Après son accord de l’été, Bart De Wever doit boucler un accord d’automne sur le budget 2026. La Sécurité sociale devrait logiquement encaisser le gros de l’effort.
L’accord du 21 juillet, triomphalement rebaptisé «accord de l’été» par Bart De Wever, et porteur, selon le même, des plus importantes réformes socio-économiques de ce siècle, a été validé en kern, en première lecture, comme on dit. Puis les ministres ont pu partir en vacances, sauf Bart De Wever, que l’opposition a convoqué à la Chambre le 24 juillet, avant qu’il emmène sa famille plusieurs semaines en Afrique du Sud, tropisme orangiste oblige. Cet accord de l’été prévoit des mesures très plaisantes pour les électorats des partis de l’Arizona, spécialement pour les deux plus grands, le MR et la N-VA, puisqu’il libéralise le marché du travail, durcit les conditions d’accès à la pension pour les fonctionnaires et les salariés, baisse la fiscalité sur les revenus du travail du même montant pour tous les contribuables, et reporte la réforme «vers une médecine étatisée» que porte le ministre Frank Vandenbroucke.
Il amoncelle également quelques gains symboliques et électoraux dans la bataille culturelle sur le conflit israélo-palestinien (par l’interdiction annoncée du réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens Samidoun), sur la criminalité, avec, entre autres, quelques possibilités supplémentaires de déchéance de nationalité, ou sur l’immigration, notamment avec le renchérissement des frais d’introduction d’un dossier de naturalisation.
Mais l’accord de l’été, avec ces heureuses dispositions pour les partenaires, ne contient pas ce pour quoi Bart De Wever dit avoir été désigné Premier ministre.
Son objectif prioritaire et absolu, celui sur lequel il a brillamment fait campagne, celui pour lequel il a si difficilement bouclé des négociations fédérales, était en effet de rétablir des finances publiques belges gravement endommagées, selon lui, par le gouvernement De Croo. «A politique inchangée, le déficit budgétaire belge risque de devenir le plus important d’Europe. Inverser structurellement cette tendance néfaste sera la première et la plus importante tâche de notre gouvernement», est-il écrit à la première page de l’accord de gouvernement. La Déclaration de politique gouvernementale fédérale prévoit de ramener le déficit de l’Entité 1 (donc de l’Etat fédéral et de la sécurité sociale, tandis que les Régions et Communautés, ainsi que les provinces et les communes sont dans l’Entité 2) sous les 3% du PIB de déficit public d’ici à 2030.
Ça, c’est la ligne d’arrivée.
Le budget 2025, le premier du gouvernement De Wever, forme une sorte de point de départ. Décidé par le kern en avril, à travers l’accord dit «de Pâques», et voté très tard à la Chambre, en juin, parce qu’il a fallu sept mois de négociations pour que s’installe l’Arizona, il prévoit pour cette année un déficit de 25,5 milliards d’euros, soit 4% du PIB à l’issue de l’exercice actuel. Alors que certaines des mesures que devait mettre en œuvre l’accord de Pâques, comme la limitation du chômage dans le temps, impliquaient des économies, le Bureau du plan avait déjà estimé que le déficit s’aggraverait, à 5,5% du PIB en 2030, en raison, spécialement, de l’augmentation brutale des dépenses militaires, qui impose d’investir entre trois et quatre milliards d’euros par an. Des milliards que le gouvernement De Wever n’a pas encore vraiment trouvés, pas même pour 2025.
C’était pire que si on n’avait rien corrigé des décisions du gouvernement De Croo, et c’était déjà gênant pour Bart De Wever.
Mais l’accord de l’été, dont Bart De Wever est si fier, ne contient pas non plus de dispositions qui le rapprocheraient de son objectif apparemment prioritaire. On peut même estimer que la trajectoire de retour aux 3% est encore plus compliquée après l’accord de l’été qu’avant.
Les «quatre piliers» que Bart De Wever a présentés la nuit du 21 juillet coûtent en effet plus d’argent à la collectivité, ou provoquent un manque à gagner supplémentaire pour la recette de l’Etat, qu’ils n’en rapportent.
1. La libéralisation du marché du travail, par la défiscalisation des heures supplémentaires, la fin du travail de nuit ou l’extension des flexijobs, n’augmentera pas les recettes fiscales.
