Pour boucler le budget et sauver son gouvernement d’ici au 6 novembre, Bart De Wever va devoir convaincre les quatre présidents des autres partis de l’Arizona. Un peu comme dans un jeu vidéo.

Bart De Wever comme dans un jeu vidéo: il doit battre Mahdi, Verougstraete, Rousseau et Bouchez pour boucler le budget

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Pour boucler le budget et sauver son gouvernement d’ici au 6 novembre, Bart De Wever va devoir convaincre les quatre présidents des autres partis de l’Arizona. Un peu comme dans un jeu vidéo.

Il faut voir la confection d’un budget fédéral comme un jeu vidéo. Le chef de l’exécutif en est le héros, lancé dans une quête. Il y a des mondes à passer, un boss à mater à la fin de chaque monde, des pièces à récolter, des power‑ups à glaner. Pour mener sa quête, bien sûr, le héros du jeu de plateforme dispose de plusieurs vies, et affronte un compte à rebours qui court. Le héros meurt s’il n’a pas bouclé le niveau à temps, mais il ne perd qu’une vie. Il a un frère au prénom italien pour l’aider, aussi, et plein d’autres petits camarades. Il y a Super Mario, il est plombier, et disons alors que Bart De Wever, en quête d’un budget et d’une déclaration de politique fédérale devant la Chambre avant le 6 novembre, c’est Super Barto. Il se compare volontiers à un auguste plombier, Jean‑Luc Dehaene, et son frère, il s’appelle Bruno. Des pièces d’or, il en cherche un gros paquet. Super Barto veut trouver dix milliards d’euros d’efforts supplémentaires, en plus de ceux nécessaires à la réalisation de son accord de gouvernement et de ceux nécessaires à la hausse des investissements dans la Défense.

Le compte à rebours s’arrêtera le 6 novembre, c’est le héros lui‑même qui l’a décidé, après qu’il a raté plusieurs échéances, ce qui ne l’a embêté que modérément, car Super Barto a plusieurs vies. Il a de si bons camarades, dans son parti, dans les médias et partout ailleurs, que c’est lui qui tient le chronomètre. Il est le maître du temps flamand. Alors pour lui, ce n’est pas très important de rater une deadline, quand il décide de s’en fixer une. Il a plusieurs vies et il le sait, Super Barto le héros. En 20 ans de suprématie flamande, il a déjà tout dit et tout fait, ainsi que leur contraire, et personne en Flandre ne le lui a jamais reproché. Il a tellement le temps pour lui, le héros, qu’il se permet de ne pas respecter les décomptes là où ses prédécesseurs s’y tenaient, et de prendre des pauses et des vacances là où les mêmes enchaînaient les nuits blanches et les week‑ends de besogne.

En septembre, Bart De Wever comptait encore pouvoir mener sa quête de dix milliards d’euros supplémentaires avant sa première deadline, celle du 14 octobre, avec quatre power‑ups. Mario avait des champignons qui font grossir, des fleurs qui font cracher du feu, des pièces qui enrichissent ou des étoiles qui rendent invulnérable. Barto, lui, comptait sur une hausse de la TVA qui enrichit l’Etat, sur un saut d’index qui appauvrit les travailleurs et les allocataires, sur des économies qui scrutent les malades de longue durée et sur une baisse de la norme de croissance du budget des soins de santé qui contraint les hôpitaux. Que des trucs de droite. Rien de gauche. Il n’a pas proposé d’augmenter les impôts de ceux qui en paient proportionnellement moins que les autres, les cultissimes «épaules les plus larges», ni de travailler sur les aides aux entreprises, et les quatre gros boss de fin de niveau qu’il voulait convaincre ont refusé l’un après l’autre. Mais cette semaine, Super Barto est toujours là, avec ses quatre power‑ups pendants. Alors, si l’on voulait bien imaginer Mario souhaitant vraiment sauver sa princesse, il faut croire que Bart De Wever veut vraiment sauver le budget du pays. Et se dire qu’avant le 6 novembre, il a les quatre gros boss de l’Arizona à mater, qui ont chacun leurs skills.

Sammy Mahdi

Le président du CD&V est le boss du premier niveau. Il n’est pas vraiment un obstacle pour Super Barto. Son skill: il crache un feu qui ne brûle pas beaucoup. Il est le boss le plus facile à battre, Sammy Mahdi, parce qu’il préside le plus petit parti de la coalition, d’une part, et parce qu’un de ses ministres exerce la compétence du Budget, d’autre part. Le faible poids électoral lui donne peu de force pour dire non au Premier ministre, chef de la plus grande formation de l’Arizona. La mission au Budget lui impose de trouver des moyens de le rapprocher de l’équilibre. Pourtant, Mahdi a su se montrer dur avec la N‑VA, lors de la précédente législature régionale flamande. Il avait alors failli faire tomber le gouvernement Jambon sur deux sujets, l’azote, dans lequel il défendait le Boerenbond alors que la N‑VA et sa ministre Zuhal Demir voulaient l’interdire, et les allocations familiales, qu’il a défendues très chèrement alors que ses alliés, dont la N‑VA, voulaient les réduire. Ici, pour soulager son ministre du Budget Vincent Van Peteghem, Sammy Mahdi n’a porté qu’une seule revendication, celle d’un refinancement substantiel de la Justice, département de son autre ministre fédérale, Annelies Verlinden. Elle fut rapidement écartée, parce qu’il faut faire des économies et que même le ministre du Budget le dit. Sammy Mahdi s’associe à deux autres boss pour réclamer une plus grande contribution des célèbres «épaules les plus larges». Mais comme ce n’est pas dans les quatre propositions de base de Super Barto, il part avec un power‑up de retard, face au Premier, sur ce coup. Seul, Sammy Mahdi ne sera donc pas difficile à vaincre. Il suffirait de lui concéder un peu, une «fiscalité plus juste» comme un gros champignon qui fait grossir les recettes, pour qu’il valide ce qui reste.

