Bart De Wever est enfin parvenu à nouer un accord de l’été qui n’annonce rien de neuf par rapport à l’accord du gouvernement Arizona. Mais il aurait pu marquer un échec cuisant.
Nous sommes le 21 juillet 2025 et Bart De Wever a son accord de l’été, qualifié par lui-même, en toute modestie, des « plus grandes réformes socio-économiques du siècle ». Ce n’est probablement pas très vrai, par rapport aux nombreux bouleversement imposés sous Charles Michel (qui avait mis la pension à 67 ans, fait un saut d’index, opéré des baisses massives des cotisations sociales et patronales, diminué d’un tiers l’Impôt sur les sociétés, etc., etc.), mais enfin, cet accord du 21 juillet, c’est ce que Bart De Wever voulait.
Il voulait d’abord qu’on appelle son accord de l’été « accord de l’été », alors que c’est un accord du 21 juillet, mais les médias parlent tous d’un accord de l’été. C’est une victoire pour Bart De Wever, qui ne devra pas recevoir les compliments de ses camarades avec « 21 juillet » dedans. Et c’est surtout une victoire qui démontre qu’il conserve, en Flandre donc en Belgique, son pouvoir sur les mots.
Et Bart De Wever voulait ensuite et surtout que cet accord précise et complète l’accord de gouvernement, afin de le mettre en œuvre. Son accord de l’été, en réalité, ne contient rien de plus révolutionnaire que ce que les deux cents pages de l’accord de gouvernement recelaient déjà. Mais si c’est une victoire c’est parce que ce mois de juillet compliqué aurait pu faire dérailler le « train de réformes » applaudi par les organisations patronales et lancé le 31 janvier lorsque Bart De Wever est allé annoncer au Roi qu’il avait un gouvernement.
La simple existence de cet accord, avec cette dénomination, est donc surtout une victoire pour Bart De Wever parce qu’il lui permet de continuer à faire ce qu’il avait dit qu’il ferait, pas parce qu’il va faire de nouvelles choses : les termes de la réforme fiscale en 2029, du bonus et du malus pension, de la fin des primes de nuit dans certains secteurs, de la hausse des dépenses de Défense et de l’achat de nouveaux F35, de la taxation des plus-values ou de la limitation dans le temps des allocations de chômage sont publics depuis ces derniers mois, depuis l’accord de gouvernement, puis l’accord de Pâques, au moins.
Mais si Bart De Wever triomphe avec tant d’entrain, c’est parce que ces dernières semaines ont failli tout compromettre, parce que tout arrivait en même temps dans le grand entonnoir belge.
Et l’entonnoir du 21 juillet a commencé par un embouteillage des trois pouvoirs politiques belges, d’abord les partis, puis le kern, et puis la Chambre, dans l’ordre de leur puissance réelle, et croisés dans une fin de semaine démentielle. Un parti, Les Engagés, avait validé en kern il y a quelques mois, c’était un des aspects de l’accord de Pâques, le projet de loi sur la limitation des allocations de chômage, et la Chambre devait le voter ce jeudi 17 juillet, lors de sa dernière séance plénière de l’année parlementaire. Mais ce même parti voulait que le kern décide de compensations plus élevées pour les CPAS, que les exclusions massives de chômeurs allaient très rapidement étrangler.
Il en imposa donc au kern de jeudi, qui en dépendait pour avancer sur les projets que contiendrait le futur accord du 21 juillet, et puis donc à la Chambre, qui en dépendait pour voter les projets contenus dans la loi programme issue de l’accord de Pâques lors de la dernière plénière avant les vacances. Une fois que le parti avait fait valoir sa volonté au kern -les CPAS recevraient 300 millions plutôt que 236 même si 400 millions avaient été promis en début d’année, la Chambre allait pouvoir voter tout le reste.
Une fois la Chambre en vacances, dans la nuit de jeudi à vendredi, ne restaient plus en lice que les deux plus importants pouvoirs de Belgique, les partis et le kern.
