Bruxelles sous tutelle du fédéral: «Bart De Wever veut reléguer la Région bruxelloise au statut de sous-région» © Getty Images

Bruxelles sous tutelle du fédéral: «Bart De Wever veut reléguer la Région bruxelloise au statut de sous-région»

La menace est désormais claire. Faute de gouvernement et avec un déficit qui s’envole, Bruxelles pourrait être placée sous tutelle fédérale. Une perspective qui ferait vaciller les fondements mêmes de l’autonomie bruxelloise.

La sirène d’alarme sur la formation d’un gouvernement bruxellois est un bruit de fond. Une alerte routinière entendue de temps à autre, sans vraiment y prêter attention. Les épisodes se ressemblent, les tentatives échouent à répétition sur la table des négociations, et les blocages politiques sont les mêmes depuis les élections régionales du 9 juin 2024. Pourtant, cette sirène n’a jamais cessé d’annoncer l’urgence. Bien qu’abstraite, reléguée au second plan derrière les querelles partisanes, elle ne traduisait que rarement les conséquences concrètes de l’absence d’un gouvernement bruxellois. Aujourd’hui, par le biais d’une menace du Premier ministre Bart De Wever (N-VA), la couleur est donnée, l’échéance est posée. «Si Bruxelles vient réclamer de l’argent au fédéral, je la mettrai sous tutelle», affirme ce dernier lors d’interviews données à cinq chaînes de télévision (VRT, RTBF, VTM, RTL-TVi et BRF) pour le bilan de ses 100 premiers jours à la tête du gouvernement fédéral.

La voilà, la conséquence. Les fondations de cette urgence, jusqu’ici floue, sont désormais posées. Le risque encouru par les négociateurs d’un gouvernement bruxellois est la perte d’autonomie de la Région. Sa mise sous tutelle par le fédéral. Sa relégation au statut de «sous-région.»

L’ancien informateur Christophe De Beukelaer (Les Engagés) se dit bien conscient des enjeux et de l’urgence de former un gouvernement bruxellois: «Il y a 30 ans, nos prédécesseurs se sont battus pour que Bruxelles soit autonome et puisse prendre ses propres décisions. Il faut qu’on se réveille. On a une obligation de résultat pour ne pas arriver à ce scénario. La pression est maximale. Si une entité fédérée demande de l’argent au fédéral, il est normal qu’il y ait des conditions. Maintenant, il faut l’éviter. Cela nous mettrait dans une position où on n’aurait d’autre choix que d’accepter les directives du fédéral

Une menace qui ne dit pas son nom

L’ultimatum annoncé par Bart De Wever stipule que, si la Région de Bruxelles-Capitale vient solliciter une aide financière du fédéral pour combler son déficit budgétaire, elle devra accepter en retour une forme de mise sous tutelle. Autrement dit, le gouvernement fédéral conditionnerait tout refinancement à un encadrement direct des décisions budgétaires, voire institutionnelles, de la Région.

Concrètement, cela signifierait que Bruxelles perdrait une partie de son autonomie. Ses choix en matière de dépenses, d’investissements ou de réformes structurelles pourraient être contrôlés, modifiés ou validés par le fédéral. Ce type de mécanisme s’apparente à celui imposé à des Etats en crise dans l’Union européenne, comme la Grèce après 2010, à qui des aides financières étaient accordées sous condition d’austérité et de supervision extérieure.

Cette menace prend tout son sens dans un contexte où Bruxelles, région la plus pauvre du pays en termes de revenu médian, fait face à une situation budgétaire de plus en plus tendue. Sa dette explose, et son budget 2025 accuse un déficit structurel, notamment à cause des charges croissantes en matière sociale, des dépenses liées à la mobilité et d’une base fiscale plus étroite que celle des autres régions. Sans gouvernement depuis plus de dix mois, Bruxelles est actuellement incapable d’adopter un budget pluriannuel, ce qui compromet son accès aux marchés financiers. Dans ce contexte, une aide fédérale pourrait vite devenir indispensable pour éviter une crise de liquidité. Le temps est donc compté, au fur et à mesure que sa trésorerie se vide.

