Anthony Dufrane est arrivé au MR, via Georges-Louis Bouchez, après avoir prolongé au PS la militance socialiste de son papa.

Anthony Dufrane, ou comment passer du PS au MR: «Là, mon sang n’a fait qu’un tour, j’ai envoyé un message à Bouchez: j’accepte ta proposition»

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Cette semaine, Anthony Dufrane raconte comment il est arrivé au MR, via Georges-Louis Bouchez, après avoir prolongé au PS la militance de son papa. C’est notre série d’été «Partir un jour».

Entre deux commissions, un jour à la Chambre, Anthony Dufrane prend un café avec son collègue socialiste Patrick Prévot –il le connaît depuis des décennies et ce n’est que normal. Le député fédéral MR était socialiste jusqu’à deux mois avant les élections du 9 juin 2024, lors desquelles il fut brillamment élu depuis la dernière place sur la liste réformatrice dans le Hainaut. Socialiste, il l’était depuis longtemps, quoique avec intermittence. Son père, échevin socialiste dans la très bleue Montigny-le-Tilleul, était secrétaire de la Fédération PS de l’arrondissement de Charleroi au moment où il mit fin à ses jours, dans le tragique contexte d’affaires impliquant le président fédéral, Richard Carlier.

«La lignée paternelle était socialiste, mon grand-père fut président du syndicat des verriers et de la Ruche verrière, à Lodelinsart. Mon papa, échevin. Mais dans l’autre branche familiale, c’étaient de grands libéraux, même s’ils n’avaient pas de mandat –il y avait des agents de change, des docteurs, un fondateur de la Bourse de Bruxelles… Un mariage mixte, même si mon papa était le plus impliqué des deux», précise Anthony Dufrane.

C’est lors du triste moment des funérailles que la politique le saisit. Il travaille alors dans le bâtiment –«j’étais très bien ainsi». Le président du PS, Philippe Busquin, l’alpague. «Il est venu présenter ses condoléances. Quelques jours plus tard, très humainement, il nous rend visite, demande à ma maman si ça ne coince pas pour la pension, etc. Vraiment, c’était bienveillant de sa part. Philippe est une belle personne et il a eu cette volonté de me donner le goût de la politique. A l’époque, le PS, je ne voulais pas spécialement en entendre parler. C’était les affaires, les trois Guy, Agusta, etc. Je n’avais pas une idée très positive de la politique et j’avais eu un père très absent à cause d’elle. Un papa parti à cause de la politique… Philippe, gentiment, insistait. Il me disait « mais non, le PS, c’est autre chose », « la politique, c’est autre chose ». Il m’a plusieurs fois emmené à des activités, j’ai rencontré beaucoup de gens, des jeunes qui avaient envie de s’investir, et je l’ai fait aussi. J’ai créé la section des jeunes socialistes à Montigny-le-Tilleul. J’y ai pris goût», se souvient-il, et il est un peu ému.

L’idée qu’il ne défend plus«Donner des droits sans jamais demander de devoirs.»

Il y prend goût mais il a aussi le talent, puisqu’en 2000, pour sa première campagne, il cartonne aux communales à Montigny, dans la fort belle banlieue carolorégienne, une commune libérale depuis près de 200 ans: «Dernier de la liste, j’ai réalisé le deuxième score de la commune», et devient échevin de feue Véronique Cornet, fille et petite-fille de mayeurs bleus, qui «ne m’a jamais fait de cadeaux mais qui m’a tellement appris en tant que saine gestionnaire». Là surviennent déjà, selon Anthony Dufrane, de premières intermittences. «Véronique faisait du super bon boulot, mais elle se faisait clasher par les socialistes. « De quoi elle se mêle?« , me disaient-ils, parce qu’elle dénonçait les intercommunales comme l’ICDI, qui sponsorisaient le Sporting de Charleroi. « Tu ne sais pas faire taire ta bourgmestre? » Finalement, elle avait raison.»

2014: la dernière campagne socialiste du jeune Anthony Dufrane.

Il entre ensuite au cabinet de Jean-Claude Van Cauwenberghe, puis d’Elio Di Rupo et de Rudy Demotte, et c’est le trauma des «affaires» carolorégiennes, et l’arrivée de Paul Magnette, qui devient ministre wallon à l’été 2007 et qui embrigade le jeune montagnard, dans un climat interne brûlant. «C’était le clan « Van Cau » contre les catalogués rénovateurs de Magnette. J’ai été un des premiers à croire en Paul Magnette. Peut-être pas le premier, mais aujourd’hui je n’y crois plus, ça c’est vrai», ricane-t-il. Il est alors l’organisateur des campagnes, toutes réussies, de l’actuel président de son ancien parti. Lui devient député fédéral en 2010. Paul Magnette l’installe même à Charleroi, dont il devient échevin après les communales d’octobre 2012, puis le fait figurer sur la liste régionale en 2014. Il décroche un siège de député wallon, mais se sent mis de côté, et c’est le retour de l’intermittence. «Je me suis retrouvé élu tout en étant dernier sur la liste. Moi, mon intention était de rester à Charleroi. En fait, on m’a mis sur une voie de garage à Namur. Ce fut une première frustration, j’étais très attaché à la gestion communale, et je n’ai pas trouvé mes repères au parlement de Wallonie. Il y avait des rivalités dans le groupe. Je ne m’épanouissais pas.»

L’idée qu’il conserve«Vouloir remettre à tout prix les gens au travail, même lorsque leur environnement familial n’est pas favorable.»

