Parmi les propositions du ministre de la Mobilité: la prolongation de la nuit aérienne, de 23 heures à 7 heures du matin, contre 6 heures aujourd’hui. © belga image

Bruit des avions à Bruxelles : le plan Gilkinet voté avant 2024 ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Deux premiers petits pas ont été franchis pour réduire le bruit des avions à Bruxelles et en périphérie, mais les principales mesures du plan Gilkinet doivent encore être validées par la Vivaldi. Un déblocage avant la fin de la législature?

Ni posters vintage de la Sabena aux murs ni maquettes d’avion de ligne sur sa table de travail. La déco du bureau de Georges Gilkinet, au sommet de la Tour des finances, face au Jardin Botanique, à Bruxelles, renvoie à l’univers ferroviaire: wagons miniatures, affiche de rames de trains, képi SNCB… Peu après son entrée en fonction, à l’automne 2020, le vice-premier Ecolo et ministre fédéral de la Mobilité avait assuré qu’il ne serait pas uniquement le «Monsieur chemin de fer» du gouvernement De Croo. Il avoue qu’il a cependant «dû s’occuper en priorité du rail ces deux dernières années. Il a fallu du temps pour faire aboutir les nouveaux contrats de gestion de la SNCB et d’Infrabel.»

Les redevances variables pénaliseront surtout les avions cargo.

L’épineux dossier politico-communautaire du bruit des avions à Bruxelles et en périphérie, qui a éreinté plusieurs de ses prédécesseurs, a-t-il été relégué à l’arrière-plan? Selon les associations de riverains, il piétine depuis le début de la législature et la plateforme de concertation lancée par le ministre serait «mal organisée» et se révélerait «stérile».

«Un dossier pourri!»

«J’ai hérité d’un dossier pourri, se défend Georges Gilkinet. Je suis resté volontairement discret sur les nuisances sonores de Bruxelles-National. Trop d’intervenants utilisent ce débat à des fins politiques. Moi, je refuse de jouer aux cow-boys et aux Indiens. En tant que ministre fédéral, je me dois de répondre aux décisions de justice assorties d’astreintes coûteuses pour l’Etat.» Voilà pourquoi, explique-t-il, des états généraux ont été mis en place, réunissant les trois Régions, les communes, les groupes de riverains et les acteurs économiques. «J’entends dire que ces réunions ne fonctionnent pas parfaitement. Je réponds que c’est une nouvelle méthode de travail et qu’il n’est pas simple de mettre tous les partenaires d’accord. Cette plateforme est appelée à devenir une enceinte permanente, comme il en existe dans d’autres pays.»

Conscient que son plan crispe certains partenaires, le ministre Georges Gilkinet souhaite avant tout «semer des graines qui amèneront un jour des progrès».
Conscient que son plan crispe certains partenaires, le ministre Georges Gilkinet souhaite avant tout «semer des graines qui amèneront un jour des progrès». © belga image

Vliegwet en préparation

«Je dois aussi établir un cadre juridique stable et cohérent pour les procédures aériennes, indique Georges Gilkinet. Je travaille en ce moment à l’élaboration de cette “vliegwet”.» Une perspective vue d’un mauvais œil par les négociateurs des partis francophones: ils craignent que la loi en question, réclamée de longue date par les autorités flamandes et la direction de Brussels Airport, bétonne la «dispersion» des nuisances sonores, inéquitable pour Bruxelles. Selon les adversaires de la vliegwet, la loi empêchera toute forme de recours en cas de contestation.

L’Etat a aussi été condamné à réaliser une étude d’incidences. Commandée au bureau Envisa, elle avance quatorze propositions pour une répartition plus équitable des nuisances. Toutefois, le document a été rejeté par le gouvernement flamand, car plusieurs des scénarios avancés pour diminuer le nombre de personnes survolées conduisent à faire décoller plus d’avions vers des communes flamandes de la périphérie nord.

Aéroport «laxiste»

«Réduire le bruit des avions en les déplaçant d’une zone à l’autre n’a pas de sens, estime Georges Gilkinet. Cela provoquerait de nouvelles réactions de mécontentement. Je cherche plutôt à diminuer globalement la charge environnementale du trafic, avec pour objectif d’aligner l’aéroport national sur les meilleurs standards européens en matière de cohabitation avec les riverains.»

Selon un spécialiste du dossier, ce discours relève du vœu pieux: «Brussels Airport est plus que jamais la poubelle sonore de l’Europe, car les aéroports voisins, eux, adoptent des mesures drastiques: Maastricht va interdire les gros porteurs à partir du 1er mars prochain. Le gouvernement néerlandais diminue depuis cette année le nombre total de vols à Amsterdam-Schiphol. Francfort et Luxembourg interdisent les vols de nuit. Cologne les a réduits. Par conséquent, les compagnies concentrent leurs avions bruyants dans les aéroports plus laxistes, comme celui de Bruxelles.»