Mais si aide fédérale il y a, et si la volonté de Bart De Wever s’exprime, encore faudra-t-il que la majorité fédérale se mette d’accord sur les conditions imposées à la Région bruxelloise. La position de la N-VA ne fait pas consensus au sein de la coalition Arizona. Vooruit est fermement opposé à toute mise sous tutelle, faisant prévaloir la solidarité entre Régions. Les Engagés et le CD&V se montrent prudents quant à la déclaration du Premier ministre et misent eux aussi sur la solidarité et le dialogue, bottant en touche la possibilité d’une perte d’autonomie de la Région bruxelloise. Le MR de Georges-Louis Bouchez est le seul à ne pas remettre en question la sortie de Bart De Wever. Ce qui est assez contradictoire pour un parti qui mène les négociations bruxelloises par l’intermédiaire de David Leisterh (MR), lui aussi resté muet.

«Bruxelles tutelle, tu m’avais manqué»

La Région de Bruxelles-Capitale a été créée par le biais d’une loi spéciale du 12 janvier 1989. Elle dote la Région de ses propres institutions législatives et exécutives, d’une autonomie politique et financière, mais ne bénéficie pas d’une autonomie constitutive. Cela signifie que Bruxelles est, encore aujourd’hui, dépendante du fédéral pour toute réforme institutionnelle la concernant. La Région ne peut ni revoir le nombre de ses députés, ni modifier la composition de son gouvernement (cinq ministres et trois secrétaires d’Etat), et doit passer par des textes fédéraux pour réformer ses institutions.

Bref, c’est une Région qui diffère déjà de la Flandre et de la Wallonie dans sa capacité à s’autogérer, sans que l’on puisse pour autant parler de tutelle. L’idée d’une supervision fédérale n’est donc pas une nouveauté sortie du chapeau de Bart De Wever.

Moins d’un an après la création de la Région, en 1990, l’autonomie de la capitale fut déjà contestée. Des élus flamands, à l’image de Jean-Luc Dehaene, et francophones, comme Philippe Moureaux, exprimaient leurs inquiétudes quant à la capacité de Bruxelles à s’autogérer. Ils évoquaient déjà les problèmes contemporains et centraux à l’incapacité de formation d’un gouvernement bruxellois: problème de coordination et de dialogue entre les différentes communautés et leurs partis, blocage constitutionnel dû à la complexité de formation d’une coalition fondée sur une double majorité…

Sur ce point, Bruxelles a les mains liées. Prise au piège entre l’impossibilité de réformer elle-même ses institutions du fait de l’absence d’autonomie constitutive et la menace d’une mise sous tutelle par le fédéral, lui-même en partie responsable de la complexité bruxelloise.

Depuis 1990, la question d’une supervision accrue du fédéral sur la Région bruxelloise revient régulièrement au centre des discussions. Ces débats n’ont jamais abouti ni à une réforme de l’autonomie, ni à une mise sous tutelle. Mais cette fois, Guillaume Delvaux, doctorant en droit constitutionnel à l’UCLouvain, y voit un contexte plus favorable aux partisans de la tutelle: «Cette déclaration doit être prise au sérieux. Les politiques bruxellois doivent comprendre qu’il en va de la survie de leur autonomie et de leur intégrité. L’Arizona ne veut pas le bien de Bruxelles. Le danger du déficit économique de la capitale risque de transformer en profondeur le paysage politique bruxellois. On va se retrouver à un moment où Bruxelles n’aura d’autre choix que d’accepter l’argent du fédéral pour fonctionner. A ce moment-là, elle devra se plier aux conditions du fédéral et suivre à la lettre ses requêtes. Sauf si le Parlement s’y oppose. Là, on sortirait du cadre prévu par la Constitution et on naviguerait à l’aveugle dans une situation inédite.»

Son analyse de la situation et de la stratégie de Bart De Wever est sans équivoque. «La dépendance économique et l’obligation de se plier aux directives du fédéral mettraient Bruxelles dans une situation de tutelle. Le tout, sans révision de la Constitution. C’est un moyen pour qu’à long terme, la Belgique rentre dans un système de confédéralisme autour de deux supra-régions, la Flandre et la Wallonie, et de deux sous-régions, Bruxelles et les cantons de l’Est.»

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