François-Xavier Druet

Mortalité en hausse dans les moralités ?

François-Xavier Druet Docteur en Philosophie et Lettres

Certaines valeurs morales sont-elles, de nos jours, en voie de disparition, voire déjà enterrées ? Nombre de faits récents invitent à se poser la question.

Entre ce qui est moral et ce qui est immoral, il est peu pensable, reconnaissons-le, de tracer une ligne de démarcation qui fasse l’unanimité. Chacun de nous tire cette ligne à la lumière des critères qui aident sa conscience personnelle à se déterminer. À partir de ses sources d’inspiration, chacun de nous a construit sa morale, c’est-à-dire sa « science du bien et du mal », sa « théorie de l’action humaine en tant qu’elle est soumise au devoir et a pour but le bien » selon la définition courante. S’il n’existe pas deux morales strictement identiques, une société a besoin d’un consensus quant aux valeurs dont le respect – ou non – conditionne le bien et le mal. Sans doute adhérons-nous, vous et moi, avec plus ou moins de conviction, à ce consensus.

Peut-être, dès lors, serons-nous bousculés par le énième rebondissement de l’affaire Publifin : une intercommunale attribue des indemnités de plus de dix-huit millions d’euros aux managers « pour les retenir » (sic). Le plafonnement des rémunérations dans les entreprises publiques allait faire déguerpir ces sommités vers le privé. Décideurs et bénéficiaires de la gratification ont estimé bon de procéder ainsi quand, par ailleurs, un plan social d’économie de plusieurs millions est imposé aux travailleurs. Et dire que la manoeuvre pourrait n’être pas illégale ! Quoi qu’il en soit, faites-vous une opinion. Est-ce moral ?

Des personnages publics, de plus en plus nombreux, n’hésitent pas à dénigrer, voire à insulter des adversaires, à tenter de discréditer certaines personnes ou groupes de personnes. Tel utilise un vocabulaire ordurier pour dévaluer des minorités. Tel crée des amalgames absurdes dans le même but. Tel – qui peut être le même – travestit la vérité et fait du mensonge son pain quotidien. Tel autre a déclaré : « Oubliez les droits de l’homme si je suis élu président. » Il est élu. Qu’en dites-vous ? Est-ce moral ?

Mais pourquoi circonscrire ce test de moralité aux huiles du paysage politique ? Étendons-le aux simples citoyens qui ont élu l’un de ceux-là ou les soutiennent. Les uns ont choisi, en connaissance de cause, un candidat dont les traits évoqués ici étaient clairement affichés. D’autres, peut-être trompés par des faux-semblants, les découvrent sous ce jour une fois en action ; mais certains d’entre eux confirment malgré tout que « si c’était à refaire, ils le referaient ». D’autres encore renchérissent de hargnes et de haines, encourageant leur « champion » dans son escalade populiste et partisane. Est-ce moral ?

Sont-ce les mêmes ou d’autres qui se répandent en propos abjects sur les réseaux sociaux ? Ici, on joue dans le registre de l’agression permanente et sans limites. Là, on navigue plutôt dans le mensonge, l’intox et la calomnie. Ailleurs, on se coalise pour saper le moral d’un individu ciblé, on l’accable d’injures et de propos humiliants. Avec l’intention de le détruire physiquement ? Parfois le suicide en est la conséquence. Ailleurs encore, des traîtres en amour publient et propagent des photos compromettantes d’un ex-partenaire rétrogradé au rang d’adversaire souffre-douleur.

À ce stade, il devient incongru d’encore poser la question de savoir si c’est moral. Comme aussi dans le cas de tous ces gens investis d’un pouvoir, politiciens, chefs d’entreprises, producteurs de spectacles, metteurs en scène, entraîneurs sportifs, responsables religieux qui profitent de leur ascendant pour commettre harcèlements et abus sexuels. On est rassuré de constater qu’alors la condamnation morale est unanime.

Faut-il conclure à une croissance exponentielle de l’immoralité ? Les dérives relevées sont-elles plus nombreuses qu’auparavant ou seulement moins cachées, à cause de l’hypermédiatisation ? Difficile de trancher. Mais il est clair que cette médiatisation joue un rôle : elle banalise ces comportements. Or banaliser mène à normaliser si, par l’accoutumance, se fragilisent les capacités de résistance de tous, mais surtout des instables. D’où ainsi la multiplication des passages à l’acte.

Le tableau est sombre. Mais incomplet. N’est-il pas constant que l’attention se focalise sur le train qui déraille quand des milliers d’autres trains restent sur les voies ? Les déraillements moraux aussi retentissent beaucoup plus, dans l’opinion, que les choix de celles et ceux qui, en nombre infini, continuent à suivre la bonne voie. Sans doute est-ce la raison principale de la naissance et du développement de ce qu’on appelle désormais « le journalisme de solution ou d’impact ». Celui-ci veut compléter le tableau en faisant découvrir les initiatives et les événements qui vont dans le sens d’un progrès humain et d’un bien commun. Pourquoi serait-il inconcevable que la banalisation du bien stimule et multiplie les passages à l’acte d’un autre style ?

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