Mais comme Les Engagés avaient pu se vanter d’avoir obtenu gain de cause, les autres partis voulaient encore plus empocher de quoi fanfaronner, et à la fin de la nuit, on avait « beaucoup avancé » mais on n’avait pas d’accord. Et au matin, vendredi 18 juillet les autres ministres étaient invités à participer au Conseil des ministres hebdomadaires, et à contempler l’épuisement de leurs collègues vice-Premiers. Jusque-là, Vooruit avait obtenu sa taxe sur les plus-values deux semaines plus tôt, le CD&V sa loi contre la surpopulation carcérale, votée quelques heures plus tôt à la Chambre parce que les Engagés avaient obtenu le refinancement des CPAS et même si Georges-Louis Bouchez s’est abstenu. A l’issue du Conseil, deux ministres sortaient du 16, rue de la Loi, pour annoncer aux journalistes qu’ils avaient eu gain de cause. Deux ministres représentants les deux grands partis de la coalition, ceux-là même qui donnent le ton de l’Arizona mais qui avaient, jusqu’à présent, été frustrés par les trois plus petits. Pour le MR, Bernard Quintin, flanqué de ses deux porte-parole, venait raconter que la fusion des zones de polices bruxelloises était engagée et que les deux textes avaient été validés. Pour la N-VA, Theo Francken, avec son attaché de presse en costume vert bouteille, se rengorgeait d’avoir reçu 11 F35 et plus de deux milliards d’euros de munitions.
Il ne restait qu’un week-end jusqu’au 21 juillet, les ministres se séparèrent, le kern ultime se prépara et certains partis se déchaînèrent. Les formations francophones de la coalition en particulier ont surexposé leurs divergences, déjà fort montrée ces dernières semaines. Après l’annonce de Bernard Quintin, le patron bruxellois des Engagés a parlé de « trahison », il ne parle jamais à la légère, et puis au kern Maxime Prévot a dû exiger que les 55 millions promis pour financer la fusion soient « une base » plutôt qu’un plafond. Et samedi, dans la DH, le président réformateur Georges-Louis Bouchez a rappelé qu’il voulait que le calendrier de la réforme fiscale soit accéléré, et qu’en août, lors des négociations en kern sur le budget, l’Arizona baisse beaucoup plus que prévu les dépenses publiques. C’était une manière de dire que s’il n’avait pas cette accélération de la réforme fiscale le 21 juillet, il voulait sa baisse des dépenses dans le prochain accord d’automne. Parce que les trois plus petits partis avaient déjà reçu ce qu’ils voulaient, que les Engagés étaient encore revendicatifs, et que Vooruit exigeait sa réforme des suppléments d’honoraires.
La réunion entamée dimanche 20 juillet au soir ne dura que quelques heures, parce qu’il ne restait plus à Bart De Wever qu’à un peu punir les formations, parmi les cinq partis de la majorité, qui avaient été les plus turbulentes et les moins punies ces derniers jours. Ainsi Les Engagés et Vooruit ont-ils un peu payé leur audace, puisque le revenu d’Intégration, qui devait continuer d’être exonéré d’impôt, selon les termes de l’accord de gouvernement, sera désormais éligible à l’impôt sur les personnes physiques, c’est un symbole mais un symbole fort, et que la réforme de Frank Vandenbroucke est, en fait, placée dans un dangereux frigo. Le MR, lui, se prévaut d’avoir fait avaler une accélération de la hausse de la quotité exemptée d’impôts, mais il est le seul tant elle semble peu visible à l’œil nu. Mais qu’importe, puisque le MR prépare là surtout la prochaine litanie de kerns et de négociations nocturnes, celles que mèneront les arizoniens sur le budget dès leur retour de vacances.
Car c’est la morale de cet accord du 21 juillet, accord de l’été selon Bart De Wever, qui a traversé les trois pouvoirs pour parvenir au bout de son entonnoir : Bart De Wever en fait des caisses, il a bien raison, parce qu’il y a de tout ou presque dans cet accord. Il y a un tout petit peu de fiscalité, il y a encore de la défense, il y a beaucoup de pensions, il y a pas mal de marché du travail, il y a aussi de l’Intérieur, il y a même du climat car les Engagés ont obtenu que le fédéral fasse sa part du Plan national énergie climat. Mais il n’y a pas ce dont Bart De Wever depuis deux ans pourtant dit que c’est le plus important, ce dont il jure que ça l’empêche de dormir : il n’y a rien, dans cet accord du 21 juillet, pour combler le déficit qui se prépare, compte tenu des décisions prises par ce gouvernement, à être bien plus élevé que sous la Vivaldi. C’est pourquoi cet accord de saison que Bart De Wever présente comme historique devra être suivi d’accords budgétaires bien plus basculants dès l’automne qui vient. Le premier 21 juillet de Bart De Wever n’est donc que la promesse d’autres concordes, toutes plus censées sauver la Belgique les unes que les autres.