2. La réforme des pensions ne produira des effets qu’à moyen et long termes, probablement pas avant 2026. Il est même possible que davantage de fonctionnaires que prévu anticipent leur retraite anticipée avant le 1er janvier 2026: on a déjà constaté une accélération, coûteuse pour l’Etat qui doit payer ces jeunes pensionnés et engager leurs remplaçants, dans les premiers mois de l’année 2025, une fois les dispositifs de l’accord de gouvernement connus.
3. La hausse de la quotité exemptée d’impôts pour tous les assujettis à l’impôt sur les personnes physiques qui travaillent, même si elle sera très limitée en 2026, ne sera pas compensée par la fin de déductions fiscales dont profitaient jusqu’à présent les inactifs.
4. La réforme des soins de santé étant reportée, elle ne produira, elle aussi, que de tardifs et éventuels effets budgétaires.
Et les mesures hors des piliers du «zomerakkoord», comme la fusion des zones de police bruxelloises, qui coûtera de l’argent, ou comme la hausse des frais pour la naturalisation, qui n’en rapportera que très peu, n’entraveront pas substantiellement cette petite dégradation.
A ce stade et alors que tous ses ministres sont désormais partis en vacances, l’Arizona ne s’est donc pas seulement éloignée de son objectif des 3% de PIB en 2030: elle fait pire que si elle n’avait adopté aucune disposition depuis son installation, et pire, donc, que la trajectoire héritée de la Vivaldi.
Le chantage au réarmement posé par Donald Trump à l’Otan a donné à Bart De Wever une raison d’accélérer le passage aux 2% du PIB pour la Défense, dès 2025 au lieu de 2030.
C’est donc encore plus gênant pour Bart De Wever, qui part très loin pendant quelques semaines, mais qui devra remettre le pot droit à son retour.
Et puis, la bonne nouvelle pour lui, c’est que pour 2026, il a une méthode, il a des excuses et il y a déjà du travail fait.
Une fantaisie non programmée
Sa méthode est inscrite dans l’accord de gouvernement. Elle répartit l’effort budgétaire entre deux tiers de mesures structurelles, et un tiers de mesures discrétionnaires. Cette pondération est déjà très différente de la traditionnelle trinité des gouvernements fédéraux moins marqués à droite, entre un tiers de réduction des dépenses, un tiers d’augmentation des recettes, et un tiers d’autres dispositions. Les mesures structurelles, ce sont les réformes validées par les accords de Pâques et puis du 21 juillet, ainsi que leurs fameux effets retour. La bonne nouvelle dans la bonne nouvelle, pour le retour de vacances de Bart De Wever, c’est que les quelque huit milliards d’effets retour prévus pour toute la législature sont complètement fantaisistes, mais que leur fantaisie n’a jamais été programmée pour 2025 et 2026, mais plutôt pour les années suivantes. C’est donc plus tard que le vrai trou sera à combler.
Les mesures discrétionnaires consistent, selon l’accord de gouvernement, en deux principes, «ralentir la croissance des dépenses» d’une part et assurer «une contribution juste des épaules les plus larges» d’autre part. Cette contribution plus juste, c’est notamment la taxe sur les plus-values, dont le rendement en 2029 doit être de 500 millions d’euros, ce qui n’est pas grand-chose et ne servira pas pour 2026. Reste donc le ralentissement de la croissance des dépenses, qui sera donc, c’est sûr et certain, le principal de l’effort qu’un beau matin, ou peut-être une nuit, juste avant la rentrée parlementaire d’octobre, un kern fatigué annoncera en guise d’accord budgétaire de l’automne.
Et le gros de cette réduction de la croissance des dépenses se fera sur la sécurité sociale, dans une pondération très différente de l’ancienne mécanique d’autres gouvernements fédéraux aussi marqués à droite que l’Arizona. Sous Charles Michel, lors de la première participation de la N-VA à un exécutif fédéral, la dynamique politique et budgétaire voyait la N-VA exiger de coûteuses réductions de cotisations sociales et de l’impôt sur les sociétés, tout en réclamant sempiternellement leur accélération, et Charles Michel et le MR, qui n’étaient pas fondamentalement en désaccord, acceptaient. Et puis, Bart De Wever expliquait que le seul endroit où on pouvait faire des économies substantielles, c’était dans le budget de la sécurité sociale, et Charles Michel et le MR, qui avaient déjà assez de problèmes à gérer comme ça, refusaient. Privée de milliards d’euros de cotisations par le tax shift, la trésorerie de la sécurité sociale, alors, avait été légèrement aidée par une «réduction de la croissance des dépenses» dans le budget des soins de santé, réduction devenue fameuse au moment du Covid.
