La Morra, petit village italien du XVe siècle, est le théâtre d'un projet immobilier du couple Grivegnée-Depaye, dans lequel la confusion des genres semble régner... © DR

Nouvelles révélations sur le projet Cristal Park à Seraing: conflits d’intérêts à tous les étages

David Leloup
David Leloup Journaliste

A Seraing, tout est possible. En 2019, alors que le projet Cristal Park tire la langue, sa cheville ouvrière criblée de dettes parvient à co-investir 1,5 million d’euros dans un projet immobilier en Italie. Sur fond de conflits d’intérêts.

En novembre 2020, X.D., un ancien associé de Pierre Grivegnée – l’homme qui a porté le projet immobilier Cristal Park à Seraing pendant dix-sept ans –, dépose plainte contre Grivegnée et sa société Speci. Motif: non-respect d’une convention de remboursement de dettes. Selon ce contrat, Speci doit 277 988 euros à X.D. et 9% des bénéfices futurs que Speci touchera sur la vente du projet Cristal Park « au plus tard à la fin du premier trimestre 2023 ». Pierre Grivegnée, lui, doit personnellement à son ancien associé 92 801 euros ainsi que 500 000 euros dans le cadre d’un projet, Sport Avenue, qui a capoté. Ce demi-million doit être remboursé lorsque Grivegnée ou Speci touchera le « jackpot » sur la vente du Cristal Park à des investisseurs.

Parallèlement, Pierre Grivegnée se lance dans un nouveau projet immobilier d’envergure en Italie.

Le 23 juin 2021, le tribunal de l’entreprise de Liège donne droit à X.D. et condamne Grivegnée et Speci à lui rembourser 277 988 euros et 74 480 euros majorés d’intérêts de retard de 7,5%. En attendant le reste… C’est sans doute la goutte qui a fait déborder le vase en cristal de Pierre Grivegnée. Depuis 2004, il développe Cristal Park, cherche des fonds pour investir dans ce projet qui devrait rapporter gros à sa société Speci, sollicite ses amis, les investisseurs, les pouvoirs publics. Fin des années 2000, on l’aperçoit à Zurich où il lève 1,2 million d’euros d’une mystérieuse Frucodal Holding, et 500 000 euros d’une non moins opaque Orconsult. A la même époque, ses amis Guido Eckelmans et Gilles Pélisson avancent respectivement 400 000 et 650 000 euros à Speci. Aujourd’hui, le projet Cristal Park est à l’arrêt. Fourbu, Grivegnée a démissionné d’Immoval, la société qui gère le projet. Depuis quelques années, les partenaires publics comme Valinvest, l’actionnaire majoritaire d’Immoval, semblent, eux aussi, se désintéresser d’un projet complexe qui tarde à se concrétiser.

Confusion des genres

Fuite en avant pour se « refaire »? En parallèle de Cristal Park qui bat de l’aile, Pierre Grivegnée se lance, en 2019, dans un nouveau projet immobilier d’envergure en Ombrie (Italie), baptisé Eco Borgo Di Toppo. « Un projet de développement d’un écoresort basé autour de l’acquisition d’un village du XVe siècle partiellement rénové pour une activité d’agritourisme et entouré de 250 hectares de terrains avec vignes, oliveraies et châtaigneraies, le tout en certification bio », lit-on dans un descriptif du projet. Son coût? 23 millions d’euros. Ses rentrées annuelles brutes? Huit millions.

Valérie Depaye, la directrice de la régie communale autonome Eriges, est-elle en conflit d’intérêts dans le dossier Cristal Park, comme l’affirme le conseiller Damien Robert (PTB)? Ce dernier lui reproche d’avoir travaillé pendant des années avec son compagnon Pierre Grivegnée sur le dossier Cristal Park et d’avoir développé avec lui ce projet immobilier privé « concurrent » en Italie, qui n’a pas accéléré la concrétisation du Cristal Park.

