotion de la faculté de droit et de criminologie de l’ULB semble poser davantage de problèmes à cette partie de l’opinion publique et à leurs champions politiques et médiatiques que la déclaration par l’ONU d’un état de famine à Gaza, et que ce qui se déroulerait ici paraît plus grave que ce qui se passe là-bas.
Tous à gauche se posent la question d’imprégnation dans le débat public avec une bonne foi de mauvais perdants. Ainsi, plusieurs ateliers de Vert Pop, le «Festival de l’écologie populaire» à Massembre, porteront sur ce contexte communicationnel défavorable: il y en aura un autour du spécialiste en linguistique et en communication George Lakoff, «d’autant plus important en cette période de « greenbashing » et de droitisation des esprits», un sur la fenêtre d’Overton, un pour «comprendre la stratégie des conservateurs», un autre pour «développer une stratégie politique dans l’opposition», pour «mieux communiquer sur les réseaux sociaux», ou pour «avoir le même bagout que [la démocrate américaine] Alexandria Ocasio-Cortez», etc.
Ce contexte pose la droite en force de proposition. Et donc, la gauche en force d’opposition. Ce qui est vu, dans les trois partis –PS, Ecolo, PTB– comme un avantage au moins temporaire, puisqu’ils y sont déjà tous les trois, dans l’opposition, et qu’ils pressentent, malgré les éditoriaux et malgré les polémiques mal emmanchées, que l’opposition aux gouvernements actuels tente aussi une grande part de l’opinion francophone, y compris chez ceux qui, le 9 juin et le 13 octobre 2024, avaient voté pour le MR ou pour Les Engagés.
Cette tentation est servie par les premiers retours des décisions de l’Arizona, bien sûr, sur les pensions, les salaires, la santé, la défense… Mais aussi sur les effets de choix politiques du baptisé «Azur wallon», comme la baisse des droits d’enregistrement, pensée pour être populaire, mais qui, mise en application, aide surtout les gros propriétaires. Et également sur les orientations de la coalition également dite «Azur» en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), qui ne va pas améliorer le statut des profs, une très influente sous-catégorie de la classe moyenne.
Elle est aussi servie, cette tentation, par le mortel entêtement du gouvernement de Benjamin Netanyahou à Gaza, qui fait d’Israël une pointe avancée de l’Occident de moins en moins défendable.
«CLA de merde»
Et puis, cette inclination de l’opinion vers le rejet des gouvernements en place a été, cet été, très bien alimentée par le monopolisateur en chef de l’attention politique dans nos contrées. Juillet a commencé par son autodésignation très contestée à la SA du Grand Prix de Spa-Francorchamps et par la désignation, non moins raillée, de sa compagne à la présidence de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE). Et juillet s’est terminé sur les révélations du Vif, dans lequel il confirmait lui-même parfois utiliser, comme, plus souvent, sa compagne et son chauffeur, une automobile achetée par son parti, une «CLA de merde», mal stationnée presque tous les jours dans sa rue, et dotée parfois d’une carte PMR appartenant à une personne décédée depuis 2014. Ces pitreries en offriraient même à un parti comme le PS, mondialement réputé pour ses pratiques de saine gouvernance (attention, c’est une blague), un certificat de bonne vie et mœurs politique par contraste.
L’opposition aux gouvernements actuels tente une grande part de l’opinion francophone, y compris ceux qui avaient voté pour le MR ou Les Engagés.
Et c’est, au boulevard de l’Empereur, un soulagement, parce qu’on y verrait bien l’enlèvement d’un lest, dans la course que se mènent, aujourd’hui, les trois partis de la gauche francophone pour incarner la meilleure opposition aux majorités avec la N-VA au fédéral, et aux exécutifs MR-Les Engagés en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles.
L’atout du Parti socialiste dans cette lutte pour le meilleur antagonisme, c’est qu’il est le plus grand des trois. Les plus récents sondages l’avaient d’ailleurs placé, dans la marge d’erreur, à la première place en Wallonie, un peu devant le MR. L’entourage de Paul Magnette baigne depuis dans un relatif optimisme, qu’avaient pourtant vachement compromis la catastrophe électorale et un processus de refondation qui tarde à convaincre en interne. Le président actuel, qui pilote ce processus, se représentera en 2027, quand les socialistes sauront s’ils gardent leur nom et ce qu’ils conservent de leur programme. Il souhaite ensuite prolonger son bail, gagner les élections 2029 et puis, qui sait? Mais l’aile droite d’un parti censé se recentrer sans le dire mais tout en le faisant savoir, menée par trois Wallons –le Montois Nicolas Martin, le Carolo Thomas Dermine et la Sérésienne Déborah Géradon–, veille. C’est sans doute la raison pour laquelle Paul Magnette les a tous les trois désignés délégués aux entreprises, chargés de retisser des liens avec les patrons, au printemps dernier.
Ce recentrage pensé pour être visible tout en étant discret fait insister Paul Magnette, dès la rentrée, sur la hausse des prix, le coût de la vie, bref, le pouvoir d’achat, qui est trop faible parce que «tout coûte plus cher avec le MR et Les Engagés», clame-t-il, plutôt que sur les salaires, que les entreprises, avec lesquelles le parti est censé retisser des liens, trouvent trop élevés. La bataille des salaires sera donc plutôt celle du PTB et des interlocuteurs syndicaux, particulièrement de la FGTB, dont le PS pense avoir à gagner à se distancier un peu, et vice versa.
Comme Spitaels, en 1987
Mais si le pouvoir d’achat, selon la com socialiste, est en berne, le pouvoir flamand, lui, hisse ses drapeaux partout. C’est l’autre axe socialiste, de défense des francophones et spécialement des Wallons, que Paul Magnette pense pouvoir planter en campagne, comme Guy Spitaels en 1987, contre les gouvernements Martens-Gol: le programme socialiste avait été modéré sur l’économie mais pugnace sur le communautaire, c’étaient les années Fourons. Cet autre axe distinguera également le PS du PTB, qui insiste peu, de par sa structure unitaire, sur les déséquilibres régionaux qu’impliquent les mesures les plus emblématiques de l’Arizona.
Depuis la grande scène ostendaise où Raoul Hedebouw, lui, donnera la réplique à l’ex-chef du Parti travailliste britannique Jeremy Corbyn, et succédera, notamment, au rappeur Youssoupha, le président du PTB pourra, revendiquant la fin du blocage des salaires, appeler à l’unité syndicale et politique dans la lutte contre l’Arizona, y compris donc avec le PS, puisque cela fut possible à Mons, Molenbeek et Forest, et sans se faire taxer d’extrémisme par les camarades du boulevard de l’Empereur.
Le PS davantage sur les prix que le PTB, les communistes moins wallingants que les socialistes, les écologistes, eux, modifient également, dès cette rentrée politique, leur tonalité dans cette chorale d’opposants de circonstance, dans laquelle chaque allié embarrasse l’autre, auquel il ne souhaite pas être amalgamé. Au programme de Vert Pop cette année, aucune des activités qui valurent aux verts d’infinis procès en «wokisme» et en «islamo-gauchisme» devant l’impitoyable tribunal du politiquement correct. On se rappelle du scandale que provoqua, dans les médias mainstream, la balade féministe en non-mixité choisie de 2021. Le parti coprésidé par Marie Lecocq et Samuel Cogolati se refonde lui aussi, et comme celui de Paul Magnette, il veut se recentrer sur la question centrale de l’environnement: les luttes antiracistes et féministes, si contestées «en cette période de droitisation des esprits» sont absentes du programme 2025 des rencontres de Massembre.