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Michel Daerden savait jusqu’où il pouvait aller trop loin

C’est malgré lui et par dépit que Michel Daerden a inauguré un « style » politique qui ne fait pas l’unanimité.

Michel Daerden a bien tenté d’être quelqu’un d’autre. Au début de sa carrière, il n’a rien d’un gaffeur professionnel. Le « socialiste à la Porsche » – qu’il conduit pour se rendre au parlement wallon – apparaît alors comme « un réviseur d’entreprises très sérieux ». En 2006, on retrouve le même homme sur un plateau télévisé un soir d’élection. Sa victoire est annoncée : il apparaît éméché. Et voilà que la « Daerdenmania » enfle : il accède à un degré inégalé de notoriété publique, à coups de médias people et de réseaux sociaux. Décryptage avec Nicolas Baygert, doctorant en communication à l’UCL et à Paris-IV-Sorbonne.

Le Vif/L’Express : Si l’on réduit Michel Daerden à un clown, on verse dans la caricature ?

Nicolas Baygert : Oui. A l’étranger et en Flandre, il passe pour un clown. Sa crédibilité pose question. Pour les médias francophones, en revanche, ce n’est pas qu’un amuseur public : il est un people mais aussi une personnalité politique qu’il ne faut pas sous-estimer ni au sein de son parti – c’est un grand faiseur de voix – ni dans sa région où son pouvoir repose sur un réseau important de fidèles.

Ses excentricités n’ont-elles pas fini par agacer ?

Je parlerais, au contraire, d’un « phénomène d’habituation ». Nous sommes tellement habitués à ses dérapages qu’ils ne choquent plus, ils font même partie de son identité : Michel Daerden appartient à un folklore politique, peu compréhensible à l’extérieur.

Ces derniers temps, pourtant, nos médias ne se sont pas montrés tendres avec lui…

Les médias épinglent tantôt le clown, tantôt l’homme et ses batailles politiques. C’est une attitude ambiguë, mitigée : Michel Daerden est un bon client, qu’on aime avoir. Il n’y a pas chez nous de BV [NDLR : bekende Vlaming], mais on tente de créer des icônes médiatiques modernes qui sortent du cadre politique.

La N-VA a tout de même réclamé sa démission.

Ses sorties de route sont calibrées pour un public wallon, mais elles ne sont pas perçues avec la même tolérance hors de la Wallonie. Michel Daerden a ainsi renforcé l’image caricaturale que les Flamands ont des Wallons : malins, profiteurs, malhonnêtes, paresseux, alcooliques, vulgaires…

Cela revient-il à dire que ses dérapages sont minutieusement calculés ?

Je ne dirais pas qu’ils sont calculés, mais ils sont mis en scène de façon intéressée, réfléchie, de manière à cultiver une proximité : c’est un homme comme tout le monde, qui n’est pas constamment dans le contrôle de soi, mais cela ne l’empêche pas d’être crédible, ni compétent.

Il n’a pas non plus le physique d’un leader, d’un Di Rupo qui s’affiche en forme à la piscine.

Là encore, Michel Daerden joue la proximité. Son côté moins soigné, son absence de souci de soi entraînent bel et bien un message : c’est un Wallon comme les autres, qui parle de façon authentique, a l’allure d’un politicien du terroir, est ancré dans son tissu social. C’est un populisme bon enfant.

Avec le temps, n’est-il pas devenu sa propre caricature ?

Il a très bien compris comment fonctionnait son image. Le « Gainsbourg » quand il est aux affaires, le « Gainsbarre » pour ses pitreries et ses excès : cette symbiose s’opère lorsqu’il s’agit de faire des voix. Il me rappelle cette citation de Jean Cocteau : « Je sais jusqu’où je peux aller trop loin. »

Un cas unique ?

Sans aucun doute. Observons la couverture médiatique de son hospitalisation et de sa mort : elle dépasse le fait de santé d’un homme politique. On est dans le pathos, uniquement dans le registre de l’émotion, et derrière tout cela transparaît le souverain local, le paternalisme.

Propos recueillis par Soraya Ghali

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