Plan de relance: voici les bons et les mauvais élèves entre le fédéral et les régions
Tous les six mois, la Belgique remet un rapport sur l’avancement de la mise en œuvre du plan de relance (dit « plan de reprise et de résilience ») financé par l’Union européenne. Le Vif l’a obtenu. Les moins bons élèves sont le fédéral et la Wallonie, les meilleurs, la Flandre et Bruxelles…
Qu’ont en commun le transport d’hydrogène vers le port d’Anvers, la mise en service d’une ligne de métro abandonnée à Charleroi ou la fondation d’un institut pour l’intelligence artificielle à Bruxelles? Tous étaient les germes du monde d’après, semés en Belgique et arrosés d’argent européen.
Enfin, en théorie, car la Belgique n’a pas encore récolté tous les fruits de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) européenne. Mais, deux fois par an, une petite récolte donne une idée de la maturité de ses produits.
En pleine crise du Covid, l’Union engageait les Etats membres à rédiger des plans de relance, qu’elle financerait à hauteur des dommages provoqués par la pandémie sur les économies nationales. L’enveloppe continentale s’élevait, au départ, à 5,9 milliards d’euros. Elle a été réduite à 4,5 milliards, en raison de la bonne tenue de l’économie belge.
Le secrétaire d’Etat fédéral à la Relance, Thomas Dermine (PS), a envoyé, au printemps 2021, le plan de relance et de résilience belge aux services d’Ursula von der Leyen (PRR), présidente de la Commission. Celle-ci avait alors, en juillet, déboursé une première tranche de préfinancement, pour quelque 770 millions. Les versements suivants dépendront, nous y reviendrons, de la réalisation d’un total de 210 jalons et cibles. Tous les projets devront être réalisés en août 2026. La première version du Plan de relance et de résilience de la Belgique comptait 88 investissements et 35 réformes à accomplir.
Ces investissements et ces réformes sont promis par le gouvernement fédéral, bien sûr, mais aussi par les entités fédérées (la Flandre, la Région wallonne, la Région de Bruxelles-Capitale, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Communauté germanophone).
Les différents niveaux de pouvoir s’étaient répartis les fonds promis selon une bonne vieille clé de répartition à la belge, qui veilla, toutefois, à éviter les doublons et les concurrences dispendieuses.
Le 27 octobre dernier, Thomas Dermine a présenté au Conseil des ministres son rapport semestriel sur l’état d’avancement des différents projets belges intégrés à la Facilité pour la reprise et la résilience européenne. Le Vif s’est procuré sa note, centrée sur l’exécution des ambitions fédérales. En outre, le secrétaire d’Etat a transmis aux parlementaires de la commission Economie du Parlement fédéral le tableau qui recense, pour chaque niveau de pouvoir, comment les jalons et les cibles – en anglais, on dit milestones et targets – sont atteints ou pas par l’Etat fédéral et les entités fédérées.
Si elle reste insatisfaite, la Commission pourrait suspendre les paiements pour des projets qui sont déjà en train de sortir de terre.
Les jalons portent sur des objectifs qualitatifs (adopter un cadre réglementaire, par exemple), les cibles sur des dimensions quantitatives (construire un kilomètre de pistes cyclables, par exemple).
Le rapport d’automne du secrétaire d’Etat montre que les différents gouvernements ne naviguent pas à la même vitesse sur le chemin du monde d’après: la Région wallonne n’a pas atteint, ou a dû reporter, huit des 28 jalons et cibles qui étaient censés être atteints, contre deux sur 26 pour la Région bruxelloise, cinq sur 39 pour la Flandre, deux sur huit pour la Fédération Wallonie-Bruxelles et deux sur cinq pour la Communauté germanophone. La Région wallonne fait encore moins bien que l’Etat fédéral, qui a reporté, ou a raté, onze de ses 69 jalons et cibles semestriels.
Les informations contenues dans la note au Conseil des ministres de Thomas Dermine, ses notes précédentes et les données de son tableau de rapportage semestriel ne donnent pas une vue complète de l’état d’avancement de chaque projet, seulement des jalons et des cibles les plus proches. Certains projets, parce qu’ils ne doivent pas, dans cette période, franchir d’étapes, n’y figurent même pas. D’autres ont été abandonnés.
En croisant ces notes et ces tableaux avec la liste disponible sur le site nextgenbelgium.be, lui aussi, quoique sommairement, mis à jour tous les six mois, il est possible de savoir si un projet est vraiment sur les bons rails ou pas. Le Vif a accompli cet exercice de croisement. En ne considérant que les investissements à opérer, et pas les réformes à introduire: celles-ci n’ont pas vocation à physiquement modifier le paysage de la Belgique. Nous en reparlerons plus loin néanmoins, parce que de ces réformes dépend la livraison de l’argent européen.
La collecte, le croisement et l’analyse de ces données est d’autant plus complexe à réaliser que les différents niveaux de pouvoir n’ont pas limité leurs ambitions pour le monde d’après à ce qui ressortait de la Facilité pour la relance et la résilience.
Le fédéral en mal de colonne vertébrale
Pour ce qui concerne l’échelon fédéral, un Plan de relance et de résilience +, portant trois projets d’investissements supplémentaires, puis un Plan de redémarrage et de transition (PRT) sont venus compléter les mesures promises par le PRR originel, le tout composant un Plan de relance et d’investissement fédéral (PRI) faisant l’objet du même rapportage semestriel, et dont les différentes mesures sont, elles aussi, présentées sur le site nextgenbelgium.be. Nous nous sommes limités au Plan de relance et de résilience originel.
