Nicolas Baygert, expert en communication politique. © dr

Philippe de Belgique, un roi à la page ? «Le défi, c’est de montrer que la monarchie vit avec son temps»

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

En près de dix ans de règne, l’image de Philippe s’est métamorphosée. Le prince héritier, perçu comme coincé et en souffrance, fait place à un roi visiblement bien dans sa peau, dans sa fonction et dans son époque. Nicolas Baygert, expert en communication politique (ULB, Ihecs, Sciences Po Paris), souligne le travail accompli pour faire entrer le Palais dans l’ère des réseaux sociaux.

Un roi des Belges qui se donne en spectacle pour une vidéo sympa de soutien à l’équipe nationale de foot: une heureuse surprise?

L’exercice, inhabituel venant d’un palais royal, a livré un résultat positif. Associer la personne du roi à des événements qui marquent l’actualité, comme cette séquence de Coupe du monde de football, permet de casser l’image d’Epinal de la monarchie, son côté «boîte de biscuits Delacre». Le recours à l’auto- dérision, à une certaine légèreté «à la belge», offre un côté décalé tout en évitant de sombrer dans le ridicule ou d’humilier la fonction royale. Ce n’est pas «too much».

Visiblement, personne n’y a trouvé matière à redire…

Peut-être les générations plus âgées, qui conservent un logiciel plus «belgicain», resteront-elles dubitatives face à ce genre de prestation royale mais le public cible n’est de toute évidence pas celui-là. C’est celui des réseaux sociaux qui est visé par cette vidéo et qui découvre ainsi un roi Philippe dans une performance qui ne peut être qu’une valeur ajoutée pour son capital de sympathie.

Qu’est-ce que cette prestation dit ou révèle du roi?

«On fait» avec les monarques que l’on a et tous ne sont pas naturellement charismatiques. On a souvent critiqué Philippe pour son côté anxieux, timide, en souffrance, alors que dans cette vidéo, il se montre en roi comme on se l’imagine et que l’on a appris à apprécier pour son authenticité. Le processus de redressement, fruit d’un travail de construction de dix ans, est magistral si on se souvient du déficit d’image de Philippe lorsqu’il était prince héritier. Sa récente prestation ne changera pas fondamentalement son image de roi mais la complétera, l’enrichira en l’inscrivant dans un registre plus folklorique. Son potentiel de légitimité n’est pas entaché, parce qu’il a su endosser le rôle de manager de crise lors des épreuves traversées par la Belgique, des attentats islamistes à la crise sanitaire en passant par les inondations.

Je ne pense pas que le Palais puisse porter ombrage à la communication des politiques. Il n’investit pas dans la séduction électorale.

Le roi s’enhardit: la prise de risque était-elle vraiment nulle dans le contexte d’une Coupe du monde aussi décriée que celle au Qatar?

Ici, le roi endosse le rôle de chef de l’Etat qui soutient une équipe nationale, à l’image de la RTBF qui retransmet l’intégralité des rencontres ou de la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib (MR), qui a fait le déplacement au Qatar. L’initiative de la vidéo revient d’ailleurs à l’Union belge de football, on est donc bien dans le registre sportif dénué de considérations politiques. Philippe reste ainsi épargné et c’est plutôt le fait d’être sorti de sa zone de confort qui est salué. Dans ses discours, le roi endosse par ailleurs un rôle de motivateur des forces vives de la nation, il ne s’écarte pas de ce profil. Il y a cohérence.

En franchissant ce pas dans le registre de la vidéo humoristique, le roi s’expose-t-il à être sollicité dans le cadre d’autres manifestations ou événements sportifs, caritatifs, folkloriques, musicaux ou autres? Comment opérer le tri?

Ce genre de coup de com ne peut évidemment être réédité chaque semaine, au risque de finir par embarrasser. Le Palais supporte déjà de nombreuses causes et il lui appartiendra de juger de la pertinence d’une sollicitation avec comme premier critère celui de l’unité nationale.

La communication royale est entrée dans une autre dimension?

Dans une vraie volonté de moderniser sa communication, le Palais a assez bien apprivoisé le tournant des réseaux sociaux. Le défi, à cet égard, est de montrer que la monarchie vit avec son temps. On constate que le Palais teste sur les réseaux sociaux des choses qui sont en réactivité par rapport à l’actualité, avec plus ou moins de bonheur. Le soutien apporté en 2018 par la reine Mathilde à une campagne de sensibilisation au cyberharcèlement sous la forme d’un message vidéo enregistré qui se concluait par «le cyberharcèlement, c’est vraiment nul», a donné lieu à des parodies sur les réseaux sociaux, jusqu’à être moqué en France par Yann Barthès dans Quotidien (NDLR: émission télé d’infodivertissement sur TMC), parce que l’intervention était en décalage avec les codes de la parole en ligne. Personne n’a critiqué la sincérité de l’initiative, la reine Mathilde a été épargnée, mais le style ringard sautait aux yeux. Preuve qu’il s’agit bien d’un jeu d’équilibriste. Un travail de construction progressive de nature charismatique autour de la princesse Elisabeth, l’héritière du trône, est aussi clairement en cours au Palais.

En s’aventurant plus franchement sur le terrain de la communication, le Palais court-il le risque d’éventuelles frictions avec un monde politique que l’on sait chatouilleux en la matière? L’annonce ultrarapide de la nomination d’Alexia Bertrand au poste de secrétaire d’Etat au Budget serait-elle un coup de semonce?

Je ne pense pas que le Palais puisse porter ombrage à la communication des politiques. Il n’investit pas dans la séduction électorale mais dans la communication publique. Lorsqu’il annonce la nomination d’Alexia Bertrand, il ne fait que rappeler la règle constitutionnelle. Au passage, il a pu donner une dimension plus apaisée à la passation de pouvoirs en actant la nomination ministérielle sans passer par l’étalage d’une crise de ménage entre deux formations du gouvernement, le MR et l’Open VLD. L’intérêt de la stabilité du gouvernement et, partant, de l’Etat, est au cœur des préoccupations du Palais qui éprouve ainsi le besoin de recadrer les choses alors que la Belgique reste dans une phase anxiogène d’instabilité gouvernementale.

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