Jan Buelens

Militaires et service minimum: un emplâtre sur une jambe de bois

Jan Buelens Professeur en droit du travail collectif et avocat pour Progress Lawyers Network

La Rue de la Loi a dû connaître un dimanche chaud. En effet, lorsque les gardiens de prison en grève le ont rejeté le protocole d’accord, le gouvernement a immédiatement décidé d’envoyer l’armée dans les prisons et d’y imposer un service minimum.

Indépendamment du fond du conflit et des conséquences pour les détenus, on n’avait encore jamais vu un gouvernement, qui est partie au conflit social en cours, se montrer si agressif.

Le déploiement de l’armée ne peut en effet devenir une solution miracle à tous les problèmes. En principe, l’appel à l’armée n’est possible qu’en cas de menaces graves de l’ordre public et quand les moyens de la police locale et fédérale ne suffisent plus, ce qui n’est pas prouvé en l’espèce. En outre, c’est le bourgmestre, et non le gouvernement, qui doit décider de l’assistance militaire.

Il est assez interpellant qu’on en soit arrivé à devoir faire appel à l’armée pour une grève dans les services publics. Après que cette piste ait été étudiée pour Belgocontrol (dixit le ministre Peeters), on la met aujourd’hui en pratique dans les prisons. Ensuite on passera à la SNCB?

Un service minimum est une fausse solution. En témoigne le déploiement de la police qui remplace déjà les gardiens dans les prisons, où les droits de base des détenus ne sont pourtant pas assurés. La boutade qui veut qu’en dehors des grèves, les gardiens de prison ne peuvent déjà assurer qu’un service minimum est malheureusement la triste réalité. Assurer le respect minimum des droits fondamentaux des détenus lors d’une grève est sans nul doute une affaire complexe… À moins qu’elle ne soit que le prétexte pour remettre en question le droit de grève?

Il est intellectuellement malhonnête de se soucier soudainement du sort des détenus lors des grèves alors que les droits élémentaires de ceux-ci sont mis à mal également en dehors des conflits sociaux.

Il est exact que le Comité européen pour la prévention de la torture exige une solution pour la situation des détenus durant les mouvements de grève. Néanmoins, les condamnations successives de la Belgique concernent plus largement l’ensemble de la politique carcérale de notre pays. Par conséquent, il est intellectuellement malhonnête d’en extraire un passage et de se soucier soudainement du sort des détenus lors des grèves alors que les droits élémentaires de ceux-ci sont mis à mal également en dehors des conflits sociaux.

Les gardiens de prison et les détenus sont victimes d’années de sous-investissement. 365 jours par an, les détenus doivent se passer de droits fondamentaux et les gardiens de prison n’y peuvent pas grand-chose. Aussi est-il facile de la part du gouvernement d’accuser les gardiens parce qu’ils font grève et ne pas prendre en compte l’échec de sa propre politique.

Bien entendu, il y a déjà eu des grèves contre ces problèmes structurels par le passé, mais l’impact de l’agenda néolibéral sur les services publics ne s’est jamais fait autant sentir que depuis l’entrée en fonctions du gouvernement Michel.

Le protocole d’accord proposé ne remet pas cette politique désastreuse en question, mais souhaite uniquement geler les économies pour 2016. La concentration de toutes les activités (visites familiales, sport…) de 9h à 17h ne fera que raviver les tensions entre les murs de prison. Les 350 engagements apparus comme par magie ne sont rien d’autre que de la langue de bois, puisqu’il s’agit en réalité uniquement de procéder au remplacement des départs au sein du personnel existant.

Dans ce contexte, le fait que le gouvernement se vante de vouloir défendre des droits fondamentaux des détenus est déplacé, pour ne pas dire hypocrite. Il serait bien plus courageux de mettre fin à la politique d’économies. C’est la seule façon de garantir les droits des détenus et des gardiens de prison. Reste à attendre qu’un gouvernement décide de consacrer un peu de temps et d’argents à ce changement.

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