Yvan Verougstraete

Le président des Engagés est le boss du deuxième niveau. Il n’est pas tout à fait un obstacle pour Super Barto. Son skill: il crache une eau turquoise, un peu brûlante, un peu glacée, le plus souvent tiède. Il est le boss le plus facile à recruter avec soi, parce qu’il préside un parti dont le principal message est d’être constructif. Le centre francophone préférera toujours un accord à un désaccord. C’est la raison pour laquelle il a expliqué à L’Echo, samedi, qu’avec Super Barto, ils n’allaient pas avoir d’autre choix que de «toucher à l’index ou à la TVA», tandis que jusqu’alors sa formation ne voulait que toucher à la TVA pour ne pas devoir toucher à l’index ou à la norme de croissance des soins de santé. Yvan Verougstraete s’associe à Sammy Mahdi et à un autre boss pour réclamer une plus grande contribution des fameuses «épaules les plus larges». Mais comme ce n’est pas dans les quatre propositions de base de Super Barto, il part avec un power‑up de retard, face au Premier, sur ce coup. Seul, Yvan Verougstraete ne sera donc pas difficile à rejoindre. Il suffirait de lui donner un peu de «justice fiscale» comme un sac de pièces d’or, pour qu’il accepte tout le reste.

Conner Rousseau

Le président de Vooruit est le boss du troisième niveau. Il n’est pas tout à fait un adversaire pour Super Barto. Il a conclu un pacte partout où il a pu avec la N‑VA. Son skill: il crache un venin rouge qui rend la droite malade parce que ça lui donne un air de gauche. Mais comme il est le meilleur allié du président de la N‑VA, il a poussé son parti à entrer dans un gouvernement de droite. Et son ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, y est particulièrement à l’aise. Même s’ils ne le disent pas trop fort, Rousseau et lui sont déjà d’accord pour trouver encore plus d’argent chez les malades de longue durée, et il ne sera pas difficile à convaincre de réduire la norme de croissance des soins de santé –il l’avait déjà fait sous De Croo. Conner Rousseau s’associe à Sammy Mahdi et Yvan Verougstraete pour réclamer une plus grande contribution des réputées «épaules les plus larges». Mais comme ce n’est pas dans les quatre propositions de base de Super Barto, il part avec un power‑up de retard, face au Premier, sur ce coup. Seul, Conner Rousseau ne sera pas difficile à enrôler. A lui comme aux deux autres petits boss, il suffira d’offrir un peu d’impôt redistributif, comme des boules de feu balancées aux riches, pour qu’il cède sur tout le reste.

Georges-Louis Bouchez

Le président du MR est le boss du dernier niveau. Il était le premier partenaire francophone de Super Barto, il en est désormais l’adversaire des adversaires en Flandre, où il lui a pris tous les skills, le feu, l’eau, le venin. Il est au Premier ce que Wario était à Mario: son double inversé, qui retourne ses propres armes, ses power‑ups, ses champignons, ses boules de feu et ses pièces d’or, contre lui. Super Barto a grandi en accusant ses adversaires d’être de gauche, même quand ils ne le sont pas. Il les a anéantis en faisant croire qu’ils décidaient de tout, même quand il avait tout le pouvoir et eux aucun. Il s’est dépeint en victime des médias dans des journaux dont il dictait l’agenda. Il a traité ses opposants de menteurs en multipliant les omissions, les diversions et les fake news. Georges‑Louis Bouchez s’est associé à Bart De Wever pour refuser une plus grande contribution des convenues «épaules les plus larges». Mais comme ce n’est pas dans les quatre propositions de base de Super Barto, il part avec un power‑up d’avance, face au Premier, sur ce coup. Et il a pu inverser tout le rapport de force à son avantage, parce qu’il n’a même pas dû refuser un seul truc de gauche. Il a donc pu se permettre d’en rejeter d’autres, notamment le saut d’index, auquel le MR n’a jamais été philosophiquement opposé, et même la hausse de la TVA, qui était jadis l’impôt favori des libéraux. Le double inversé de Super Barto est ainsi en train de lui prendre sa place. A Bart De Wever, il ne reste plus que le plus puissant des power‑ups, l’étoile qui le fait clignoter et rend invincible. Il pourrait l’utiliser pour envoyer bouler Georges‑Louis Bouchez en un contre un, mettant le réformateur sous une pression intenable pour lui faire avaler des concessions que lui‑même, s’il n’était pas Premier ministre, n’aurait jamais acceptées. Mais la prochaine fois, s’il y en a une, c’est probablement Wario qui profitera de l’étoile.

Super Barto a plusieurs vies. En 20 ans de suprématie flamande, il a déjà tout dit et tout fait, ainsi que leur contraire.

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