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Alexander De Croo a-t-il « tiré la couverture à lui » après la libération d’Olivier Vandecasteele?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Alexander De Croo s’est beaucoup investi dans la libération d’Olivier Vandecasteele. Au point d’en faire trop une fois sa libération obtenue? Certains le lui reprochent, l’accusant de récupération politique. Jusque dans la Vivaldi…

Eindelijk vrij. Enfin avec nous» – 2 520 likes. Lorsque le vendredi 26 mai, sur Twitter, Alexander De Croo partage la photo d’Olivier Vandecasteele prise par le photographe des Affaires étrangères, dans l’avion de la Défense venu l’échanger à Mascate, capitale du sultanat d’Oman, avec Assadollah Assadi, sorti d’une prison belge, il incarne un certain travail d’équipe. «Talent wins games, but teamwork wins championship», avait lancé la Premier ministre le jour de sa prestation de serment, paraphrasant le basketteur Michael Jordan.

Ce teamwork, ici, aura été celui d’un gouvernement dont le Premier a, ce jour-là, annulé le kern prévu à midi pour accueillir à l’aéroport militaire de Melsbroek, avec ses trois collègues de la Défense, des Affaires étrangères et de la Justice, l’otage libéré, mais qui a aussi, à 11 h 27, envoyé à toutes les rédactions une courte allocution vidéo de lui seul, en français et en néerlandais.

Au 16 rue de la Loi, quelqu’un s’est rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’avoir l’air de trop en faire.

Les quatre ministres se rendirent à l’aéroport, mais pas sur le tarmac: la piste était réservée à l’avion de la Défense, au photographe des Affaires étrangères et à la famille et aux amis proches d’Olivier Vandecasteele. Les images des retrouvailles ne montreraient aucun politique. Au 16 rue de la Loi, quelqu’un s’était rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’avoir l’air de trop en faire dans l’ostentation de la récupération, mais qu’il fallait tout de même en faire beaucoup. Et comme il s’agissait tout de même d’en faire au moins un peu, on avait eu l’idée de l’allocution vidéo solitaire. Et puis le Premier ministre, le 28 mai, irait courir, d’une foulée de tour d’honneur, une partie des 20 km de Bruxelles aux côtés d’amis d’Olivier Vandecasteele. La ministre de la Défense, Ludivine Dedonder («Bon retour auprès des tiens, Olivier» – 972 likes), et la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib («Bienvenue chez toi, Olivier» – 785 likes), publiaient, elles, des photos de la rencontre, avec accolade des concernées avec le Tournaisien.

«Il a tiré la couverture à lui»

Une manière de réagir à cette légère, subreptice, diplomatique, presque mise à l’arrière-plan, dont le moins expansif du très régalien quatuor de Melsbroek, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne, est le moins à plaindre. Il a contribué très directement à la stratégie empruntée, dispose de la tutelle sur la Sûreté de l’Etat, mais il est du même parti que le Premier et, même si les campagnes de soutien à Olivier Vandecasteele ont largement mobilisé des deux côtés de la frontière linguistique, elles ont davantage animé la Belgique francophone que la Flandre. Elles ont été moins contestées aussi: la N-VA, très proche de l’opposition iranienne, s’est farouchement opposée au traité de transfèrement de prisonniers entre Iran et Belgique, validé en juillet 2022 puis contesté devant la Cour constitutionnelle.

Jusqu’à quelques minutes avant le tweet et l’allocution filmée d’Alexander De Croo, ce traité paraissait pourtant être la seule piste praticable pour extraire Olivier Vandecasteele de sa geôle.

Sur Instagram: Alexander De Croo, Vincent Van Quickenborne, Hadja Lahbib et Ludivine Dedonder, les quatre ministres venus accueillir Olivier Vandecasteele à son retour. Sur Twitter, par contre, De Croo la joue solo.
Sur Instagram: Alexander De Croo, Vincent Van Quickenborne, Hadja Lahbib et Ludivine Dedonder, les quatre ministres venus accueillir Olivier Vandecasteele à son retour. Sur Twitter, par contre, De Croo la joue solo. © twitter

Car si Alexander De Croo a «complètement tiré la couverture à lui lors de la communication», comme certains, au MR, le disent, il aura été fort discret, des mois durant, sur la méthode finalement employée. Et si «c’est Hadja et son équipe qui ont fait le boulot», comme ces mêmes certains disent, le Premier, en réalité, a vraiment piloté ce qui était pilotable depuis son bureau de chef de gouvernement d’un petit pays occidental face au chantage aux otages d’une puissance moyen-orientale.

Conçue pour remporter un match plutôt qu’un championnat, cette méthode est fort contestable, et sans doute bancale sur le plan juridique. Plutôt qu’un traité de transfèrement rigoureusement validé par le Parlement, ce sont deux arrêtés royaux pris en vertu de l’article 167 de la Constitution, qui proclame que «le Roi dirige les relations internationales», qui ont servi de base légale aux opérations. Habilitation vague, mais que le Premier a, dès la fin de l’automne dernier, présentée à ses collègues du Conseil des ministres restreint, comme autorisant la Belgique à libérer Assadollah Assadi avant le terme de sa peine, et à l’échanger contre Olivier Vandecasteele. Chaque vice-Premier, rencontré en bilatérale, avait alors marqué son accord. A l’époque, on pensait possible de boucler la transaction entre Noël et Nouvel An.

Les tout petits joueurs d’un très grand jeu

Ce ne fut pas le cas, mais le teamwork de la Vivaldi, étrangement, fonctionna assez bien pour que le plan ne soit pas révélé. Depuis le 26 mai, le chef d’équipe la joue en patron. «Tout ça devra être discuté dans les semaines et les mois à venir, mais la vie d’Olivier a toujours primé. C’est une responsabilité que je prends sur moi», a-t-il répondu à RTL, le dimanche matin, sur la ligne de départ des 20 km de Bruxelles, devant le stand de soutien à l’ancien otage.

Mais parce que ni le talent ni le teamwork ne suffisent lorsqu’on n’est qu’une bande de tout petits joueurs d’un très grand jeu, il a également fallu que le Michael Jordan du petit pays occidental et son équipe s’assurent que les grands alliés, eux aussi aux prises avec la puissance moyen-orientale, ne voient pas dans cette stratégie un problème.

Les Etats-Unis, d’une part, parce qu’un terroriste iranien, dont ils avaient un temps envisagé l’extradition, aurait reçu la grâce d’un allié.

La France, d’autre part, parce que c’est sur son territoire qu’Assadollah Assadi avait planifié son attentat déjoué, qu’elle aurait pu envisager son extradition, et qu’elle la mit dans la balance pour négocier la libération de deux de ses ressortissants détenus en Iran, survenue le 12 mai.

Une fois celle-ci intervenue, la Belgique, Alexander De Croo, ses conseillers et ses équipiers, les services diplomatiques d’Hadja Lahbib et ses convocations d’ambassadeurs, la Sûreté de l’Etat de Vincent Van Quickenborne et ses arrêtés royaux, le renseignement militaire de Ludivine Dedonder et son gros avion se retrouvaient, enfin, seuls face à l’Iran. Encore quelques jours de teamwork et toute cette équipe allait pouvoir se chamailler pour une poignée de likes.

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