Pourtant, les choses avaient bien démarré: en janvier 2011, Eriges (Alain Mathot) signe avec Speci (Pierre Grivegnée) une convention de collaboration. Eriges a facturé 85 000 euros HTVA en 2011, 70 000 euros en 2012, ainsi que 84 700 euros pour une « Mission SAR » en 2013 (NDLR: obtenir des subsides pour le site industriel désaffecté des Cristalleries à dépolluer). Par la suite, Eriges a continué à garder un œil sur le projet Cristal Park qui, selon la régie communale, fait «partie intégrante de la requalification de Seraing» dont Eriges a la charge.

Mais la directrice d’Eriges a- t-elle vraiment défendu les intérêts de Seraing dans le dossier Cristal Park ces onze dernières années? N’aurait-elle pas trop épousé ceux de son conjoint, sachant que Pierre Grivegnée était lui-même en situation de conflit d’intérêts? L’homme était le chef d’orchestre de l’ensemble du projet, mais également le soliste censé développer le village commercial, une des pièces maîtresses du Cristal Park…

Que le couple Grivegnée-Depaye se soit ensuite impliqué, dès 2019, dans un projet immobilier en Italie – privé, cette fois – accentue cette suspicion de confusion des genres. Devant le collège, Valérie Depaye a déclaré avoir servi de traductrice à Pierre Grivegnée et l’avoir aidé comme une compagne aide son compagnon. Mais un troisième acteur ajoute à la confusion: Michaël Schmetz, un consultant rémunéré de Valinvest devenu administrateur d’Immoval en 2019. Il a investi personnellement, avec Pierre Grivegnée, plus de 1,5 million d’euros dans ce projet en Ombrie par l’intermédiaire de leur société luxembourgeoise United By. Son logo apparaît dans des images virtuelles du village commercial du Cristal Park dès 2016. Par ailleurs, United By portait un autre projet immobilier ambitieux, Pole Village, qui n’a jamais vu le jour, à Francorchamps.

Pour Damien Robert, « il y a clairement confusion d’intérêts lorsqu’on se retrouve dans un cadre où toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts privés est de nature à influencer, ou à paraître influencer, l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». Valérie Depaye et Pierre Grivegnée n’ont pas souhaité réagir à nos sollicitations.

Par David Leloup, avec François Braibant (RTBF)

Un projet de couple en Ombrie


Contrairement à ce qu’elle a déclaré devant le collège de la Ville de Seraing, Valérie Depaye, la directrice de la régie communale autonome Eriges, n’a pas participé au projet Eco Borgo comme simple traductrice ou accompagnante de Pierre Grivegnée. Plusieurs documents montrent qu’elle a joué un rôle actif dès l’origine du projet et qu’elle s’est impliquée personnellement sur le fond du dossier.Un projet de pacte d’actionnaires rédigé début 2021 précise que « Pierre Grivegnée et Valérie Depaye ont initié le projet de développement Borgo Di Toppo en septembre 2019 ». Après que la commune a remis un avis positif fin août 2020 sur la faisabilité du projet, « Pierre Grivegnée et Valérie Depaye ont […] analysé les différentes formules de développement pour mener le projet à bien». Ensuite, les deux partenaires «ont souhaité s’associer à un opérateur italien » du secteur hôtelier et « un rapprochement s’est opéré avec le groupe Boscolo Collection […] en janvier 2021. Plusieurs réunions ont eu lieu entre Pierre Grivegnée, Valérie Depaye et Giorgio Boscolo en vue de faire évoluer le projet. A la suite de ces discussions, un programme d’aménagement a été arrêté de commun accord entre les parties. »Le 12 avril 2021, Valérie Depaye est la destinataire (avec Pierre Grivegnée) d’un e-mail renseignant les coordonnées de deux fabricants de lodges, envoyé par un homme d’affaires qui a « bossé sur les lodges de Pairi Daiza ». Le 3 août 2021, Pierre Grivegnée transmet à sa compagne le long e-mail de synthèse sur le projet qu’il vient d’envoyer à Giorgio Boscolo, en vue d’une réunion avec lui prévue l’après-midi. Bref, pendant deux ans au moins, la directrice d’Eriges s’est impliquée personnellement et sur le fond, en mobilisant ses compétences professionnelles, dans un projet immobilier privé avec son compagnon. Au détriment du Cristal Park?

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