Mais le secrétaire d’Etat chargé de coordonner ces travaux lui-même ne semble pas parfaitement s’y retrouver dans cette poignée de plans, ces centaines de jalons et de cibles, ces milliers de lignes et de colonnes, ces dimensions fédérales et fédérées. Ses premières notes semestrielles au Conseil des ministres évoquent ainsi d’abord «36 projets d’investissement et quatorze réformes fédérales du PRR approuvées par le Conseil des ministres du 30 avril 2021, pour un budget de 1 250 millions d’euros». Mais à partir du rapport de mai 2023, il est question de 37 projets d’investissements et quinze réformes fédérales du PRR approuvées par le Conseil des ministres du 30 avril», toujours pour le même budget…
Selon la note la plus récente de Thomas Dermine à ses collègues, «il ressort que sept jalons et cibles sur les 47 du PRR supposés atteints à ce stade sont “non atteints”».
Ces étapes concernent six projets d’investissement, dont la réalisation est compromise à divers degrés.
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La part la plus gigantesque des investissements (395 millions d’euros) concerne un réseau de transport d’hydrogène et de CO2 qui ferait office de colonne vertébrale pour la Belgique de demain, dont la ministre fédérale de l’Energie, Tinne Van der Straeten (Groen), est responsable (voir tableau ci-dessus). Or, la décision de subsidier un opérateur a été rendue impossible par un recours introduit par un autre opérateur, lui-même à l’origine d’une offre concurrente. «L’offre concurrente comme le recours ont été abandonnés très récemment», peut-on lire dans une cellule du tableau semestriel, ce qui peut être interprété comme un signe d’espoir, mais fort tardif: ces étapes devaient originellement être atteintes au premier trimestre 2022…
Plan de relance: les premiers coups de pioche ont été donnés
Deux autres dossiers de Tinne Van der Straeten accusent un retard moins embarrassant que le précédent. D’abord, l’appel à projets pour simuler la production d’hydrogène en Belgique (cinquante millions d’euros) aurait dû être bouclé au deuxième trimestre de cette année ; il a dû être révisé, et devrait être relancé incessamment. Ensuite, le permis environnemental pour l’île énergétique qu’Elia est sur le point de construire en mer du Nord n’était pas encore délivré au moment du rapport. Ce n’était, lit-on dans les justifications, qu’une question de jours ou de semaines. De plus, le projet de médecine nucléaire, pour lequel l’Institut national des radioéléments de Fleurus a déjà remboursé l’argent fédéral, avait été aban- donné depuis longtemps.
Le ministre de la Mobilité, Georges Gilkinet, n’est pas parvenu à se tenir à tous les délais relatifs aux travaux d’accessibilité et de multimodalité dans 17 des 34 gares appelées à être rénovées, d’Ans à Watermael. Mais, rassure la note de rapportage, «les travaux dans certaines gares ont donc été reportés, mais restent dans la période d’éligibilité du RRF».
Enfin, le secrétaire d’Etat chargé de noter ses collègues n’est pas parvenu à remettre un bulletin parfait. Son appel à projets pour doper la recherche et le développement dans les secteurs spatial et aéronautique (35 millions d’euros) a très vite été reporté, puis purement et simplement supprimé de son propre plan de relance, ainsi que du site nextgenbelgium.be. Il rate donc avec une métronomique régularité chaque étape prévue, et le fera jusqu’à août 2026. L’investissement prévu a été réorienté vers l’agence spatiale européenne, sous forme de contribution belge, avec la même destination formelle, soit la recherche et le développement. Et c’est, dit-on dans l’opposition, cette contribution qui a encouragé l’ESA à sélectionner Raphaël Liégeois parmi ses astronautes de carrière.
La note déposée le 27 octobre anticipe également les cibles et jalons à atteindre dans les prochains mois. A cet égard, «parmi les 22 jalons/cibles dont l’atteinte est prévue dans les douze mois à venir, quatre sont identifiés comme “en retard” dans le rapport», dit-elle. Trois projets sont concernés. La «single digital gateway» de Mathieu Michel – un accès numérique unique à l’administration – est un peu en retard, mais elle a, il y a plusieurs mois déjà, demandé une replanification, qui doit être validée par la Commission. La centralisation de toutes les décisions judiciaires jusqu’en appel, dans le cadre de la numérisation de la justice, est bouclée, mais leur publication vers l’extérieur, après anonymisation, ne sera prête qu’au début de l’année prochaine. Enfin, Karine Lalieux (PS) est en retard de quelques kilomètres de pistes cyclables dont elle est, en tant que ministre de tutelle de Beliris, responsable. Rien d’insurmontable, selon le rapport semestriel de son camarade de secrétaire d’Etat.
Ces retards dans l’exécution sont finalement assez anecdotiques eu égard à l’ampleur des investissements, si l’on excepte les torsions de la colonne vertébrale hydrogène et CO2. Les premiers coups de pioche ont été donnés, les gares se rénovent, les bâtiments s’isolent, les panneaux photovoltaïques s’installent. Mais l’argent européen n’est pas encore là, et c’est, pour l’instant, le trésor fédéral qui rince: à côté des investissements programmés, les réformes exigées, des pensions en particulier, ont insuffisamment satisfait la Commission, si bien que la deuxième tranche de ses subsides, 850 millions d’euros, n’a pas encore été versée. Les dernières réponses de l’Etat fédéral, portant, a dit Thomas Dermine à la Chambre, sur «vingt jalons», ont été envoyées le 7 novembre. Si elle reste insatisfaite, la Commission pourrait suspendre les paiements pour des projets qui, concrètement, sont déjà en train de sortir de terre. La Belgique entrerait alors dans le monde d’après, mais à crédit.
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