Il espère retrouver un échevinat après les communales de 2018, mais comme «on» semble ne pas s’y montrer favorable, il refuse de participer au scrutin, alors qu’il avait été annoncé dernier de liste. Il part sur la pointe des pieds. «J’ai annoncé mon retrait de la liste communale. Je me sentais utilisé. Je l’ai fait proprement, je n’ai clashé personne, mais je ne voulais plus être député régional.» Il ne se présente pas en 2019 non plus, cesse de payer ses cotisations, et vit une heureuse vie civile d’indépendant dans le secteur immobilier. Il anime aussi une page Facebook personnelle, sur laquelle il relaie des offres d’emploi, qui affiche 153.000 followers –c’est davantage que Paul Magnette (121.000) et Georges-Louis Bouchez (89.000), ce qui ne manque pas d’attirer l’attention de ces deux-là pendant la presque définitive intermittence socialiste d’Anthony Dufrane. «J’étais resté en contact avec des libéraux comme Nicolas Tzanetatos, par exemple. On s’est connu à l’ISPPC (NDLR: Intercommunale de Santé Publique du Pays de Charleroi), on partageait beaucoup de choses, et au MR ils poussaient depuis longtemps pour que je les rejoigne. Quand ils ont appris que j’avais rejoint le cabinet de Thomas Dermine, j’en ai recroisé l’un ou l’autre, et ils me demandaient « tu ne veux pas que Georges te contacte », et Georges m’a appelé. Il m’a fait une belle proposition. Ça me trottait dans la tête, c’est vrai», avoue-t-il. Parce qu’il a tout de même rompu sa pénultième intermittence grâce à un autre jeune socialiste carolorégien. Après le Magnette de 2007, il y a donc le Dermine de 2023.

Le cycle est alors beaucoup plus rapide. Anthony Dufrane entre au cabinet de Thomas Dermine, à mi-temps et à demi convaincu. «En 2023, je croise Thomas Dermine et Paul Magnette. On échangeait encore de temps en temps avec Paul, mais je ne connaissais pas Thomas. Ce dernier me convainc de revenir au PS. Je n’en voulais plus, parce que je ne me reconnaissais plus dans ce virage à gauche toute que Paul avait opéré. Je décline tout un tas de ses propositions, ça dure une petite année, puis Thomas me propose un mi-temps à son cabinet, et je finis par accepter. Je dis « pas pour le parti mais pour toi, oui ». A l’époque, il avance des arguments que je partage sur les syndicats. Il sait prendre des accents très libéraux, Thomas… Je suis embrigadé dans des réunions de campagne. Je lui apporte pas mal de secrets de fabrication. C’était la lune de miel. Jusqu’à la veille de la pose de la première pierre du data center de Google à Farciennes.»

La pire vacherie«C’est Thomas Dermine, qui m’a fait passer pour un retourneur de casaque. Si j’étais opportuniste, je serais resté au PS…»

C’est une date précise dans sa mémoire, une date d’ouverture d’intermittence longue, et, à l’entendre, éternelle. «J’étais en réunion avec Thomas le matin et sur mon téléphone, je vois passer un article du Soir qui dit que Thomas Dermine est allé haranguer les foules à la FGTB et a tendu la main au PTB. Je lui demande: « C’est quoi, ça? » Il me répond: « Ne t’inquiète pas, c’est un journaliste mal informé. » Deux heures plus tard, j’appelle un syndicaliste que j’avais présenté à Thomas, il me dit: « Anthony, Thomas a été super. Il a tendu la main au PTB. » Je lui dis: « T’es sûr? » Je suis tout retourné. A midi et quart, Thomas m’appelle pour régler le truc de Google du lendemain, et il me balance qu’il ne peut plus démentir parce que le journaliste était dans la salle. Je lui demande: « Mais alors tu m’as menti, ce matin? » « Non, c’est pas vraiment ça, on en parle tout à l’heure… » Là, mon sang n’a fait qu’un tour, j’ai envoyé un message à Bouchez: « Tu m’avais déjà fait une proposition quelques mois avant. Si tu as besoin de moi, je peux venir renforcer les rangs. » La campagne était lancée, les listes étaient présentées, mais Georges a demandé au dernier de liste de se retirer, deux mois avant les élections…»

La personne qui l’a fait changer«Il y en a trois: Nicolas Tzanetatos, Caroline Taquin et Georges-Louis Bouchez.»

10/07/1977

Naissance, à Charleroi. Son père, Christian, est échevin socialiste à Montigny-le-Tilleul et secrétaire de la fédération PS de l’arrondissement de Charleroi.

8/10/2000

Première élection communale, il devient échevin socialiste de Véronique Cornet (MR) à Montigny-le-Tilleul.

13/06/2010

Elu député fédéral. Dans la foulée, il déménage à Charleroi, dont il devient échevin en 2012, alors que Paul Magnette remporte le maïorat. En 2014, il est envoyé au gouvernement wallon.

7/08/2018

A quelques semaines des élections communales, il annonce qu’il ne sera pas sur la liste PS. Il reste au parlement de Wallonie jusqu’aux régionales de 2019, mais il ne se représente pas. Il quitte le PS, mais rejoint le cabinet Dermine en 2023.

4/04/2024

Se dispute avec Thomas Dermine et appelle Georges-Louis Bouchez, qui le propulse en dernière place sur la liste MR dans le Hainaut. Deux mois plus tard, il est député fédéral réformateur.

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