Redevances modulables

Georges Gilkinet a néanmoins posé un premier acte concret pour limiter la circulation de ces vieux coucous: dès le 1er avril, début de la «saison d’été» pour les compagnies aériennes, sera mis en place un nouveau système de modulation des redevances que celles-ci versent à l’entreprise publique Skeyes (ex-Belgocontrol) pour bénéficier de ses services à l’aéroport national. Dans le calcul de la redevance seront intégrés des critères pour pénaliser les appareils les plus polluants et les vols de moins de 500 kilomètres. Le critère lié au bruit sera adapté pour décourager davantage les vols aux heures de repos et le week-end.

«C’est la première fois qu’un système de redevances variables est mis en place en Belgique, se félicite le ministre. L’arrêté royal a été validé par la majorité.» La mesure, qui affecte surtout les avions cargo, est bien accueillie par Arnaud Feist, CEO de Brussels Airport. «Le prix de la redevance variera, en moyenne, de -25% à +40%, selon la performance de l’avion et le moment de la journée où il circule, estime le ministre. Des compagnies comme TUI ou Brussels Airlines verront le montant de leur redevance diminuer, à l’inverse de la flotte de DHL.»

Un droit de polluer?

Selon Philippe Touwaide, médiateur fédéral de l’aéroport, ces redevances sont une «fausse bonne idée»: «Le message adressé aux compagnies est qu’elles peuvent continuer à utiliser leurs appareils bruyants et polluants pour autant qu’elles s’acquittent de nouvelles taxes, surcoût qui sera répercuté sur les passagers et sur les clients des marchandises transportées par cargo et fret.» Réplique du ministre: «Cette mesure est un premier pas. Si l’effet de levier s’avère insuffisant, les montants des redevances seront revus à la hausse. Des ajustements annuels sont prévus.» Pour le médiateur fédéral, la seule mesure efficace est une diminution, au moins le matin, le soir et la nuit, du quota count (QC), le bruit maximal admissible par type d’avion: «Les limites du QC n’ont plus été modifiées depuis juillet 2010. A l’époque, les compagnies ont obtenu un délai pour moderniser leur flotte et trois cents exemptions annuelles leur ont été accordées. Treize ans plus tard, elles n’ont rien fait: le parc des avions cargo de nuit n’a pas été adapté à Bruxelles-National.»

Nouvelles procédures

Pour réduire les conséquences des nuisances aériennes sur l’environnement, de nouvelles procédures de décollage et d’atterrissage sont à l’étude. Un groupe de travail technique, composé de pilotes et de contrôleurs aériens, planche sur ces solutions. Le Conseil des ministres a décidé, en décembre, de libérer 2 745 000 euros pour que le contrôleur aérien Skeyes puisse tester, en collaboration avec les compagnies aériennes et l’aéroport, ces procédures de vol plus écologiques et silencieuses. «Cette phase de tests démarrera dans le courant du premier semestre, indique Georges Gilkinet. Atteindre plus rapidement le ciel diminue la pollution sonore et la consommation de carburant. Il faut aussi éviter les embouteillages d’avions au-dessus de Zaventem, qui obligent un appareil à faire deux ou trois fois le tour de la région avant de se poser. Si les procédures testées se révèlent meilleures que les actuelles, elles deviendront la norme.»

La mesure la plus efficace contre les nuisances sonores est une réduction du quota count, le bruit maximal admissible par type d’avion.

Selon un expert en aéronautique, il existe peu d’options de remplacement aux procédures d’atterrissage actuelles: «En revanche, au décollage, des améliorations sont possibles: un départ en début de piste, une poussée plus forte des moteurs avant de grimper… Mais aucun organisme ne contrôle le respect de procédures plus silencieuses. La DGTA, la Direction générale du transport aérien, manque de personnel.»

Zaventem contre les mesures Gilkinet

«Les premières étapes de ma feuille de route seront suivies, d’ici à la fin de la législature, par d’autres mesures, dont un renforcement de la DGTA», promet le ministre. Sa note de politique générale contient ses principales propositions pour réduire les nuisances: un durcissement des niveaux de bruit (et non des «normes de bruit», compétence régionale), la création d’une autorité indépendante de contrôle et la prolongation de la nuit aérienne: la période de calme aérien relatif serait étendue de 23 heures à 7 heures du matin, contre 23 heures à 6 heures aujourd’hui.

Mais ces projets cabrent l’aéroport national et les compagnies. Elles veulent éviter une réduction du QC des avions, mesure qui les obligerait à desservir Brussels Airport avec des appareils plus modernes et silencieux. Elles ne tiennent pas à se retrouver sous la surveillance d’une autorité, alors que des infractions aux normes de bruit sont commises chaque nuit en toute impunité. Elles assurent que pour rester rentables, elles doivent opérer trois rotations aériennes par jour, ce qui n’est pas le cas si les appareils sont contraints de décoller à partir de 7 heures du matin. «Les textes de loi sont presque mûrs pour être présentés en intercabinets, prévient Gilkinet. Je ne suis pas un Don Quichotte, un idéaliste aveugle: je sais que mon plan crispe certains partenaires. Mais la vie politique ne s’arrêtera pas en mai 2024. Je veux semer des graines qui amèneront un jour des progrès.»

Atteindre plus rapidement le ciel diminuera la pollution sonore et la consommation de carburant.
Atteindre plus rapidement le ciel diminuera la pollution sonore et la consommation de carburant. © belga image
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