Sous Bart De Wever, la mécanique a changé, puisque les économies dans la sécurité sociale sont devenues souhaitables, y compris par le MR, et alors qu’il y a dans les cinq partis de la coalition, une formation socialiste. Le MR, par la voix de son président, a même convoqué, à la rentrée, un séminaire gouvernemental, auquel participeraient également les cinq présidents de parti, et qui se consacrerait à réduire massivement les dépenses publiques partout, sauf dans les départements sanctuarisés. Ce que n’est plus la sécurité sociale. Il faut dire que son budget 2025 est près de quatre fois plus élevé, à 146 milliards, que celui de tous les autres départements de l’Etat fédéral, à 42 milliards.
Et que dans ce budget fédéral où les plus gros postes sont sanctuarisés, mobilité exceptée, aucun électorat, ni de droite, ni de gauche, ni du centre, ne supportera des économies dans la police alors que le narcotrafic étend son règne, ni dans la justice alors que les prisons sont bourrées massacre. Ce n’est donc pas dans les départements régaliens, derniers bastions d’activité fédérale, que Bart De Wever trouvera de quoi éponger les déficits. Il y aura donc, nécessairement, des ventes de participations, des reports d’investissements en mobilité sans doute, des fonctionnaires retraités qui ne seront pas remplacés et quelques réductions linéaires dans certains budgets de fonctionnement.
Le bon élève anticipe
Mais même si on doute fort que l’invitation au séminaire de Georges-Louis Bouchez soit honorée par ses homologues, il est déjà établi que le gros de l’effort sur l’Entité 1, en 2026, et surtout les années d’après, lorsqu’il ne faudra plus seulement trouver à financer les dépenses de défense, ni uniquement gommer l’héritage de la Vivaldi, mais surtout assumer tout ce que les prévisions d’effets retour auront de farfelu et ce que la future réforme fiscale aura de coûteux, portera sur la sécurité sociale.
Heureusement pour Bart De Wever, le Premier ministre pourra, dès son retour de vacances et pour le reste de sa mission, se prévaloir d’excuses aussi solides qu’Alexander De Croo avait pu évoquer le coronavirus ou la guerre en Ukraine. Le chantage au réarmement posé par Donald Trump à l’Otan a donné à Bart De Wever une raison d’accélérer le passage aux 2% du PIB pour la défense, obligé dès 2025 alors qu’il n’était prévu que pour 2030. Et le chantage aux droits de douane posé par Donald Trump à l’UE donnera à Bart De Wever une excuse pour ralentir le retour aux 3% du PIB de déficit, au moins autant qu’il permettra de justifier l’éventuelle mauvaise santé de l’économie nationale, et donc d’expliquer le peu de retour des trop ambitieux effets promis.
Aucun électorat ne supportera des économies dans la police alors que le narcotrafic étend son règne, ni dans la justice alors que les prisons sont surpeuplées.
Et puis, heureusement pour lui aussi, une notable partie de l’effort sur la sécurité sociale a été anticipée par son vice-Premier ministre socialiste, Frank Vandenbroucke, qui a déjà imposé au secteur des soins de santé, notamment via le budget de l’Inami, une économie de près d’un milliard d’euros pour 2026 par rapport à ce qui était planifié. Ce faisant, Frank Vandenbroucke a spontanément fait faire à certains malades –surtout ceux qui prennent certains médicaments, qui seront moins remboursés– une grosse partie du travail que devait, à son retour de vacances, accomplir Bart De Wever. Parce qu’il a été assez amoché pendant les débats sur l’accord d’été, Frank Vandenbroucke espère qu’ainsi on ne lui en demandera pas plus à l’automne. Il y a gros à parier que ce sacrifice anticipé du bon élève lui sera plutôt coûteux que payant.